RDC : Quand Fortunat Biselele rompt le silence dans une communication sensible sans biaiser

Fortunat Biselele
Fortunat Biselele

Longtemps utilement très discret sur la place publique, le conseiller privé du Président de la République, ayant rang de conseiller spécial, Fortunat Biselele, a, récemment dans une interview à un journaliste étranger, rompu le silence sur des arrangements économiques à des fins sécuritaires entre Kinshasa et Kigali à l'initiative du Président Tshisekedi. Au-déla des susceptibilités à la base des réactions dans divers sens sur la toile mondiale, la sortie médiatique de Fortunat Biselele suscitent tant d'interrogations sur, entre autres, les motivations de son initiative médiatique ainsi que le niveau de sa préparation. 

"Le Président Félix a proposé à son homologue rwandais une chose simple : Nous sommes un pays riche, vous êtes nos voisins. Aucune guerre ne fera déplacer les frontières, nous resterons des voisins à vie. Je vous propose de mettre en place des projets où nous allons jouer au win-win, gagnant-gagnant. J’ai des minerais chez moi qui vous intéresse. Vous avez la possibilité avec votre carnet d’adresse de contacter les investisseurs partout dans le monde. Et nous allons travailler en synergie pour essayer de développer la zone [Région des grands lacs] ensemble », a révélé Fortunat Biselele, l’émissaire privilégié de Tshisekedi auprès de Kagame.

Rappel du contenu des accords conclus  

Le 26 juin 2021, la RDC et le Rwanda ont signé trois accords commerciaux bilatéraux, dont l’un portait sur l’exploitation de l’or en vue d’en assurer la traçabilité. Concrètement, ces deals portaient sur la protection et la promotion des investissements, sur une convention permettant d’éviter la double imposition et l’évasion fiscale, mais aussi sur un accord conclu entre la société congolaise Sakima (société des minerais du Kivu et du Maniema) et une société rwandaise de droit privé connue sous le nom de Dither SA. 

De la communication sensible ... 

Dominique Wolton (2009) soutient que "Dans la communication, le plus compliqué n'est ni le message, ni la technique, mais le récepteur". Pourquoi cette personnalité proche du Chef de l'État congolais a-t-elle jugé utile, dans un contexte d'accusations de l'agression rwandaise, d'évoquer, publiquement, les termes du deal de pacification de l'Est du pays aux effets pourtant contrastants avec la réalité que Félix Tshisekedi a passé avec Paul Kagame?

Tout pousserait à penser que cet ancien cadre de la rebellion "Rassemblement congolais pour la démocratie", jadis considéré comme un supplétif du Rwanda, n'a pas anticipé sur les perceptions que ses propos, d'une clarté sans conteste, auraient suscitées au sein de la population, furieuse de l'occupation des pans entiers du territoire national par l'armée rwandaise. 

Sans doute, le stratège du Chef de l'Etat n'a pas pris toute la mesure de la communication sensible à laquelle il s'est employée, que Didier Heiderich et Thierry Libaert de l'Observatoire internationale des crises (2005) définissent comme celle qui "regroupe l’ensemble des actions de communication réalisées par une entreprise ou une organisation destinés à défendre ses intérêts, ses objectifs, des dirigeants ou son image lorsque ceux-ci sont mis en cause ou risquent de l'être." Cette communication sur " des sujets sensibles vise l’acceptabilité sociale d’un objectif de développement catégoriel d’une organisation, sans que cet objectif ne concorde a priori avec celui des populations potentiellement concernées". 

Dans le cas d'espèce, Fortunat Biselele se serait quelque peu trahi, faute d'assez de finesse langagière, par sa bonne intention de participer à la guerre de communication en ce début de l'année électorale. Ce, pour tenter de soigner l'image du Chef de l'État dont le quatrième anniversaire de l'accesion au pouvoir, dans moins de deux semaines, devrait au mieux coïncider avec du succès sur le terrain de la pacification de l'Est.

Naïveté ou calcul stratégique peu rigoureux ?

Comment penser sérieusement dealer avec celui qui a, des décennies durant, "été accusé d'avoir bradé", selon le narratif congolais, les ressources du pays sans courir le risque de le blanchir ou, au pire de cas, de se salir les mains? Il ne suffit pas d'inscrire une idée géniale sur un bout de papier, du genre Fiche technique, pour s'assurer de la pertinence de sa portée praxéologique. 

Le contexte ainsi que les perceptions des parties prenantes auraient pu plaider pour la maturation du projet politique d'un deal de ce genre avec un pays cité, depuis deux décennies, dans les Rapports du Groupe d'experts des Nations Unies sur la RDC pour, entre autres, participation aux pillages des ressources naturelles congolaises. 

Sans un débat républicain au niveau, à la limite, interinstitutionnel sur la nécessité d'une démarche visant la paix et le développement dans une conversion structurelle de la relation avec Kigali, à assumer pleinement dans le cadre d'une stratégie nationale de paix dans l'Est du pays, l'initiative d'un tel arrangement serait susceptible d'exposer le pays à des effets néfastes sur la cohésion nationale.  

A ne pas exclure l'hypothèse selon laquelle la communication de Fortunat Biselele pourrait passer pour un mea culpa inédit. Il aurait ainsi réussi à faire montre d'audace politique. L'abcès ainsi crévé devrait permettre aux stratèges du Chef de l'Etat de repartir sur une base de lucidité plus affirmée contre des initiatives de paix fourrée dont le pays fait le frais.

 Lembisa Tini (PhD)