Nord-Kivu : Le casse-tête des déplacés incontrôlés et non identifiés

Un arrêté du gouverneur Julien Paluku du Nord-Kivu signé le 3 mai 2017 mais  révélé à la presse seulement le 20 mai, met en place une commission permanente d’enregistrement et d’identification des déplacés internes en province du Nord-Kivu. L’arrêté stipule que cet enregistrement se fera avec le concours de la population locale de chaque contrée ciblée.

«<em>La commission d’enregistrement et d’identification doit établir avec certitude l’identité de chaque déplacé, son ménage, son lieu de provenance, la date d’arrivée et le lieu d’établissement dans la contrée concernée»</em>, dit le document.

Le gouverneur Julien Paluku a pris la mesure alors que le Nord-Kivu est confronté à une vague de migration des personnes se présentant comme originaires de certaines localités du territoire de Masisi (Ouest de la ville de Goma). Les migrants se dirigent depuis l’année dernière (2016) dans la province de l’Ituri (Nord-Est) via les territoires de Rutshuru, Lubero et villes de Butembo ainsi que Beni. Ils disent être à la quête de terres arables, raison de leur déplacement massif en direction de la chefferie de Bahema-Boga (Territoire d’Irumu), environ 130 kilomètres au Sud de Bunia. En 2016, à Butembo, les habitants ont brûlé vifs deux déplacés qui ne parlaient pas la langue du milieu, n’avaient ni cartes d’électeur sur eux. Un
crime condamné par les autorités.

Les observateurs s’étonnent cependant que les familles se déplacent à 50 ou 80 en même temps pour chercher des meilleures conditions de vie. En outre, ils se déplacent avec  des outils aratoires (machettes, houes…) alors qu’ils peuvent les acheter sur leur nouveau lieu d’habitation. Pour Thomas d’Aquin Muiti ,président de la Société civile du Nord Kivu, certains ne connaissent pas leurs villages d’origine.

<b>Un arrêté qui restreint la liberté de mouvement</b>

Suite à une motion incidentielle du député Jaribu Muliwavyo au cours de la plénière du 27 mai 2016, l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu avait alors voté à l’unanimité pour la suspension de déplacements massifs des personnes venant de Masisi et Rutshuru pour l’Ituri. Le gouverneur Paluku avait à la même date, validé la décision de l’organe délibérant en signant une note circulaire interdisant tout mouvement suspect des populations inconnues sur toute l’étendue de la province et dans le territoire de Beni, en particulier. Le chef de l’exécutif provincial avait motivé sa mesure par l’insécurité qui a occasionné
des massacres des populations civiles dans la région.

<em>«Aux maires des villes, aux administrateurs des territoires, aux bourgmestres des communes et aux chefs des chefferies et secteurs de suspendre les mouvements suspects des populations inconnues dans leurs entités respectives»,</em> avait ordonné le gouverneur. Dans un sit in organisé devant le gouvernorat de province pendant trois jours à Goma le 12 mai ,80  hutus  refoulés à partir de Beni, ont exigé leur liberté de mouvement.
Pour Maître Fataki Luhindi ,président du Barza intercommunautaire (créé depuis 1998) en province, c’est un problème d’ordre public.<em> «Nous les communautés réunies au sein du Barza, n'intervenons pas directement mais s’assurons que cela  ne débouche pas sur un conflit</em>
<em>communautaire»</em>

<b>Contexte</b>

La ville et territoire de Beni (Nord-Kivu) ainsi qu’une partie de la province de l’Ituri sont sous de sérieuses menaces des rebelles ougandais de Forces de l’Alliance Démocratique (ADF) auxquelles l’on attribue les massacres depuis septembre 2014 d’environ 1400 civils, selon la société civile et près de 800 d’après l’ONU. Mais selon
plusieurs rapports des experts de l’ONU, certains fils du terroir seraient commanditaires de ces massacres perpétrés principalement par armes blanches (machette, hache, couteau…). En dépit des visites de hautes autorités congolaises dans la région, la permutation ou mieux le remplacement de certaines unités de l’armée congolaise jugées “complices”, les violences à l’endroit des civils se sont poursuivies jusqu'au début de cette année bien qu’il y ait une accalmie apparente ces cinq derniers mois. Actuellement, le procès d’une soixantaine de présumés ADF et leurs complices se tient à Beni.

<b>Opposition des députés de l’Ituri à la migration vers leur province</b>

Les députés nationaux, membres du caucus parlementaire de la province de l’Ituri, s’opposent à la nouvelle vague de migration «massive et incontrôlée» des Hutus-rwandais en provenance du Nord-Kivu, vers l’Ituri.

«L’identité de Banyabwisha leur attribuée n’est qu’une distraction et une stratégie pour leur permettre d’envahir la province de l’Ituri et de déposseder les Ituriens de toutes leurs terres natales et ancestrales sur base d’une interprétation erronée de l’article 30 de
la constitution de la RDC », ont dit ces élus dans une déclaration le 22 mai 2017 à Kinshasa.

Les parlementaires de la province de l’Ituri se rallient à la décision du gouverneur de la province du Nord-Kivu de mettre en place une commission mixte de vérification et d’identification afin de déterminer avec précision les villages d’origine de ces milliers Hutu-rwandais. Et d’après la Commission nationale pour les Réfugiés (CNR), outre les rebelles FDLR,  199 000 réfugiés civils rwandais restent présents au Nord-Kivu, sur un total de 245 000 en RDC. 250 réfugiés rwandais gardés au centre de transit de CNR à Goma ont remis cette semaine des cartes d’électeurs de la RDC obtenues illégalement dans divers villages du Nord-Kivu.

<b>Patrick Maki</b>