A quoi sert l’argent décaissé en faveur de la RDC?  Les vérités de Kristalina Georgieva, Directrice Générale du FMI, sur sa visite à Kinshasa - Interview exclusive 

 Kristalina Georgieva, DG du FMI
Kristalina Georgieva, DG du FMI

Directrice Générale du Fonds Monétaire International, Kristalina Georgieva sera en visite officielle en RDC du 7 au 9 décembre 2021. Une réunion avec Félix Tshisekedi est prévue et des séances de travail avec plusieurs autres partenaires. A l’occasion, elle a accordé une interview exclusive à ACTUALITE.CD et DESKECO.COM sur les raisons de sa visite, les rapports entre la RDC et son institution ainsi que quelques faits d’actualité. 

Quelles sont les raisons de votre visite en RDC?

Je suis en visite en réponse à l'aimable invitation du président Tshisekedi. C'est mon premier voyage en Afrique depuis le début de la pandémie de COVID-19, venir à Kinshasa était une première étape naturelle. Cela me donne l'occasion de féliciter le président Tshisekedi pour sa direction de l'Union africaine (UA) et de discuter des priorités de l’UA. Je suis également ici pour écouter directement en face à face des décideurs et citoyens sur la façon dont ils perçoivent les perspectives et les défis du pays, et sur la meilleure façon dont le FMI peut aider la RDC à atteindre ses objectifs.

Pourquoi cet intérêt pour la RDC et maintenant?

La RDC est un membre important du FMI dans la région avec lequel nous avons un engagement très étroit. Notre Conseil d'administration a approuvé un accord de trois ans au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) d'un montant équivalent à environ 1,5 milliard de dollars qui soutient la stratégie de développement du Président Tshisekedi. La RDC a également bénéficié de l'allocation générale de Droits de Tirages Spéciaux (DTS) fin août 2021 (environ 1,45 milliard de dollars) et de deux décaissements rapides de financement d'urgence en 2019-20. Ces fonds contribuent à favoriser la stabilité économique et à faire face à l'impact de la crise du COVID-19. Le président Tshisekedi et moi-même avons aussi longuement discuté des options pour accéder aux ressources nécessaires pour favoriser une reprise économique « plus verte », ceci encore récemment à la COP26.

C’est votre premier voyage en Afrique depuis le début de la pandémie de COVID-19, vous n’allez pas vous arrêter qu’à Kinshasa.

Je veux aussi délivrer un message à tous les pays africains : nous sommes à vos côtés pour surmonter les effets de la pandémie et pour investir dans l'avenir de l'Afrique !L'environnement post-pandémique offre une opportunité de progrès et le FMI est fermement déterminé à jouer son rôle en soutenant une reprise économique plus inclusive et plus verte. La prochaine étape de mon voyage est le Sénégal, où j'aurai l'occasion de poursuivre ces discussions avec le président Macky Sall, alors qu'il se prépare à reprendre le flambeau du président Tshisekedi à la tête de l'Union Africaine au début de l’année prochaine. Ma visite en Afrique est ainsi l'occasion de renforcer notre message pour aller de l'avant, mieux et plus vite.

Revenons au rapport RDC-FMI. Quelles sont aujourd’hui les avancées du programme soutenu par la Facilité Elargie de Crédit (FEC) ?

Le programme à moyen terme des autorités soutenu par la FEC a été approuvé par notre conseil d’administration le 15 juillet 2021. Son objectif principal est d'appuyer la reprise post-COVID-19, de constituer des réserves internationales et d'accompagner les autorités dans la mise en œuvre de leur programme de réformes pour promouvoir une reprise plus inclusive et plus verte. Plus précisément, le programme vise à créer un espace budgétaire pour les dépenses et les investissements sociaux indispensables ; à renforcer l'indépendance opérationnelle de la banque centrale en tant que garante d'une inflation stable et en tant que régulateur financier ; et à lutter contre la corruption et améliorer la gouvernance et la transparence, y compris dans le secteur minier.

Plus récemment, en octobre, une équipe du FMI s'est rendue à Kinshasa et est parvenue à un accord au niveau des services en vue de la conclusion de la première revue de la FEC. Quelle est la prochaine étape?

Sur la base des conclusions de cette mission, notre Conseil d'administration discutera de cette revue le 15 décembre.

Et concernant les progrès réalisés dans le cadre du programme ?

Les services du FMI ont noté des évolutions économiques récentes encourageantes, notamment une croissance plus élevée que prévu initialement pour 2021-2022, une inflation modérée, une augmentation des recettes fiscales ainsi que des évolutions externes favorables qui ont permis une augmentation significative des réserves extérieures. Cela dit, il faut répondre à d'importants besoins de développement ; stimuler l'investissement public et les dépenses sociales sans remettre en cause la stabilité budgétaire à moyen terme reste crucial pour réduire la pauvreté, et dépend essentiellement d’efforts continus pour augmenter les recettes, contrôler les dépenses non prioritaires et assurer une utilisation efficace et transparente des fonds publics, y compris la récente allocation de DTS.

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Le FMI prend-il en compte les nombreuses fragilités de la RDC dans la mise en œuvre du programme soutenu par la FEC?

Malgré d’importantes ressources, la RDC présente de nombreuses fragilités : insécurité dans certaines parties du pays, plus de cinq millions de déplacés internes ou réfugiés, des épidémies à répétition de maladies comme Ebola ou la rougeole, des faiblesses de gouvernance, et l’insuffisance des infrastructures physiques et sociales de base. Bien identifiées et discutées avec les autorités, ces fragilités ont directement informé les objectifs du programme soutenu par la FEC. Elles impactent la mise en œuvre du programme et la séquence des réformes pour aligner les priorités en termes de développement des capacités avec les objectifs du programme ; et pour adapter la conditionnalité du programme en coordination avec d'autres partenaires. 

Concrètement, cela se manifeste comment?

Par exemple, l'engagement des autorités en matière de dépenses sociales a été élaboré en étroite collaboration avec les partenaires de la santé.

Plus généralement, le FMI travaille à l’amélioration de sa stratégie d'engagement avec les États fragiles et ceux touchés par des conflits, en explicitant comment les compétences et les instruments du FMI peuvent être utilisés pour mieux aider ces pays fragiles. Ceci est très pertinent à un moment où la pandémie de COVID a fait courir le risque aux pays fragiles d’accumuler des retards supplémentaires. Je suis convaincue que la communauté internationale, y compris le FMI, est essentielle pour aider les pays fragiles à gérer la pandémie vers une reprise plus résiliente et inclusive. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, nous adapterons nos conseils de politiques économiques, nos opérations de prêt et notre aide au développement des capacités aux aspects spécifiques de la fragilité, en étroite coopération avec d'autres partenaires.

A quoi servira l'allocation spéciale de DTS de près de 1,5 milliard de dollars reçue par la RDC en août 2021?

L'allocation de DTS sera utilisée pour aider à renforcer les marges de manœuvre externes et pour répondre aux besoins de développement du pays à moyen terme. Les autorités ont confirmé leur intention, conformément au cadre institutionnel domestique, de répartir à parts égales l'allocation de DTS entre la Banque centrale du Congo pour contribuer à la constitution de réserves de change, qui restent faibles malgré une augmentation significative ces derniers mois ; et le ministère des Finances pour soutenir des projets d'investissement prioritaires au cours des prochaines années, avec une première tranche de 300 millions de dollars (environ 0,5 % du PIB) à décaisser en 2022.

Cela nécessite sans doute une bonne attente entre le FMI et le gouvernement 

Ici, deux points importants méritent d’être soulignés. Premièrement, les autorités se sont engagées à utiliser ces fonds de manière efficace et transparente. Par exemple, tous les appels d'offres associés à ces projets respecteront les principes de transparence conformes à la loi sur les marchés publics. Nous coopérerons également avec les autorités pour accroître la capacité de mise en œuvre des projets et améliorer leur efficacité. Deuxièmement, le soutien du FMI devrait également catalyser le soutien financier d'autres partenaires de développement et aider à stimuler l'investissement du secteur privé, deux éléments cruciaux compte tenu des besoins importants en infrastructures du pays.

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En parlant de ces fragilités, quel est le point de vue du FMI sur les informations récemment divulguées dans le rapport « Congo Hold up » ?

Ces informations montrent l'importance pour la stabilité macroéconomique de promouvoir une meilleure gouvernance et une meilleure transparence, ce qui constitue un des principaux objectifs du programme soutenu par la FEC. La corruption n'est pas spécifique à la RDC, mais son impact peut être violent. La corruption non seulement érode la confiance du public, mais elle diminue également le potentiel pour une croissance économique forte et durable. Au niveau mondial, son coût est estimé à plus de 5% du PIB. Le FMI s'emploie à promouvoir la bonne gouvernance avec tous ses pays membres ; en RDC, par exemple, nous soutenons les efforts visant à améliorer la gouvernance des finances publiques en renforçant la transparence dans le secteur minier et dans la formulation et l'exécution du budget.

En RDC, le FMI a publié en mai 2021 une évaluation complète de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, dont les recommandations ont éclairé les principales priorités dans ce domaine dans le cadre du programme des autorités appuyé par la FEC, y compris dans le secteur minier, en matière de gestion des finances publiques et de transparence, et dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

Vous avez mentionné plus tôt que la RDC est un pays avec d’importantes ressources. Comment voyez-vous les perspectives économiques de la RDC?

La RDC bénéficie non seulement de la hausse des prix des matières dans le cadre de la reprise mondiale actuelle, mais je pense également que la RDC est bien placée pour bénéficier de la transition vers une économie mondiale plus verte, étant le plus grand producteur mondial de cobalt, un minéral qui est nécessaire pour produire les batteries électriques. Cela génèrerait des revenus supplémentaires pour l'économie; utilisées à bon escient et associées à des politiques économiques prudentes, ces ressources peuvent constituer une opportunité de réduire les immenses besoins de développement, de réduire la pauvreté et de renforcer la résilience économique pour tous, avec un meilleur accès aux services essentiels comme l'eau et l'électricité pour l'ensemble de la population.

Toute la rédaction vous dit merci. 

Entretien réalisé par Patient LIGODI 

Pour aller plus loin, sur un ton davantage pédagogique, suivez cet échange avec Gabriel Leost, représentant du FMI en RDC en juillet 2021.