La pièce de théâtre “Histoire générales des murs”, de l’écrivain congolais Sinzo Aanza a clôturé la troisième édition du festival des Rencontres Dramaturgiques de Kinshasa. Au Tarmac des auteurs, dans la commune de Kintambo, ce mercredi 11 juin, le public a suivi ce spectacle haut en humour, philosophie, littérature et surtout en poésie, mis en scène par le metteur en scène Noel Kitenge. Traitant d’un sujet aussi simple que l’amour, le texte prend des virages aussi complexes et tabous que l’amour entre deux personnes de meme sexe.
“Histoire générales des murs” est une comédie dans laquelle la confrontation de deux femmes voisines séparées, non seulement par un mur mitoyen mais aussi par l’appartenance à des classes sociales différentes. La pièce a déjà été présentée en 2018 à l’Institut Français de Kinshasa. L’auteur, Sinzo Aanza, est une figure qui compte dans la nouvelle génération d'écrivains, dramaturges et artistes plasticiens de la RDC. Son œuvre, à la fois littéraire et visuelle, s'ancre profondément dans les réalités congolaises, explorant avec une plume poétique et irrévérencieuse des thèmes cruciaux tels que la politique, l'exploitation des ressources, les identités nationales et la perception du Congo depuis l'époque coloniale.
Quatre artistes comédiens se succédaient deux à deux puis les 4 sur la scène dans cette ”Histoire générale des murs”. Cette représentation plonge dans une discussion teintée de disputes entre des personnages qui, en réalité, “s’aiment” mais dont un mur séparent et les circonstances de vie ou les situations sociales ne rapprochent pas au premier regard. Malgré ce qui séparent les deux parents notamment, les deux enfants, deux garçons, s’aiment et veulent se mettre en couple.
Deux femmes, deux mondes : un mur entre les classes sociales
D’un coté une femme distinguée, parée, maquillée et habillée avec goût et classe ; de l’autre une femme au foyer, sans maquillage ni bijoux, habillée pour la vie quotidienne. Chacune des femmes a un fils. Le Tarmac des auteurs est plein lorsque le premier débat éclate entre les deux femmes si ingénieusement incarnées par Maguy Kalomba et Sifu Kabala. Lumière déclinante devant les décombres d’un mur qui s’étalent dans un mouvement de chute, à quelques heures de la catastrophe. Le mur érigé en brique sur la scène séparait deux propriétés mais n'empêchait pas de s’adresser la parole.
Du génie de l’auteur de la pièce à la maestria des interprètes papiers en mains, la fluidité du spectacle n’a pas tardé à convaincre un public venu si nombreux ce soir de clôture du festival des Rencontres dramaturgiques de Kinshasa. Selon plusieurs spectateurs qui ont suivi les trois jours, le meilleur était pour la fin.
“C’est aujourd’hui qu’on a vraiment regardé du théâtre, c’était formidable, j’ai beaucoup aimé. Je me suis retrouvé sur plusieurs sujets qu’ils ont évoqués. Je n’ai pas eu l’impression que c’était une lecture, je pensais qu’ils jouaient en ayant mémorisé. C’était tout simplement formidable”, a souligné un spectateur.
Dans la discussion entre les deux garçons, celui de la femme non maquillé s’illustre particulièrement par sa maitrise de la poésie. Il joue avec les mots pour capter l’attention de l’autre garçon en guise de parole de drague afin de gagner son cœur. Là où, celui qui écoute est fort en dessin. Curieusement, les deux fils des deux femmes voisines ne se connaissent même pas de noms même si le feeling passe déjà. Le regard du fils de la femme non maquillée, les mots soigneusement placés, la présence sur scène ont provoqué des réactions immédiates dans le public qui voyait le venir à son objectif à grand feu.
Humour, philosophie, littérature et poésie qui remplissent les lignes de cette narration passent naturellement sans une seule goutte d'ennui dans le public. Sans non plus des couacs dans les interactions entre comédiens. Un niveau de professionnalisme apprécié par de nombreux spectateurs, leur permettant d'être à fond avec les artistes pendant l’heure que la prestation a prise et réagissant à chaque basculement.
Parler de sexualité en Afrique : briser les silences familiaux
La problématique centrale est l’amour. Dans ce cas de figure, les deux fils veulent s’aimer, ce qui n’est pas du goût de leurs parents respectifs qui perçoivent mal les relations amoureuses homosexuelles et rejettent la faute chacune à l’enfant de l’autre. Le message intrinsèque est un questionnement sans point de vue radical sur la question dans une société africaine encore réticente vis-à-vis de cette réalité. Au spactateur de se faire son avis après avoir suivi la pièce, estime Sifu Kabala, comédienne qui a incarné le role de la femme non maquillée.
« Le message de ce texte, j’aimerais que chacun le trouve parce que nous n’avons pas tous la même tendance ou croyance. L’amour entre deux personnes des mêmes sexes est un sujet tabou ici chez nous mais qui est compris ailleurs différemment. Je ne me positionne pas, je laisse les spectateurs donner leur avis. Je n’ai pas le droit de juger ni de regarder les autres de mauvais œil », souligne-t-elle à ACTUALITE.CD
L’autre facette de cette représentation théâtrale est le côté tabou des discussions sur les sexes entre parents et enfants africains en général. Cela pourra éviter les maladies sexuellement transmissibles, les grossesses prématurées et bien d’autres méfaits aux plus jeunes, ajoute la comédienne.
« Entre nous africains, le sexe demeure un sujet tabou. Moi, c’est ma grand-mère qui m’en a parlé même si elle n’allait pas en détail. En tant que parent, on devrait parler de cela à nos enfants parce que s’ils vont apprendre ailleurs, ils peuvent ne pas bien comprendre. Les parents pourraient bien les orienter. A un certain âge, il faut en discuter en famille avec les enfants », dit-elle.
Les à-côtés liés à la proximité du Tarmac des auteurs aux parcelles dans la cité - bruits de la circulation notamment pouvant déranger la prestation- n’ont pas pris le dessus sur la concentration aussi bien des spectateurs que des acteurs. La soif de voir une prestation avec des textes mémorisés a été comblée par les éclats de rire et des applaudissements qui ont émaillé la prestation. Une expérience marquante qui laisse l’envie aux profanes de revenir au théâtre.
Rencontres Dramaturgiques de Kinshasa : un festival au service de la parole libre
Les Rencontres Dramaturgiques de Kinshasa sont un événement culturel phare dans le paysage théâtral congolais. Ce festival biennal, principalement organisé par le Tarmac des Auteurs, est une plateforme essentielle dédiée à la promotion et au renforcement de l'écriture dramatique contemporaine en RDC. L’objectif est d’offrir un accès direct à la voix des auteurs, faire vibrer le public au rythme des émotions portées par les textes et interroger le monde à travers la fiction théâtrale.
Pendant trois soirées, comédiens et metteurs en scène ont donné vie à des textes puissants, oscillant entre le classique et le contemporain, entre le politique et l’intime. Parler d’amour aujourd’hui, c’est faire un état des lieux de l’humain, estiment les organisateurs, pour qui cette édition avait pour but de sonder les profondeurs des émotions humaines, loin des clichés et des stéréotypes.
La programmation de cette 4ème édition des Rencontres Dramaturgiques de Kinshasa a été une véritable radiographie des passions humaines, entre désir, jalousie, trahison, tendresse et désamour. William Shakespeare, Joël Pommerat, Sinzo Aanza et Bernard-Marie Koltès sont les auteurs qui étaient à l’honneur.
À l’image d’un concert pour la musique, les lectures scéniques ont donné aux mots des auteurs une dimension vivante et vibrante. Les comédiens, parmi lesquels Sephora, Tatiana, Nadine, Georges, Angèle, Esther, Jordy, Jérémie, Landry, Kevine, Melissa et William, ont prêté leurs voix et leurs corps à ces histoires d’amour bouleversantes.
Kuzamba Mbuangu