RDC: malaise au sujet de l’éventualité de nomination des mandataires sur base d’arrangements politiques

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Des tractations ont commencé au sujet de la nomination des mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics sur la base   d’arrangements politiques. Le Front Commun pour le Congo (FCC) et Cap pour le Changement (CACH) s’apprêtent à désigner ceux qui gèreront les entreprises publiques. Pour sa part, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) se dit vivement préoccupée par les modalités sur base desquelles le processus de désignation des mandataires publics devrait être mené. L’organisation dit avoir appris que cela devrait se passer de la même manière que pour la formation du gouvernement. « Si cette démarche était avérée, elle constituerait une violation flagrante et délibérée de la Constitution de la République Démocratique du Congo », dit l’ACAJ qui a écrit une lettre ouverte à ce propos.

Lettre ouverte de l’ACAJ à la Coalition FCC-CACH sur l’éventualité de nomination des mandataires sur base d’arrangements politiques

Kinshasa, le 22 février 2020-

A Monsieur le Coordonnateur du« Front Commun pour le Congo » (FCC)

A Monsieur le Coordonnateur du« Cap pour le Changement » (CACH)

à KINSHASA- République Démocratique du Congo

Concerne: Opposition de l’ACAJ à la nomination des mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics sur la base   d’arrangements politiques

Messieurs les Coordonnateurs,

Par médias interposés, l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice, ACAJ en sigle, est informée de ce que vous vous apprêterez, dans les prochains jours, à faire nommer de nouveaux mandataires publics, non seulement dans les Entreprises publiques transformées, mais également dans les Etablissements publics. Cette initiative est louable dans la mesure où ces unités de production étatiques constituent des instruments économiques indispensables pour la matérialisation de la vision politique du Président de la République.

Cependant, au regard des informations en notre possession, l’ACAJ est vivement préoccupée par les modalités sur base desquelles le processus de désignation des mandataires publics devrait être mené.

En effet, il nous revient que les mises en place projetées devraient faire l’objet d’un partage entre les membres de la coalition FCC-CACH ce à l’instar des règles ayant présidé à la composition de l’équipe gouvernementale. Si cette démarche était avérée, elle constituerait une violation flagrante et délibérée de la Constitution de la République Démocratique du Congo.

Dans le cadre du partenariat constructif noué entre la société politique et la société civile, l’ACAJ saisit cette opportunité pour user de son droit citoyen aux fins de vous alerter sur les risques et les dérives potentiels d’un quelconque arrangement politique en vue de la mise en place d’un nouveau management aux commandes des Entreprises et Organismes publics.

Notre contribution présente un bref historique des entreprises publiques, ainsi que les propositions formulées par l’ACAJ.

Messieurs les Coordonnateurs,

D’aucuns n’ignorent que le Congo fut pour le Royaume de Belgique un réservoir de matières premières. En effet, grâce à sa colonie, la Belgique était le premier producteur mondial de radium, de diamant, de cobalt, de copal et d’ivoire ; le deuxième pour les noix palmistes; le troisième pour l’huile de palme; le quatrième, le sixième et le treizième respectivement pour le cuivre, l’étain, l’or et l’argent. Les richesses minières et agricoles avaient provoqué l’éclosion en Belgique de nouvelles branches d’industrie et la création de nombreux emplois. C’est le cas de la société métallurgique d’Hoboken, qui traitait les métaux non ferreux et fournissait à elle seule du travail à près de 4 000 ouvriers belges tandis que le traitement du diamant employait 15 000 ouvriers environ.

L’apport de la colonie à l’économie belge fut également considérable dans d’autres secteurs comme les transports maritimes et l’ingénierie.

Quelques deux semaines seulement avant la proclamation de l’indépendance en juin 1960, le Parlement belge vota une loi qui offrait aux sociétés coloniales, et de droit congolais, la possibilité de se transformer en sociétés de droit belge. La manœuvre consista à placer ces entreprises sous la protection de l’État belge dont elles contribuaient à l’économie mais aussi à créer des filiales congolaises auxquelles elles feraient apport de leurs actifs, à l’exception de la trésorerie. La plupart des grandes entreprises coloniales saisirent la perche tendue et se muèrent en holdings de droit belge.

Ces dernières ne détenaient dans la plupart des cas comme seules participations que la totalité des titres de leurs filiales congolaises. Elles mettaient ainsi à l’abri leurs avoirs hors du Congo, en cas de nationalisation pure et simple de l’ensemble de l’appareil productif congolais. Il avait été aussi décidé de la dissolution des sociétés à charte d’autant plus que la Table-ronde économique d’avril 1960 avait conclu au transfert du portefeuille de la colonie au nouvel État.

Pendant les cinq premières années de l’indépendance, le sort des entreprises a été suspendu à l’évolution politique du Congo. Les conflits armés ont perturbé la production, les transports, l’exportation et ont favorisé la fraude. D’où, le déficit de la balance des paiements que le Fonds monétaire international (FMI) a tenté de contenir, en imposant une restriction dans l’exportation de devises. Les entreprises ont éprouvé des difficultés pour assurer le service des emprunts et verser les dividendes aux actionnaires, tout comme pour rémunérer les capitaux. L’inflation a eu des répercussions sur les dépenses salariales et l’importation des équipements.

L’accord de février 1965 relatif au contentieux belgo-congolais est une étape importante dans l’évolution des actifs belges au Congo. Il a consacré le partage de la dette publique de l’ancienne colonie et de son portefeuille. L’État devenait ainsi actionnaire dans de nombreuses entreprises et même actionnaire majoritaire dans d’autres comme l’ONATRA, principale société de transport fluvial et de gestion des ports maritimes de Banana, Boma et Matadi. L’État a aussi fait son entrée dans le capital de l’Union minière à concurrence de 20 %, de la Compagnie maritime congolaise à hauteur de 30 %, de la Forminière à hauteur de 55 %, d’Air-Congo à hauteur de 65 %. Enfin, il est devenu également actionnaire dans les filiales des sociétés ayant adopté la nationalité belge entre 1960 et 1961. Toutes ces entreprises ex-coloniales avaient des réserves importantes d’argent qu’elles n’injectèrent pas dans leurs filiales congolaises, à la rentabilité limitée, sinon nulle.

Par ailleurs, les sociétés ex-coloniales qui formaient le groupe de la Société générale de Belgique, ont refusé de devenir des sociétés à portefeuille. L’avènement de la Deuxième République en novembre 1965 redonna confiance aux milieux politiques et d’affaires belges.

Le Congo était encore perçu comme un élément important de l’économie belge en termes d’emploi, de valeur ajoutée aux matières premières, de contribution au revenu national, sans compter les bénéfices des sociétés actives ou en lien avec lui. Mais ils déchantèrent en mai 1966, lorsque le Président Mobutu a remis en question le règlement du contentieux belgo-congolais de février 1965. Il imposa également une taxe générale de 7,5 % sur les affaires, sans compter les ponctions fiscales multiples et les impôts indirects élevés. La conséquence est que les marges de profit des sociétés se réduisaient.

Le nouveau régime s’en prit aussi aux sociétés ex-coloniales ayant adopté le droit belge. Une loi du 7 juin 1966 imposa le transfert obligatoire du siège social de ces sociétés étrangères ayant leur principal siège d’exploitation au Congo. Les sociétés qui ne s’y étaient pas conformées, ont été retirées du registre de commerce et interdites d’exercer au Congo.

Dans sa quête pour asseoir son autorité, le Président Mobutu avait dans son viseur les milieux d’affaires étrangers dont il recherchait l’engagement à son pouvoir. La gestion des entreprises en pâtit. C’est le cas de l’Union minière dont le refus des dirigeants de transférer le siège de la société au Congo a entraîné la nationalisation de ses actifs congolais en décembre 1966. Mobutu créa alors une société d’État, la GECOMINES, pour les exploiter. Mais une filiale de l’Union minière, la Société générale des minerais, a gardé la main, quant à l’assistance technique et la commercialisation des minerais.

Le processus de dégagement de l’économie zaïroise des influences extérieures se poursuivit en novembre 1973. Quand Mobutu a décidé de «zaïrianiser» la plupart des entreprises détenues par des étrangers dans divers secteurs comme la construction, les hydrocarbures, les mines, l’agriculture et l’élevage… L’État a donc repris leurs actifs avant de les confier à des Zaïrois, dont des proches du président Mobutu, ses collaborateurs et les membres de leurs familles ou des fidèles soutiens politiques. L’ignorance et l’incurie des nouveaux propriétaires a entraîné la faillite rapide de la plupart de ces affaires. Mobutu dut faire marche arrière et l’État reprit tout à son compte. C’est dans ce cadre qu’intervint la Loi N° 78-002 du 06 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques.Force est de constater que cette Loi n’a rien résolu.

Tirant les leçons de ces échecs à répétition, le gouvernement de la RD Congo a initié en 2008, via le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP), la réforme de son portefeuille par la transformation des Entreprises publiques en sociétés commerciales. Ladite réforme a débouché sur la mise en place d’un nouveau cadre juridique porté par les instruments juridiques ci-après:

Loi n° 08/007 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques;

Loi n° 08/008 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives au désengagement de l’Etat des entreprises du portefeuille;

Loi n° 08/009 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales applicables aux établissements publics; et

Loi n° 08/010 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’Etat.

Plusieurs années après la mise en œuvre de toutes ces réformes, le constat est accablant. Toutes les recettes imaginées pour tirer vers le haut la cinquantaine d’entreprises publiques, dont une vingtaine transformée en sociétés commerciales, s’avèrent inopérantes. Il faut se rendre à l’évidence aujourd’hui que le problème ne réside pas dans lenouveau statut juridique accordé, mais plutôt dans les pratiques de gestion qui demeurent peu orthodoxes.Pendant longtemps, les entreprises publiques ont fonctionné dans cette logique au point que toutes sont devenues au fil du temps un fardeau pour l’État propriétaire, donc des «canards boiteux». Si les sociétés dans lesquelles l’État est l’unique actionnaire se trouvent dans une situation de quasi-faillite, ce n’est pas que les mandataires qui les ont gérées ou les gèrent sont tous incompétents. On retrouve quelques-uns ayant le profil managérial requis. En revanche, les nominations dans les entreprises publiques sur fond de clientélisme politique et de népotisme et la culture de gestion ambiante constituent la véritable gangrène. On confond souvent mandat public et politique. Sinon, comment comprendre que les sociétés publiques aient été bien gérées et réalisant des profits, sous l’époque coloniale; alors que les mêmes sociétés ne le soient pas actuellement?

C’est pourquoi, dans la perspective de nouvelles mises en place nous attirons la particulière attention à votre Coalition sur les risques de récidiver dans les mêmes erreurs consistant à abandonner le choix des différents managers aux diktats des partis ou regroupements politiques.

Comme stipulé ci-dessus, cette recette amplifiée du reste par l’accord politique de Sun-city, n’a pas permis aux entreprises publiques ni d’être compétitives, ni encore moins de générer des ressources nécessaires au profit de l’Etat-propriétaire et/ou unique actionnaire. Elles ont tout simplement été transformées en machines à sous au profit des partis politiques. Pire, le concours de recrutement des mandataires publics, imaginé jadis comme recette-miracle et organisé tambour battant, n’a pas non plus donné des résultats escomptés.

Il appert clairement que s’inscrire à nouveau dans ce schéma constituerait une mise à mort certaine et programmée de toutes ces entités productrices. La tentation qu’un groupe des partis politiques s’arroge le droit de conclure des arrangements particuliers et égoïstes pour se partager le patrimoine de l’Etat, à l’instar d’un butin de guerre, est non seulement indécente, mais également un déni total de l’Etat de droit tant rêvé par le peuple congolais. 

Pour votre gouverne, la Constitution de la République Démocratique du Congo, en son article81 dispose: «Sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres: 1. les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires; 2. les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu; 3. le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le Conseil supérieur de la défense entendu; 4. les hauts fonctionnaires de l’administration publique; 5. les responsables des services et établissements publics; 6. les mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics, excepté les commissaires aux comptes. Les ordonnances du Président de la République intervenues en la matière sont contresignées par le Premier ministre». Nulle part, le constituant ne subordonne la nomination des mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics à un arrangement politique de quelque nature que ce soit. En conséquence, toute autre démarche constitue une violation flagrante et délibérée des prescrits pertinents de la charte fondamentale, en particulier son article 12 qui établit l’égalité de chance entre congolais en ce qui concerne l’accès aux fonctions dans les services, entreprises et organismes publics.

Au demeurant, l’entreprise publique gère dans la plupart des pays une part importante du patrimoine collectif, c’est ainsi qu’il incombe à l’autorité pourvue du pouvoir de nomination de respecter dans ses choix des critères de gouvernance stricts et rigoureux. En plus, dans son discours d’investiture le Président de la République, chef votre majorité au pouvoir, avait mis l’accent particulier sur la gouvernance orthodoxe des entreprises publiques, appelées dorénavant à occuper une place importante dans les grandes orientations stratégiques du gouvernement.

Dès lors, l’ACAJ espère que vous ne vous laisserez guider que par le respect des articles 12, 81 et 193 de la Constitution; et ne céderez point au chant de sirènes dont les motivations sont totalement étrangères à l’intérêt général. Elle recommande de mettre fin à la pratique anticonstitutionnelle d’après laquelle, pour accéder aux charges dans un service, entreprise ou organisme public il faut d’abord appartenir à l’un de partis politiques membre de la Coalition au pouvoir!

Veuillez agréer, Messieurs les Coordonnateurs, l’expression de nos sentiments patriotiques.

Pour l’ACAJ,

Me Georges KAPIAMBA

Président National

CI : -Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat

(Avec nos hommages les plus déférents)

– Honorable Présidente de l’Assemblée Nationale

– Honorable Président du Sénat

– Excellence Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement

– Excellence Monsieur le Ministre du Portefeuille

– Monsieur le Président National du PPRD

– Monsieur le Président a.i de l’UDPS

– Monsieur le Président de l’UNC

– Monsieur le Secrétaire Permanent du PPRD

– Monsieur le Secrétaire Général de l’UDPS

– Monsieur le Secrétaire Général de l’UNC

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