Paul Muanda est gynécologue-obstétricien et chef du département gynécologie de l'hôpital général de référence de Kinshasa (Ex Mama Yemo). Dans cet entretien accordé à Actualité.cd, il revient sur les causes principales de la fistule obstétricale ainsi que les moyens de prévention qui existent.
Bonjour Docteur Paul Muanda, pouvez-vous nous expliquer en termes clairs ce que l’on entend par fistule ?
Dr Muanda : la fistule est une communication anormale entre deux organes. Il existe plusieurs sortes: les fistules gynécologiques, digestives et obstétricales. Chacunes ayant des causes spécifiques.
Docteur, en quoi la fistule obstétricale est-elle différente des autres types de fistules ?
Dr Muanda: la fistule obstétricale fait suite à une complication de la grossesse. On parle également des fustiles vésico-vaginales. Par exemple, lorsque le temps de travail pendant l’accouchement dépasse le délai de 24 heures. Souvent, le volume foetal ou la tête du foetus est plus importante que le bassin de la mère, la vessie de cette dernière est comprimée pendant longtemps contre la parois osseuse. Cela crée une ischémie (diminution de l’apport sanguin artériel à un organe) dans cette partie du corps. La femme pourrait accoucher plus tard par voie basse ou par césarienne mais, la partie comprimée va s’évacuer de son corps (chute des escarres) , laissant ainsi une communication entre le vessie et le vagin, qui a pour conséquence l’incontinence. Elle provoque une fuite d’urine et/ou de matières fécales par le vagin, et entraîne à plus long terme des problèmes médicaux chroniques.
En République Démocratique du Congo, est-il possible de connaître le nombre des femmes qui souffrent de cette maladie ?
Dr Muanda : nous savons qu’il y a un nombre important de femme qui souffre de cette maladie en RDC. Cependant, le nombre exact reste méconnu parce que certaines femmes considèrent que c’est une maladie honteuse et préfèrent ne pas se dévoiler. Elles ont peur d'être stigmatisées et rejetées par la société.
Comment peut-on guérir de cette maladie ?
Docteur Muanda : pour guérir la fistule obstétricale, le traitement de base qui est préconisé c’est l’intervention chirurgicale. Il faut absolument soutirer la communication anormale établie entre ces organes. Ici à l'hôpital général de référence de Kinshasa, bien qu’il y ait un problème dans la gestion des cas, c’est le service d’urologie du département de la chirurgie qui s’en occupe. On a également l'hôpital Saint Joseph de Limete qui est l’un des hôpitaux spécialisés dans la réparation des fistules. A l’Est du pays, il y a l'Hôpital de Panzi du docteur Denis Mukwege qui est spécialisé dans le traitement de la fistule, précisément la traumatique(qui fait suite aux actes de violence sexuelle, généralement pendant des conflits ou à la suite de conflits).
Vue l’ampleur de cette maladie, Docteur Muanda, comment les femmes congolaises doivent-elle se prévenir ?
Docteur Muanda : Les femmes congolaises peuvent se prévenir de la fistule obstétricale de trois façons : aux jeunes femmes, je recommande d’éviter les mariages précoces parce qu’un bon accouchement dépend également du développement du bassin de la femme. Aux femmes enceintes, je conseille de choisir une maternité où il ya un matériel de santé de qualité et un personnel qualifié mais aussi de bien suivre les consultations prénatales CPN que l’on appelle communément “les kilos”.
Docteur, pouvez-vous nous expliquer en quoi le mariage précoce peut favoriser la fistule obstétricale ?
Docteur Muanda : un bon accouchement dépend énormément du bassin de la mère. S’il se trouve qu’elle a un bassin pas assez développé, logiquement elle aura des difficultés pendant son accouchement. Ce qui peut entraîner des longues heures de travail. Chez les jeunes filles de 14-16 ans, le développement osseux n’est pas encore achevé. Si les médecins ne sont pas prêts à lui faire passer par une intervention chirurgicale, la conséquence directe est qu’elle va souffrir d’une fistule obstétricale.
Selon le Fond des Nations Unies pour la Population (UNFPA), des centaines de milliers de femmes et de filles vivent avec cette lésion en Afrique subsaharienne, en Asie, dans les États arabes ainsi qu’en Amérique latine et aux Caraïbes, et des nouveaux cas surviennent chaque année. Il est pourtant possible de prévenir la fistule. Le fait qu’elle n’ait pas disparu témoigne des carences des systèmes de santé face aux besoins essentiels des femmes.
Prisca Lokale