RDC: L’ODEP annonce son retrait du partenariat « Société civile-IGF » à cause notamment de l’affaiblissement du pouvoir de l’IGF par l’entourage de Félix Tshisekedi (Interview)

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Jules Alingete/Inspecteur général des Finances-Chef des services

Dans un communiqué ce lundi 6 janvier 2025, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), une structure de la société civile connue pour la surveillance des finances publiques et la lutte contre la corruption en RDC, a annoncé son retrait du partenariat entre l’Inspection Générale des Finances (IGF) et la société civile, qui leur permettait de lutter contre le détournement des deniers publics au pays.

Dans une interview exclusive à ACTUALITE.CD, Florimond Muteba, président du Conseil d’administration (PCA) de l’ODEP et modérateur de ce partenariat, justifie sa démission à ce poste et le retrait de sa structure de ce partenariat par l’affaiblissement du pouvoir de l’IGF avec la « bénédiction » du président Félix Tshisekedi.

«  Le contexte dans le fonctionnement d’aujourd’hui de l’IGF ne correspond plus à celui de l’époque où nous l’avons soutenue. Soutenir l’IGF aujourd’hui, c’est soutenir le président Félix Tshisekedi dans ses dérives. On ne peut pas soutenir quelqu’un comme ça, ni directement, ni indirectement », a-t-il fait savoir.

La suppression de la patrouille financière de l’IGF

Florimond Muteba indique que l’autre raison du retrait de sa structure de cet accord est la suppression de la patrouille financière de l’IGF, même si cette dernière n’a jamais donné d’information dans ce sens. Et pourtant, cette initiative a permis de doubler la mobilisation des recettes, passant de 4 milliards de dollars sous le régime du président Joseph Kabila à 9,6 milliards en 2023. Selon lui, Félix Tshisekedi connaît bien cette situation.

« La famille du président de la République, au sens large, occupe les institutions. Ils sont partout où les deniers publics sont manipulés. Donc, ce sont tous ces gens-là qui ne veulent plus de la patrouille financière et qui ont carrément comploté. Ces gens-là sont très opposés à Jules Alingete, et du coup, l’IGF est en train de recevoir des coups mortels. À cause de ce complot-là, ils ont réduit le pouvoir de l’IGF, notamment son dédoublement », a-t-il dit à ACTUALITE.CD.

Et d’insister :

« Posez la question à Alingete, …, il ne veut peut-être pas en parler pour ne pas gêner ceux qui l’ont fait, parce que ça vient du président, ça vient d’en haut. Moi, je viens de mettre fin à ce partenariat aujourd’hui, alors que j’étais un partenaire privilégié de l’IGF. Comment puis-je ne pas le savoir ? »

La création du DIEF au sein de l’ANR

Parlant du dédoublement de l’IGF, il fait référence à la création en août 2024 du département de l’intelligence économique et financière (DIEF) au sein de l’Agence nationale de Renseignements (ANR), dont la mission devrait consister notamment à la vérification et au contrôle des flux de capitaux, des transactions bancaires et non bancaires, des paiements mobiles et des monnaies virtuelles, ainsi que dans la surveillance des ressources naturelles et des produits stratégiques. Pour le PCA de l’ODEP, ce département n’a pas sa raison d’être dans la mesure où le pays a déjà plusieurs outils de contrôle financier.

« Nous avons suffisamment d’instruments aujourd’hui, dont l’IGF, la Cour des comptes, la CENAREF. Nous avons suffisamment de structures de contrôle en rapport avec les finances publiques, et en créer une autre n’était pas opportun. L’ANR n’a même pas les moyens de payer 500 USD à ses agents. L’ANR est une administration pauvre, et lui ajouter une structure permet de créer de nouveaux pauvres », a-t-il fait savoir.

Pas de changement de constitution

Dans le communiqué, le PCA de l’ODEP a clairement affiché son opposition au projet de changement de la constitution amorcé par le président de la République et son entourage.

« Nous nous opposons au troisième mandat du président Félix Tshisekedi et à l’idée même de changer la constitution ou de la revisiter. Le contexte est d’abord de vaincre la guerre à l’est. Est-ce que la mauvaise gouvernance que nous décrions est un problème de constitution ? Donc, cette initiative n’est pas opportune, elle peut perturber la paix dans le pays et là, il est en train de jouer avec le feu, oubliant que ce feu peut brûler l’ensemble du pays », a déclaré Florimond Muteba.

Il appelle le président de la République à revenir à la raison et à tirer des leçons du sort de ceux qui, dans le passé, ont opté pour la « dictature » comme mode de gestion.

« Les dictateurs, nous en avons connus de toutes sortes dans ce pays. Nous avons connu Mobutu, les deux Kabila, qui ne sont plus là aujourd’hui. Donc, les dictateurs doivent tirer des leçons de ceux qui ont vécu avant eux. Ça finit toujours, la dictature. Ce n’est pas bien de vouloir perturber les gens, les arrêter ou les enlever, etc. C’est ridicule de se comporter comme ça », a-t-il indiqué.

Le PCA de l’ODEP appelle Félix Tshisekedi à rétablir l’IGF dans ses droits pour renforcer la bonne gouvernance. « Il a intérêt, en rapport avec l’avenir de notre pays, à restaurer l’IGF avec ses outils qui lui permettaient de faire le travail, ce qui nous a permis de doubler le budget. S’il ne peut pas comprendre ça, c’est vraiment dommage parce que la constitution n’a rien à voir avec l’effort à faire pour le développement du pays », a-t-il conclu.

Bruno Nsaka