Chronique littéraire du Prof. Yoka: « Covid-19 : massacres des  écoliers au Kivu »

Une patrouille FARDC au Nord-Kivu. PH. ACTUALITE.CD

Confidences du chauffeur du Ministre

Yélélé ! Quel grand deuil au nord-Kivu ! Comme ne cesse de  le répéter mon  patron le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (à prononcer avec respect…), là-bas à l’est du pays, le  soleil ne se lève qu’avec les couleurs  de sang et en toute langueur. Là-bas, la mort est la chose la plus banale. Là-bas, comme disait un notable des lieux, chien écrasé trouve coin d’enterrement, mais pas femme ou enfant jetés vivants dans fosse commune…

… Yélélé ! Parlons-en justement des  enfants de là-bas. Ce matin-là, ils sont arrivés  ensemble à quatre, à leur école, au bout de la brousse. Quatre écoliers, quatre cousins sang-pour- sang. Mais un kilomètre à pied, ça n’a pas usé leurs pantoufles neuves. Neuves étaient leurs pantoufles et neufs étaient leurs uniformes. Neuve était l’humeur  des quatre cousins, deux filles et deux garçons entre sept et dix ans. A les voir aussi neufs, aussi désinvoltes malgré  la  torpeur gluante et habituelle de leur village, on les aurait pris pour des anges en plein enfer…

…Enfer. Ces enfants semblaient être vaccinés contre tout, même contre l’enfer. Vaccinéscontre la cascade       de conflits        interminables, de guerres fratricides et de barbaries abjectes. Puis est venue  la Covid-19. Pour ces enfants, cette nouvelle pandémie, après celle d’Ebola, n’était      qu’une anecdote de plus, une égratignure sur leur âme et leur peau endurcies. Enfants vaccinés contre les pandémies, parce que survivants miraculés. Chaque jour, entre deux saisons en enfer, c’était miracle. Le soleil qui se lève et se couche sur  leurs   têtes, c’est miracle. La maigre pitance pour se nourrir  une fois par jour et à tour de rôle en famille, c’est miracle. Pour les parents, rafistoler  des tissus bleu-blanc comme uniformes décents des enfants, c’est miracle.

…  Miracle aussi que d’arriver ce matin à temps à l’école, pour des examens d’Etat reprogrammés après la Covid-19. L’enthousiasme des enfants à retrouver leurs amis et leurs maîtres, c’était miracle.

Yélélé ! Yélélé ! Et voilà qu’en pleine journée, au moment où l’école se remplissait et qu’enfin le soleil a souri d’un éblouissement inhabituel, la foudre a frappé, frappé, frappé…

La foudre ?   Non, plus que la foudre : des crachats incendiaires des fusils kalachnikov déchargés par des hordes sauvages de milices complètement démentes. Ces milices de  fous furieux ont déferlé dans l’école et ont tout saccagé. Jusqu’à tirer à balles réelles dans les classes. Le ciel soudain s’est assombri, lacéré par des éclairs de foudre. Et par terre, des cadavres d’enfants déchiquetés, dont les quatre cousins. Comme des rats écrasés, comme des riens…Et leurs cahiers, et leurs ardoises, et leurs pantoufles, et leurs uniformes neufs, tout ça éclaboussé de sang et de boue !

Yélélé !  Cris de douleur des survivants, cris portés en échos lugubres de colline à colline.

Yélélé ! A deux mille kilomètres de là, ici à Kinshasa, je crois entendre encore des échos lugubres. Qui secouent et interpellent notre    conscience de parents désemparés et impuissants, jusqu’au Ministre, lui aussi désemparé et encore plus impuissant…

Parmi les échos lugubres, cette interview à  la radio  du papa endeuillé de l’une des écolières assassinées. Voici sa confidence : « chaque matin, je me lève tôt, angoissé,  pour vérifier au seuil de ma case si mon propre cadavre m’attend ou pas… »

 

(YOKA  Lye)

7-8-2020