Aimé Kazika est agronome. Impliqué depuis 2002 dans le développement agricole et rural, il s’intéresse également aux questions de l'emploi des jeunes en plus d'être représentant national d’YPARD-RDC, un mouvement international qui fait la promotion de l'agriculture auprès des jeunes pour le développement agricole. Il revient dans cet entretien sur les récent résultats de la Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC) en RDC.
Bonjour, Monsieur Aimé Kazika. Quelles conclusion tirez-vous après votre analyse du récent rapport de l’IPC au sujet de l’insécurité alimentaire en RDC ?
AK : Bonjour Madame. Après lecture de ce rapport du 16ème Cadre d’Analyse Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC), en tant spécialiste en développement agricole, depuis plusieurs années on alerte l'opinion nationale et internationale sur les questions de malnutrition. Malheureusement, l'Etat fait la sourde d’oreille. Entre-temps, la situation ne fait qu’empirer. L'insécurité alimentaire actuelle est la conséquence de la non prise en compte des résolutions et recommandations pour résoudre ce fléau. Il faut apporter une solution durable, définitive et holistique.
Ce rapport parle de 13 millions de Congolais en situation d’insécurité alimentaire aiguë dont environ 6 millions d’enfants. Qu’est-ce qui bloque la considération de ce travail de l’IPC par le gouvernement de la RDC ?
AK : Après avoir participé, entre 2012 et 2016, aux réunions du Cluster sécurité alimentaire (le groupe thématique des partenaires et bailleurs qui traitent de la question de la sécurité alimentaire), le rapport de l'IPC, comme outil d'analyse, devrait en effet permettre une prise de conscience, de décisions et de mise en place d’un plaidoyer. Hélas, l'IPC est devenu un outil de simple analyse. Le gouvernement devrait s'approprier les résultats [de l'IPC] et mener des actions concrètes pour éliminer la pauvreté, cause principale de l'insécurité alimentaire au-delà des causes immédiates telles que citées dans ce rapport. La validation de ce rapport est faite par le gouvernement. Ensuite, rien n’est fait.
Ingénieur Kazika, qu’appelle-t-on Insécurité alimentaire en termes simples ?
AK : L'insécurité alimentaire désigne la faible disponibilité en quantité et en qualité d’approvisionnements alimentaires sur une période donnée. Les conséquences néfastes sont d'ordre physiologique, économique, politique et autres :
*Physiologique (les enfants atteints d'insécurité alimentaire peuvent être touchés par la malnutrition, ce qui réduirait leur capacité cognitive, intellectuelle et la productivité humaine).
*Économique : le pays sera dépendant de l'aide extérieure internationale. Ce qui réduit en même temps la force politique du pays.
* Le progrès économique risque d’en pâtir. La dépendance aux importations (le budget sera plus alloué pour l'importation au lieu de développer l’économie nationale et locale)
Monsieur Kazika, quels sont les signes qui démontrent qu’un pays est en situation d’insécurité alimentaire ?
AK : Il y a plusieurs analyses pour savoir qu'un pays en situation d'insécurité alimentaire :
*Le rapport de l'IPC tel que publié par les bailleurs. Cfr Rapport de PAM et de la FAO et d’autres bailleurs
*L'importation massive des produits alimentaires. Ici, le pays recourt à des importations pour satisfaire ses besoins
*La pauvreté dans la plupart des pays en voie ou en développement
* La balance commerciale est négative pour les pays pauvres...
En tant qu’expert agronome, quelles propositions faites-vous à l’IPC ainsi qu’à l’Etat congolais ?
AK : Je leur propose 8 solutions :
*Par rapport aux données de l'IPC, les faits tels qu’ils se présentent ne touchent pas l’ensemble du pays. l’IPC doit fournir des données de l'ensemble du territoire national pour permettre une compréhension plus globale du pays
*Dans les zones dites stabilisées, zones où il n’y a pas de tensions, mettre en place des programmes de développement agricole et d’amélioration d'infrastructures rurales . Car la RDC a près de 90% de terre qui chôment
*Doter le pays d'une vision agricole et initier un budget conséquent pour l'agriculture au delà de 10%. Le gouvernement doit faciliter et favoriser les entreprises rurales (celles adaptées en zone rurale) et réhabiliter les routes de desserte agricole.
*Doter les provinces des plans de développement agricole avec des projets pilotes
* Redonner une vraie mission à l'INERA(Institut national d'études et de recherches agronomiques) et SNV (Service National de Vulgarisation) avec des moyens conséquents. La RDC n’a pas de politique agricole. Le pays n'a pas de projets de développement agricole.Tout ce que la RDC exécute ce sont des projets des bailleurs et/ou financés à 100% par des partenaires extérieurs.
*Appuyer les vrais projets des jeunes entrepreneurs ruraux en provinces
*Revoir le ministère de l'agriculture dans son organisation et ses missions de terrain
*Re-organiser la recherche agricole en partenariat avec les universités.
Selon ce rapport du Cadre intégré de la sécurité alimentaire IPC publié à la fin du mois de mais un enfant sur dix meurt avant d’atteindre l’âge de cinq ans. Dans certains territoires, tels que Demba, Kamiji et Dimbelenge, le taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans dépasse 4 décès par jour pour 10.000 habitants. Ceci, malgré le potentiel agricole du pays qui peut nourrir environ 2 milliards de personnes.
Propos recueillis par Prisca Lokale