Adolphe Muzito: Pourquoi je n'ai pas signé l'accord - 13è tribune [Exclusivité]

<em>Ancien Premier ministre d’octobre 2008 à mars 2012, député national élu de Kikwit, Adolphe Muzito a choisi ACTUALITE.CD pour publier sa 13<sup>e</sup> tribune.</em>

<strong>13<sup>ème</sup> Tribune d’Adolphe Muzito :</strong>

<strong><em>POURQUOI JE N’AI PAS SIGNE L’ACCORD :</em></strong>

<strong><em>LA PROGRAMMATION D’UN DEUXIÈME GLISSEMENT INUTILE</em></strong>
<ol>
<li><strong>  PROBLÉMATIQUE
</strong></li>
</ol>
L’objectif du dialogue, de par l’ordonnance présidentielle portant sa convocation, est d’obtenir de la classe politique un consensus sur :
<ul>
<li>La mise à jour du fichier électoral ;</li>
<li>Le calendrier électoral ;</li>
<li>La sécurisation et le financement des élections.</li>
</ul>
Suivant sa feuille de route, pour sa réussite, le dialogue devrait déboucher sur un accord politique respectueux des principes ci-après :
<ul>
<li>La mise en place d’un calendrier réaliste et crédible pour des élections apaisées, transparentes et crédibles ;</li>
<li>Le respect de la Constitution ;</li>
<li>La mise en place des réformes nécessaires au financement des élections et de leur sécurisation ;</li>
<li>L’inclusivité ;</li>
</ul>
<ol>
<li><strong> ACCORD POLITIQUE : LE FONDS ET LA FORME</strong></li>
</ol>
En lisant l’accord politique, son contenu, la procédure de son élaboration et de son adoption, nous constatons le non respect des principes ci-haut évoqués, ce qui compromet à l’atteinte des objectifs assignés au dialogue.
<ul>
<li><strong><em>A propos des séquences des élections et du calendrier électoral selon la CENI</em></strong></li>
</ul>
<ul>
<li>La CENI avait recommandé aux participants, et ce pour une détermination rationnelle des dates de scrutins et du calendrier électoral, de lever prioritairement les séquences à partir de la date du parachèvement de l’enrôlement des électeurs, l’option relative aux séquences des élections.</li>
<li>L’option levée par la plénière, à cet effet, a été d’organiser en un seul jour l’ensemble des scrutins, à savoir l’élection présidentielle, les élections législatives nationales et provinciales, concomitamment avec les élections municipales et locales, en cas de disponibilité des ressources financières pour ces deux dernières.</li>
<li>De cette dernière option, la CENI a donné, en conséquence, les indications relatives au délai des scrutins ci-après :
<ul>
<li>Fin Juillet 2017 : parachèvement du fichier électoral ou des opérations de l’enrôlement ;</li>
<li>504 jours, soit 1 an et demi après l’enrôlement : l’organisation de tous les scrutins. Ces délais ont été retenus en plénière consécutivement avec l’option liée à la séquence des élections.</li>
</ul>
</li>
</ul>
<ul>
<li><strong><em>Du calendrier politique du « Comité restreint »</em></strong></li>
</ul>
Curieusement, le Comité restreint mis en place pour faire la synthèse des divergences et des convergences entre  composantes au dialogue et de faire un projet d’accord à débattre en plénière, a décidé de réduire de 6 mois le délai ci-haut en le fixant à fin Avril 2018.

La faute du Comité restreint n’a pas résidé dans la réduction du délai, mais dans le fait qu’il n’a pas tiré les conséquences de cette réduction sur les séquences des élections et le nombre des scrutins à organiser par jour.

Le Président de la CENI, à qui, il a été donné la parole, le mardi 18 octobre, quelques instants avant l’adoption par acclamation de l’accord, s’est prononcé négativement sur le nouveau délai fixé par le Comité restreint en attirant l’attention des participants sur la nécessité pour eux de lever les options ci-après, en vue de rendre réaliste le nouveau délai :
<ul>
<li>Modifier les séquences en réduisant le nombre des scrutins à réaliser par jour ;</li>
<li>Revoir les modes de scrutins en vue d’aller vers un regroupement des partis politiques en vue de réduire les nombres aussi bien de partis politiques que des candidats, en perspective de la réduction de la taille du bulletin de vote ;</li>
<li>Accélérer la mobilisation du budget des élections et de leur sécurisation, lequel doit désormais s’étaler sur une période d’un an. Rien de tout cela n’a été retenu par la plénière.</li>
</ul>
<ul>
<li><strong><em>De la nécessite de la constitutionnalisation de la date de l’élection présidentielle</em></strong></li>
</ul>
Il faut rappeler que l’élection présidentielle n’aura pas été organisée dans le délai constitutionnel, soit en décembre 2016.

Le nouveau délai émanant du compromis politique de la classe politique, devrait être  une date précise devant faire l’objet d’une constitutionnalisation à travers un arrêt de la Cour constitutionnelle, et devant faire ainsi partie désormais du corpus constitutionnel.

Malheureusement le délai fixé à l’article n°5 C de l’Accord politique entretient délibérément un flou artistique à cet effet. Car celui-ci stipule que <strong>la CENI est chargée de préparer et d’organiser les élections du Président de la République, des Députés nationaux et provinciaux dans un délai de 6 mois, à dater de la convocation des scrutins</strong>…., ceci rend impossible sa constitutionnalisation.

On comprend bien la synchronisation de l’Arrêt de la Cour constitutionnelle avec l’Accord politique du dialogue : l’Arrêt de la Cour constitutionnelle instruit la CENI en ces termes : <strong>« La CENI est autorisée à publier dans un délai raisonnable un calendrier électoral qui tienne compte de toutes les exigences techniques et opérationnelles </strong>», tandis que l’Accord politique  instruit la CENI de <strong>« préparer et d’organiser les élections du Président de la République, des Députés nationaux et provinciaux dans un délai de 6 mois, à dater de la convocation des scrutins</strong>. <strong>Toutefois, la CENI en collaboration avec le Comité du suivi du dialogue, devra procéder à l’évaluation de son calendrier, pour s’assurer de sa mise en œuvre et en tirer toutes les conséquences pour son parachèvement.     </strong>

Dans les deux cas, on voit que la CENI, et à travers elle, le nouveau gouvernement, reçoit de la part de ces deux instances le pouvoir de décider librement du moment d’organiser toutes les élections en général et en particulier celle du Président de la République.

Cet Arrêt de la Cour constitutionnelle est illégal quant à la forme (quorum non atteint) et anticonstitutionnel quant au fonds.
<ul>
<li><strong><em>Glissement programmé</em></strong></li>
</ul>
<strong><em> </em></strong>En réduisant le délai de 504 jours fixé par la CENI pour l’organisation concomitante des 5 scrutins (présidentiel, législatif, provincial, local,…) sans réduire à deux voire à un le nombre de ceux-ci, le « Comité restreint » savait que ce délai de la part de la CENI voire du Gouvernement, n’est pas réaliste.

L’objectif du « Comité restreint » en réduisant le délai était de faire bonne figure vis-à-vis de la population en suscitant chez elle une perception positive de l’Accord, quitte à rallonger le délai le moment venu.

Un tel glissement serait impardonnable de la part du peuple.
<ul>
<li><strong><em>La nécessité d’une stratégie globale contre la triple crise politique, économique et sociale.</em></strong></li>
</ul>
Il est vrai que l’objectif ultime du dialogue a été la résolution de la crise politique à travers l’organisation des élections.

L’atteinte de cet objectif passe par la solution à la crise financière. Pour un Etat en récession et dont les caisses sont vides, le recours à la planche à billets, dans ce cas, reste la seule solution.

Compte tenu de ses effets socialement néfastes de cet instrument, le dialogue devait  faire recors à un plan d’aide international qui passe par des réformes en engager par le Gouvernement d’union nationale qui devra s’inscrire en rupture avec la politique de la majorité actuelle. Cette option proposée par nous, n’a pas été acceptée par les participants au dialogue.
<ul>
<li><strong><em>La mystification du délai de l’organisation des élections. </em></strong></li>
</ul>
En réalité, ce n’est pas le délai qui pose problème dans la crise actuelle. L’opinion nationale et la Communauté internationale peuvent bien accepter un délai même plus long à condition qu’il décide et obtienne par une classe politique unie et en cohésion.

Mais en fixant une date qui d’après les données techniques est démontrée à suffisance qu’il ne pourra pas être respectée et entrainée un autre glissement, les participants au dialogue ne pourront que faire accroître la désaffection du peuple envers la classe politique.
<ul>
<li><strong><em>De l’inclusivité : l’ouverture du dialogue au Rassemblement</em></strong></li>
</ul>
En décryptant attentivement le Rapport du Conclave du Rassemblement, on peut constater qu’il y a plus de peur que de mal, car pour l’essentiel, ce texte comprend plus d’éléments de convergence que de divergence.

Le reste du rapport du Rassemblement est constitué des moyens de pression. Il en est de même des préalables à sa participation telle la libération des prisonniers, etc.

Car ces préalables lors des négociations, pourront être convertis en objectifs à réaliser par nous tous et ensemble à travers le Gouvernement d’union nationale.

Quant au statut du Président Kabila au 20 décembre 2016, celui-ci est négociable. Car toutes les parties sont conscientes qu’au 20 décembre 2016, le pouvoir n’appartient à personne en dehors du peuple. Le Président Kabila aurait l’avantage par rapport à ses adversaires d’être en place et en expédition des affaires courantes. Il lui reviendrait de partager son pouvoir de fait avec ses adversaires et ses principaux alliés, dans un format tel que « 1+4 » ou « 1+5 ».

La convergence essentielle est que le Rassemblement est pour le dialogue. A ce propos, l’option d’un dialogue à un ou plusieurs rounds est préférable à celle de deux ou plusieurs dialogues.

A ce sujet, la Composante personnalité a proposé l’option de laisser ouvert l’accord à travers une résolution relative à la  mise en commun des conclusions des travaux du dialogue de l’Union Africaine avec celles des forces politiques et sociales qui n’ont pas participé au dialogue. Le Comité restreint a écarté cette hypothèse.

<strong>Régime spécial = Révision de la constitution ou acte constitutionnel de transition.</strong>

Le rassemblement a préconisé un régime spécial. Cette option est plus ouverte et plus inclusive. Elle est favorable à la révision voire à l’établissement d’un acte constitutionnel de transition pour la gestion du pays pendant la période intérimaire.

<strong>III. CONCLUSION</strong>
<ol>
<li>Il vaut mieux un mauvais accord que rien du tout ;</li>
<li>J’ai refusé de signer l’accord politique du 18 octobre 2016, non pas parce qu’il serait mauvais dans l’absolu, mais parce que nous pouvions faire mieux ;</li>
<li>Du point de vue de la forme :</li>
</ol>
<ul>
<li>Le compromis trouvé au sein du « Comité restreint » aurait pu être considéré comme un avant-projet de l’accord qu’on aurait dû discuter en plénière avant adoption éventuelle.</li>
<li>La fixation du délai des élections devait retrouver l’adéquation avec la séquence et le nombre de scrutins ainsi que les conditions techniques, opérationnelles et financières de la CENI, ce qui n’a pas été le cas.</li>
<li>Le caractère hypothétique du délai de l’élection présidentielle ne permet pas sa constitutionnalisation par la Cour constitutionnelle. Celle-ci n’aurait même pas siégé pour se prononcer sur une requête de la CENI dépourvue de toute proposition de date pour les élections présidentielle et législatives.</li>
<li>La volonté de faire un passage en force a amené le « Comité restreint » de garder secret le document de l’accord vis-à-vis des participants. Ceux-ci ne l’ont reçu et lu qu’après signature par eux de celui-ci.</li>
</ul>
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Je ne pouvais donc pas signer un document que je n’avais ni lu, ni adopté au préalable.

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<ol start="4">
<li>Raisons de fonds : délai des scrutins</li>
</ol>
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<li>Face aux contraintes logistiques, techniques, opérationnelles et financières, le délai d’un an et demi n’est pas tenable pour 5 scrutins (présidentiel, législatif, provincial, local,…) ;</li>
<li>Le glissement au-delà d’Avril 2018 sera inévitable et le peuple, en cette période où la crise sociale va atteindre son paroxysme du fait de l’inflation et de l’érosion monétaire, va entrer en colère contre la classe politique, se sentant floué ;</li>
<li>L’ouverture au Rassemblement préconisée par la Composante personnalité a été rejetée par le « Comité restreint » qui a supprimé « la résolution » proposée par la Composante « Personnalité » selon laquelle le dialogue devait rester permanent et susceptible d’être convoqué par le Facilitateur pour une mise en commun de ses résolutions avec celles des autres forces politiques et sociales qui n’auront pas participé au dialogue de l’Union Africaine.</li>
<li>Le dialogue comme nouvelle source de légitimité et mandant du gouvernement de coalition, dit gouvernement d’union nationale, devait donner une base politique en termes d’options politiques, économiques et sociales qui devraient sous-tendre le programme du nouveau gouvernement. Car, celui-ci, bien que devant être investi par l’Assemblée nationale ; devait tirer son programme non pas de la majorité actuelle qui n’a plus ni mandat, ni de projet, mais de la coalition représentée au dialogue.</li>
</ul>
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L’accord n’ayant fixé ni orientation, ni axe de sortie de la triple crise en terme de réformes politiques, économiques et sociales, le nouveau gouvernement n’aura aucun repère pour son action.

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Le Comité de suivi comme cadre d’évaluation et de suivi de l’action du gouvernement sera dépourvu aussi de toute base d’évaluation.

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Fait à Kinshasa, le 20 octobre 2016.

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<strong><u>Adolphe MUZITO</u></strong>

Premier Ministre honoraire et Député  national