8 JANVIER 1996: L'HÉCATOMBE DU MARCHÉ "Type  K" (Yoka lye)

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... A chacune de cette date fatidique, ma voisine de quartier est de nouveau en deuil. Deuil sans limite, inconsolable, inconsolé.A l'époque de la tragédie, elle avait à peine une dizaine d'années, mais le cauchemar la poursuit jusqu'à présent, comme un film au ra-len-ti, sé-que-nce a-près sé-que-nce. Les séquences se suivent et semblent se ressembler,  mais à chaque fois avec  des émotions différemment explosives.  Première séquence du récit de ma voisine à jamais éplorée: un  bruit assourdissant d' avion volant en rase-mottes. Bruits de moteur crachotant. Des cris des mamas marchandes, parce que l'avion, un vieil Antonov du troisième âge et apparemment retraité, semble, à leurs yeux ébahis,  faire des bonds en plein vol,  en plein décollage. Séquence suivante : une sorte de bombe éclatée, avec un vacarme d'enfer. Ma voisine nous a raconté et   nous raconté encore comment est l'enfer. Et lorsqu'elle évoque l'enfer ("l'enfer existe, dit-elle, je l'ai vu, je l'ai vécu !"),elle éclate en sanglots. Autre séquence plus tragique; l'avion s'est écrasé de tout son poids en plein marché, au milieu des marchandes, des marchandises et des clients. Ma voisine n'a jamais vu un tel carnage. Apocalypse...

Mais voilà l,enfer, dans ses monstruosités. Elle cherche en vain sa maman qui s'était déplacée auparavant pour servir une cliente capricieuse. Pas de maman. Quand arrive enfin les secours, avec des oripeaux de couvertures de secours, et avec des brancards bancals, le feu, vorace, s'est emparé des corps et des étals. Ma voisine n'a pas de mots pour décrire l'immonde, c'est à dire la découverte macabre du corps calciné et décomposé de sa maman, et  des autres mamans. Ma voisine dit avoir reconnu avec peine sa maman grâce à son pagne et à son collier offert par mon papa , son cher mari.

Et ma voisine de s'effondrer en posture de prière et de deuil. Deuil inconsolable depuis près de quarante ans. Sans consolation. Ou plutôt maigre consolation de la part de quelques résidents de ce quartier périphérique. Et nous,  vieux du quartier,   nous continuons à adresser, à chaque sinistre anniversaire, des supplications pour que l'accident du Type K soit commémoré à sa juste valeur. Et soit réparé moralement. 

Je suis passé l,autre jour devant ce cimetière de Type K oublié. Oui, oublié ! Oui, scandale : au lieu d'une stèle commémorative  même symbolique, ce sont des immeubles insolents sur la tête des morts. Le culte des ancêtres et le souvenir des martyrs se sont évaporés comme cendres et culte de l'oubli...

Yoka lye  7 janvier 2023