Dans le cadre de la campagne des 16 jours d’activisme de lutte contre les violences basées sur le genre lancé le 25 novembre, le Desk Femme d’Actualité.cd s’est entretenu avec l'avocate Nene Bintu pour comprendre l'attirail juridique dont dispose l’Etat congolais pour lutter contre les violences à l’égard des femmes.
Bonjour Madame Nene Bintu pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Nene Bintu : Je suis avocate et membre du conseil de l'ordre du barreau du Sud- Kivu. Je suis également membre du Groupe thématique élections et bonne gouvernance et je suis vice-présidente du bureau de coordination de l’Association sans but lucratif Simama Congo.
Comment définiriez vous les violences faite à l'égard des femmes ?
Nene Bintu : Il n’y a pas de définition unanime par rapport aux violences basées sur le genre, par ce qu'il y a plusieurs textes qui parlent de ces violences à l'égard des femmes Je fais ici référence à l'article 13 de la constitution du 18 février 2006. Le 20 juillet 2006, nous avons eu la loi qui légifère contre les violences sexuelles, nous avons la loi sur la parité qui essaie de définir non pas la violence faite à l'égard des femmes, mais la violence sexiste. C'est une loi qui a déjà été publiée le 01 août 2015, elle porte sur les modalités d'application des droits de la femme et de la parité, conformément à l'article 14 de la Constitution et aux nombreuses conventions de protection des droits des femmes auxquelles la RDC a adhéré au niveau international. Il faut aussi savoir que dans la parité, on définit beaucoup de choses comme l'égalité, l'équité et le genre.
Au point 13, on définit que la violence sexiste est un acte perpétré contre les femmes et les hommes, les filles et les garçons au titre de leur sexe qui occasionne en leurs endroits un dommage physique, sexuel, psychologique, émotionnel ou économique.
Quels sont les types de violences basées sur le genre ?
Nene Bintu : La loi du 20 juillet 2006 prohibe ou interdit 16 formes de violences sexuelles. Principalement, on parle de viol, harcèlement sexuel, proxénétisme, attentat à la pudeur, la grossesse forcée, mariage forcé, de l'excitation des mineurs à la débauche, de la pornographie mettant en scène les enfants, de la prostitution forcée, de l'esclavage sexuel, de la mutilation sexuelle, de la zoophilie, de la stérilisation forcée, de la prostitution des enfants. Pour ces actes de violence, les peines varient selon la gravité de l'infraction de 1 à 25 ans ou même de la peine de mort ou de la perpétuité lorsque ces infractions ont causé la mort de la victime.
Que dit la loi et la Constitution de la République Démocratique du Congo sur les violences basées sur le genre ?
Nene Bintu : Les articles 12 et 13 de la Constitution disent qu'on ne doit pas discriminer les femmes, qu'on doit lutter contre toute violence à l'égard des femmes et l'article 14 qui consacre la parité. Il y a eu une réforme au mois de septembre 2023, le Chef de l'État a promulgué l'ordonnance 3 n•23/023 du 11 septembre 2023 qui modifie le code pénal congolais du 30 janvier 1940 et cette loi réprime les violences basées sur le genre. On parle particulièrement de l'intimidation et la stigmatisation. En l'article 174 b, on dit qu'est constitutif d'infraction d'intimidation et de stigmatisation basée sur le genre tout acte de harcèlement, de représailles et de menace commis intentionnellement à l'encontre d'une personne, de ses proches, des témoins, des dénonciateurs ayant pour but d'entraver la prise en charge des victimes et la poursuite des auteurs. Toute personne reconnue coupable d'infraction définie à l'alinéa précédent est punie de 6 à 24 mois d'une amende de 500 millions de francs congolais.
Nous avons des coutumes rétrogrades notamment le lévirat et le sororat qui sont aussi des violences faites aux femmes.
- Le lévirat : c'est lorsque votre mari meurt qu'on vous force à épouser son petit frère ou un membre de sa famille selon la coutume.
- Le Sororat est un mariage arrangé qui vise à reconduire une alliance matrimoniale en remplaçant la femme décédée par sa sœur cadette. Et la loi dit que celui qui sera contraint de son affaire de sororat ou lévirat sera puni d'un 1 à 3 ans d'une amende de 500 milles à 1 million de francs congolais.
Le paragraphe 18 de cette loi réprime à son tour les violences basées sur le genre à travers le réseau de communication ou d'information et l'article 174 b dit ceci: quiconque sera procuré pour menacer méchamment de publier des informations peu importe les procédés utilisés sur le réseau de communication ou autre plate-forme de nature à porter atteinte à l'honneur ou la réputation d'une personne en raison de son genre est puni de servitude pénale de 3 à 5 ans et d'une amende de 5 millions à 10 millions de francs congolais et en cas de récidive l'auteur est puni d'une peine de 5 à 10 ans de servitude pénale principale et d'une amende de 10 millions de francs congolais.
Nous avons également ce qu'on appelle le voyeurisme qui est le fait d'user de tout moyen afin d'apercevoir les parties intimes d'une personne lorsqu'il est commis à l'insu ou sans le consentement de la personne. Ici, les peines varient de 1 à 3 ans et les amendes de 500 milles à 1 million de francs congolais. Actuellement le pays a instauré une nouvelle infraction intitulée '' le chantage '', c'est le fait d'obtenir contre le gré d'une personne en la menaçant de révéler les faits de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération en raison de son sexe, sa signature, un engagement, une renonciation, révélation d'un secret ou soit la remise de fonds de valeur ou de biens quelconques ou obtenir une faveur de nature sexuelle. Et là, celui qui aurait commis du chantage sera puni d'une servitude pénale principale d'un an à trois ans et d'une amende de 500 milles à 1 million de francs congolais.
Comment les femmes victimes des violences peuvent obtenir justice ? Quelle procédure suivre ?
Nene Bintu : l'ordonnance Loi 023/024 du 11 septembre 2023 stipule la procédure à suivre pour obtenir justice. Au niveau de l'article 7, il est dit que sans préjudice du droit à l'assistance judiciaire par un conseil de son choix, la victime de violences basées sur le genre a droit à l'assistance gratuite à toutes les étapes de la procédure. La juridiction saisie les infractions de violences basées sur le genre et ordonne avant dire droit le cas échéant une requête sociale et un accompagnement psychosocial de la victime. Les frais de procédure en matière de violences basées sur le genre sont à charge du Trésor public. C'est une manière d'encourager les victimes à ne pas avoir toujours pour motif que la justice coûte cher.
Il y a aussi la loi du 22 décembre 2022 sur la réparation qui spécifie qu'en cas de violences sexuelles ou d'autres exactions des droits humains, on peut donner un conseil gratuitement au niveau des barreaux. La victime ne peut plus payer les frais et elle peut aussi avoir un accompagnement gratuit des associations de défense des droits de l'Homme pour obtenir justice. On ne peut plus selon les réformes récentes exiger à la victime de payer les frais de justice avant d'obtenir l'exécution du jugement.
Comment peut-on arriver à l'élimination des violences faites à l'égard des femmes ?
Nene Bintu : en appliquant notamment les lois. Nous avons déjà beaucoup de lois qui sont en faveur des victimes, ces lois doivent être mises en œuvre par les cours et tribunaux, la sensibilisation doit continuer pour que les gens comprennent que les violences sont des freins au développement et doivent être bannies sous toutes leurs formes. Les femmes doivent dénoncer et ne doivent pas faire des arrangements à l'amiable parce que cela encourage à ce que ce genre de violences soit commis, il faut que les victimes soient indemnisées.
Nous devons également continuer à sensibiliser sur la masculinité positive pour que les hommes soient les alliés des femmes dans la lutte contre les violences basées sur le genre.
Votre dernier mot ou conseil pour l'amélioration de la justice congolaise en matière de violence basée sur le genre
Nene Bintu : nous avons eu des nouveaux magistrats et j'espère qu'ils vont renforcer l'appareil judiciaire. Je pense aussi qu'il faut améliorer les conditions des magistrats, il faut appuyer les barreaux par ce que la gratuité des frais de justice et assistance judiciaire implique automatiquement la prise en charge du barreau par le trésor public par ce que nous le faisons au nom de l'État comme auxiliaire de la justice.
Je demande aux femmes victimes qu'elles ne se taisent pas, briser le silence et dénoncer cela pourrait contribuer à éliminer les violences, mais aussi j'en appelle à l'éducation en famille sur les valeurs. Il n'y a pas de coutumes qui favorisent les violences, donc nous devons parler en famille, à l'école, on doit demander aux uns et aux autres d'être responsables et de faire de la lutte contre les violences sexuelles une lutte commune et une urgence sociale.
Grace GUKA