Au-delà de la gratuité de l’enseignement, il y a urgence de réformer le secteur de l’éducation en RDC 

Photo d'illustration
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Point de vue de Mabiala Ma-Umba

La gratuité de l’enseignement primaire a été l’une des mesures phares du premier mandat du Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. C’est une mesure cruciale pour que les enfants d’aujourd’hui ne deviennent pas des adultes analphabètes de demain. La politique de gratuité de l’enseignement doit donc, à tout prix, être consolidée et étendue au niveau secondaire. Cependant, force est de noter que, sur le terrain, la mesure de gratuité de l’enseignement primaire ne marche pas comme on l’aurait souhaité… 

En réalité, il n’y a pas suffisamment d’écoles et les classes restent bondées. Malgré les efforts notables du gouvernement, les salaires des enseignants restent dérisoires. Le nombre d’enseignants qualifiés reste insuffisant. Les parents qui ont les moyens inscrivent systématiquement leurs enfants dans des écoles privées qui offrent une meilleure qualité d’enseignement. Les écoles privées s’établissent et prospèrent plus vite que les écoles publiques. La tendance vers la privatisation de l’éducation se confirme chaque jour. A titre d’exemple, à l’heure actuelle, dans la province éducationnelle du Haut-Katanga, il y a 86% d’écoles privées contre 14 % d’écoles publiques. La sous-division de Lubumbashi 4 n’a qu’une seule école publique sur les 1450 écoles recensées dans cette juridiction. D’autre part, certaines mesures prises pour faciliter l’application de la gratuité sont en train de renforcer les inégalités entre les enseignants des « écoles dites de prestige » et les autres ! Le système fonctionne à deux vitesses au détriment des enfants des milieux défavorisés. 

Il est urgent de prendre le taureau par les cornes et de redresser la situation, en profitant de l’occasion pour lancer une grande réforme visant à rebâtir le système d’enseignement en RDC, dans le cadre global d’une refonte du secteur de l’éducation qui comprendrait plusieurs volets :

• Faciliter l’accès et le maintien de tous les enfants et jeunes à l’école primaire et secondaire (gratuité !!!!).

• Réviser les contenus des programmes scolaires pour les rendre plus pertinents, plus pratiques, plus adaptés aux réalités de la RDC et aux défis du 21e siècle, en intégrant dans les programmes les compétences du 21e siècle (y compris la créativité et la pensée critique) mais aussi la promotion des valeurs éthiques, morales, républicaines et citoyennes.

• Renforcer l’enseignement et l’apprentissage de nos quatre principales langues nationales ainsi que l’enseignement et l’apprentissage de l’anglais et d’autres langues internationales comme le portugais et le chinois afin de faciliter davantage les échanges commerciaux entre la RDC et ses voisins ainsi qu’avec les autres pays du monde.  

• Privilégier la création des filières technologiques et professionnelles (il n’est pas nécessaire que tous les élèves aillent à l’université !) et les faire fonctionner en lien avec les entreprises, le secteur privé, en favorisant l’adéquation entre les contenus de formation et les besoins du marché du travail, de sorte qu’au moment où ils terminent leurs études, les jeunes soient prêts à travailler, ayant acquis, pendant la formation, des compétences réelles et concrètes. Rappelons à ce sujet que lors du 37e Sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu en février 2024, les Chefs d’Etat ont souligné la nécessité de réformer les systèmes éducatifs des pays africains en mettant l’accent sur la technologie.

• Former et recycler les enseignants (à tous les niveaux) pour qu’ils soient en mesure d’enseigner les nouveaux contenus ; les motiver par des salaires décents et des conditions de vie et de travail acceptables ; mettre à leur disposition les outils didactiques nécessaires. 

• Améliorer les infrastructures (construire davantage d’écoles et les équiper).

• Aider les élèves à acquérir les outils et matériels d’apprentissage (livres, outils nécessaires et, au besoin, tablettes et laptops…).

• Développer davantage les approches d’enseignement à distance pour qu’elles soient mieux utilisées aussi bien dans la formation et le perfectionnement des enseignants que dans l’encadrement des élèves.

• Adopter une politique de « tolérance zéro » vis-à-vis des tricheurs lors des évaluations (Tenafep, Examens d’Etat…).

• Mettre en place des programmes de santé scolaire et de cantines scolaires afin de contribuer à améliorer la qualité des apprentissages chez les élèves, notamment dans les milieux défavorisés.

• Renforcer les mécanismes de contrôle pour une meilleure gestion des ressources humaines et du budget alloué au secteur de l’éducation (par exemple les frais de fonctionnement des écoles) et pour démanteler les enseignants fictifs et les écoles fictives…

• Instituer un Conseil présidentiel de l’éducation qui veillerait au suivi de la mise en œuvre de cette réforme et contribuerait à mobiliser les énergies, les partenariats et les ressources nécessaires.

Une telle réforme globale peut être réalisée avec succès en cinq ans si l’éducation devient une réelle priorité dans ce pays. Faire de l’éducation une vraie priorité en RDC signifie consacrer au moins un quart du budget national au secteur de l’éducation, du niveau primaire au niveau universitaire ! Le budget de 2025 devra refléter cet engagement majeur. Pour 2024, une loi budgétaire rectificative pourrait être initiée et adoptée par l’Assemblée Nationale afin de montrer concrètement que nous accordons priorité au redressement de l’éducation, condition indispensable au décollage durable de ce pays.  La RDC n’émergera pas sans disposer de ressources humaines de qualité : qu’on se le dise !

Mabiala Ma-Umba

Expert international en éducation - Ancien directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) – Délégué Général à la Francophonie en RDC. (+243) 82 2628 494 (WhatsApp).