Sommet international sur le financement des économies africaines, propos négationnistes de Paul Kagame, réponses de Félix Tshisekedi, ouverture du procès sur les massacres de Yumbi… la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l'actualité. Ce 22 mai, Le Desk Femme vous propose une rétrospective avec Nelly Lumbulumbu, juriste de formation, activiste féministe et coordonnatrice de la Dynamique des femmes juristes.
Madame Nelly Lumbulumbu, la semaine a été marquée par les propos du président rwandais Paul Kagame, niant les crimes à l’Est de la RDC, accusant le Docteur Mukwege d’être « un outil des forces que l’on ne voit pas » et critiquant l'État de siège décrété par le Chef de l’Etat en territoire de Nord-Kivu et de l’Ituri. Comment avez-vous analysé ces propos ?
Nelly Lumbulumbu : les propos du président rwandais sont d’une certaine façon, une fuite en avant et une confirmation suffisante que les troupes rwandaises ont été à la base d’un grand nombre de violation des droits humains dans les provinces de l'Est de la RDC. Ce négationnisme a clairement démontré son refus de reconnaître les crimes commis à l'endroit des êtres humains. Des crimes qui méritent d’être sanctionnés et dénoncés par toute personne éprise de paix et de bon sens. Le président Kagame devrait savoir que tôt ou tard ces crimes seront sanctionnés car il s'agit d'infractions imprescriptibles. Il doit aussi savoir que les organisations féminines se battent et continueront à se battre pour l'installation d'un tribunal spécial pour la RDC. Les victimes des violences à l'Est de la RDC continueront à exiger réparation.
Pendant qu’il s’attaque au rapport Mapping, d’autres plaidoyers s’élèvent pour la mise en place d’un tribunal spécial pour la RDC. Cela permettrait-il selon vous, à mettre en lumière les auteurs des crimes dans la partie Est de la RDC ?
Nelly Lumbulumbu : oui. Comme je l’ai dit précédemment, les organisations féminines se battent et continueront à se battre pour l'installation d'un tribunal spécial pour la RDC parce que cette institution permettra de lancer des enquêtes concrètes autour des crimes commis sur le territoire congolais, des enquêtes qui dévoileront les vrais auteurs de ces crimes, les rôles joués et les actions posées et qui permettront finalement de les sanctionner. Des rapports, des listes circulent avec des noms mais rien ne prouve qu’ils sont vraiment impliqués dans les crimes à l’Est. Ce tribunal viendra mettre tout en lumière. Les victimes obtiendront ainsi réparation.
Parmi les réactions phares, il y a notamment une tribune co-signée par une cinquantaine de personnalités congolaises dont Christelle Vuanga. La députée nationale appelle également Kinshasa à renvoyer l’ambassadeur rwandais du territoire congolais. Que pensez-vous de cette recommandation ?
Nelly Lumbulumbu : non, je ne pense pas que cette recommandation soit la meilleure. Nous ne devrions pas baser nos actions sur les émotions. Nous sommes actuellement dans une phase où la RDC essaie de se repositionner sur la scène internationale. Nous devrions réfléchir aux décisions efficaces et durables.
Mercredi en fin de journée, le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi a également donné son point de vue au sujet des propos de Paul Kagame. Comment avez-vous trouvé ses réponses ?
Nelly Lumbulumbu : la RDC occupe aujourd'hui une place au sein du concert des nations africaines, nous saluons la sagesse du Président Tshisekedi sur les propos du président rwandais. Encore une fois, un président ne devrait pas agir sous le coup de l'émotion. Répondre à un mal par le mal est une aberration. Il faudrait plutôt que le Chef de l’Etat prenne ses responsabilités en tant que président de l'Union Africaine pour mettre fin à ces cycles des violences. La RDC étant le berceau de l'humanité et au cœur de l'Afrique, nos actions devraient être assez responsables.
En sécurité, les attaques et kidnappings se sont intensifiés dans le Sud-Kivu depuis l’instauration de l’Etat de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Dans la même interview du Chef de l’Etat, il a affirmé que la nature des conflits dans le Sud Kivu n’a pas permis d’y étendre l'État de siège. Quelles stratégies faudrait-il adopter, selon vous, pour rétablir la paix et la sécurité dans cette région ?
Nelly Lumbulumbu : je pense plutôt que le Sud-Kivu devrait également être pris en compte par l’Etat de siège, aux mêmes titres que le Nord-Kivu et l'Ituri. Il n’y a pas que des conflits communautaires et je suis persuadée que le Chef de l’Etat le sait. Les FLDR se trouvent également dans cette province, il y a des groupes armés tels que Yakutumba qui endeuillent des communautés. Il présente désormais un risque. Les groupes armés ont la possibilité de se cacher dans le Sud Kivu jusqu’à ce que l’opération (Etat de siège) se termine. Ils pourront ainsi regagner les deux territoires et commettre de nouvelles exactions. Il faut aussi penser aux groupes armés étrangers (Burundi et Rwanda) qui viennent se battre sur le sol congolais.
Cette question donne lieu à une autre interrogation. Qu’est-ce qu’il faut en plus pour la réussite de l'État de siège ?
Nelly Lumbulumbu : il faudrait faire intervenir les communautés dans cette opération. Plusieurs conflits communautaires se transforment en conflits régionaux lorsqu’ils ne sont pas résolus au bon moment. Il faudra aussi faire intervenir les femmes dans la recherche de la paix. Elles sont des acteurs clés mais souvent ignorés dans ces processus. De nombreuses femmes habitent dans les zones transfrontalières, elles ont des informations en temps réel sur la présence des étrangers ou des groupes armés dans leurs villages, mais elles ne sont pas souvent consultées. Il faudra mettre en place une structure qui servirait de pont entre les gouvernements militaires et les organisations féminines qui travaillent dans les zones en proie à des conflits pour permettre aux opérations d’avancer plus rapidement.
En justice, le procès sur les massacres de Yumbi, en province de Mai-Ndombe, s'ouvre le 26 mai. Sachant que plus de 80 personnes devraient comparaître, quelles sont vos attentes à ce sujet ?
Nelly Lumbulumbu : je pense que la justice va faire son travail et que les coupables seront sévèrement punis.
En santé, 68 cas de Covid-19 ont été rapportés jusqu'à ce vendredi. Les personnes vaccinées sont actuellement plus de 14.000 avec une prédominance estimée à 90 % des expatriés et encore moins des femmes. Qu’est-ce qui ralentit la soumission des congolais au vaccin selon vous ? Et que devrait faire le ministère de la santé pour les motiver à se faire vacciner ?
Nelly Lumbulumbu : nous demandons à nos frères et sœurs congolais de respecter les mesures barrières afin de prévenir la covid 19. Mais nous encourageons les dirigeants de notre pays à mettre en place une politique nationale de contingence pouvant permettre au pays de faire face aux différentes crises. Je crois qu’il y a aussi un déficit de communication. Lorsqu’une action doit être lancée dans une communauté, il est très important de pouvoir intéresser cette communauté. Nous avons eu cette expérience avec la maladie à virus Ebola. Nous avons enregistré beaucoup de morts parce que les communautés ont été impliquées après. Il y a des informations qui circulent à tous les niveaux, sur les réseaux sociaux et au sein des communautés, mais aucune version de la coordination de riposte. Il faudrait songer également à intégrer les organisations qui travaillent dans la sensibilisation.
Pour terminer, la RDC est en pleine quinzaine de la famille. Cette année, le thème choisi pour célébrer la journée internationale de la famille est "importance des nouvelles technologies pour la stabilité des familles congolaises face à la Covid-19". Comment appréhendez-vous ce thème ?
Nelly Lumbulumbu : par rapport à ce thème, la RDC devra permettre à toutes les familles congolaises d'avoir accès à la nouvelle technologie. Tout parent doit être en mesure de surveiller l'utilisation de ces services en les considérant comme outil de développement de nos familles. Veiller surtout à l'éducation des enfants, tout en mobilisant nos familles à lutter contre la Covid 19.
Votre dernier mot ?
Nelly Lumbulumbu : je vous remercie pour cet échange. Je souhaite que le Chef de l’Etat et tous les acteurs sociaux et politiques s’impliquent pour que la paix revienne finalement à l’Est de la RDC. Cela va faire plus de deux décennies que ça dure. Nous et nos enfants sommes nés dans la guerre. Nous sommes très rassurés par l'état de siège qui vient d’être décrété dans les territoires de l’Ituri et du Nord-Kivu. Nous sommes également déterminés à apporter notre contribution pour que la paix soit effective dans nos territoires.
Propos recueillis par Prisca Lokale