Par Me Grace Muwawa L, Desk Justice/ACTUALITE.CD
« Le droit, une science occulte. Le droit, une science des initiés. »
1. Les faits
Tout part de la grande cérémonie du mardi 6 avril 2021 à l’occasion des cent ans de la prestigieuse et précieuse religion kimbaguiste, célébrée à Nkamba, dans la province du Kongo Central, en République démocratique du Congo. Ayant pris part à cette grande fête nationale et religieuse, et lors de son adresse à la communauté congolaise réunie à cet effet, le Président de la République, Chef de l’État, a promis d’ériger la journée du 6 avril de chaque année en jour « férié ».
Le 30 mars 2023, soit deux années après, le Président de la République, agissant par l’Ordonnance n° 23/042 du 30 mars 2023 fixant la liste des jours fériés légaux en République démocratique du Congo, a rendu effective la promesse faite à la nation congolaise en érigeant le 6 avril de chaque année jour férié, en mémoire du combat du très vénérable Simon Kimbangu, envoyé spécial de Dieu, incarnation du Saint Esprit, catéchiste, libérateur, chef religieux et père spirituel, et aussi grand cordon de l’ordre des héros nationaux Kabila - Lumumba.
Faisant suite à cette ordonnance, mardi 4 avril 2023, un communiqué officiel signé de Son Excellence la Ministre ayant le travail dans ses attributions a encore déclaré la journée du 6 avril 2023 chômée et payée sur toute l’étendue du territoire national de la République démocratique du Congo.
2. En droit
a. De la compétence matérielle au sens du code du travail
Il sied de rappeler, conformément à l’article 123 du code du travail congolais, que la compétence d’ériger une journée en jour férié relève du Président de la République, sur proposition du Ministre ayant le travail et la prévoyance sociale dans ses attributions.
Cet article 123 dispose : « Le Président de la République fixe, par décret, pris sur proposition du Ministre ayant le Travail et la Prévoyance Sociale dans ses attributions, après avis du Conseil National du Travail, la liste des jours fériés légaux ».
En application de cet article 123 du code du travail, l’ordonnance n° 14/010 du 14 mai 2014 fixant la liste des jours fériés légaux en République démocratique du Congo était, jusqu’au 29 mars 2023, le seul texte qui établissait la liste des jours fériés en République démocratique du Congo.
b. Critique en droit
En effet, le code du travail congolais date du 16 octobre 2002. En 2002, le texte constitutionnel qui régissait la RDC était le décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo. L’article 5 de ce texte constitutionnel disposait ce qui suit : « Le Président de la République exerce le pouvoir législatif par décrets-lois délibérés en Conseil des ministres. Il est le Chef de l’Exécutif et des Forces armées. Il exerce le pouvoir réglementaire par décrets ».
Comme on peut le constater, l’article 123 du code du travail de 2002 a été rédigé en conformité avec l’article 5 de la Constitution de 1997.
Depuis le 18 février 2006, l’article 92 de la Constitution dispose que « le Premier ministre assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire sous réserve des prérogatives dévolues au Président de la République par la présente Constitution. Il statue par voie de décret ».
Ainsi, conformément à l’article 92 de la Constitution en vigueur, le pouvoir réglementaire général étant confié au Premier Ministre, il est de droit depuis 2006 la seule autorité compétente à prendre un texte juridique sur la liste des jours fériés, en application de l’article 123 du code du travail. Fort malheureusement est de constater qu’en 2014, sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006, le Président de la République a pris, par ordonnance réglementaire, un texte en application de l’article 123 du code du travail qui devait déjà subir une modification pour se conformer à la Constitution. Le législateur congolais en profond sommeil, l’article 123 du code du travail devenu anachronique, le Président de la République continue d’intervenir et de statuer dans le secteur du Premier Ministre.
Nous attirons ici l’attention du législateur congolais qui depuis 2006, et encore lors de la récente révision du code du travail en 2016, a manqué l’occasion de rendre conforme à la Constitution l’article 123 du code du travail.
c. Qu’en est-il de l’ordonnance du 30 mars 2023 ?
Elle est intitulée : « ordonnance n° 23/042 du 30 mars 2023 fixant la liste des jours fériés légaux en République démocratique du Congo ». Il sied de signaler, d’entrée de jeu, que rien ne justifie, en français du droit, l’expression « férié légal ». Il n’existe pas en droit du travail un jour férié qui ne soit pas légal.
Ensuite, il aurait suffi, pour le Président de la République, à l’état actuel de la législation, de prendre simplement une ordonnance modifiant et complétant celle de 2014. Il n’était ni important ni impérieux de prendre une nouvelle ordonnance, abrogeant la première, juste pour rajouter une nouvelle date à la liste des jours fériés. Je pense que, sur le plan du droit, c’est une grosse faille qu’on pouvait pourtant éviter.
d. Quelle est la nature juridique de cette ordonnance ?
Une ordonnance présidentielle n’est rien d’autre que le mode d’expression du Président de la République (article 79 al. 2 de la Constitution). Toutes les ordonnances du Président de la République ne sont pas réglementaires. Pour qu’elle soit réglementaire, l’ordonnance administrative doit essentiellement porter sur l’organisation des services publics placés sous l’autorité du Président de la République. Or, dans l’état actuel de la législation, l’article 123 du code du travail accorde malheureusement au Président de la République un pouvoir réglementaire qu’il dépouille injustement et inconstitutionnellement au Premier Ministre. L’ordonnance de 2023, abrogeant celle de 2014, est un acte administratif réglementaire, mais subordonné, qu’il sied de distinguer de l’acte réglementaire autonome qui, lui, pris en vertu de l’article 128 de la Constitution, intervient dans son propre domaine et subit un contrôle de constitutionnalité, contrairement au règlement subordonné qui subit un contrôle de sa légalité devant le juge administratif. La révision de l’article 123 du code du travail, qui lui fait écran, entraînera d’office la désuétude et la caducité, du moins théoriques, de ladite ordonnance, bien qu’elle survivra jusqu’à la prise effective d’un Décret du Premier Ministre qui interviendra cette fois-là dans son domaine.
e. Quid du communiqué de Son Excellence la Ministre du travail ?
Un communiqué inutile, gaspillage d’encre et d’énergie. On ne le dira jamais assez : « un jour férié ne peut plus être déclaré chômé et payé ».
Je vous remercie.
Grace Muwawa L.