Emeneya, 10 ans déjà : longue histoire (Par Prof Ngaki/INA)

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Aujourd'hui, il est décidément plus ''King'' qu'hier : en effet, on ne cesse d'entendre ses chansons à bord des taxis, dans les ''terrasses'' comme sur les radios locales de Kinshasa, beaucoup plus que de son vivant. King Kester Emeneya Mubiala est décédé il y a dix ans, le 13 février 2014, à 58 ans.

Un surdoué de la Rumba congolaise

Après une fulgurante carrière musicale d'un peu plus d'une trentaine d'années, il était une incontestable ''star'' de la musique congolaise moderne. Jean Emeneya Mubiala est devenu, au fil des années, une personnalité à part dans la musique moderne de son pays, la Rumba congolaise, qu'il traitait d'une façon à lui, mélangeant tradition et modernité, mêlant des sonorités de ''l'autre musique'' à des rythmes que n'aurait pas renié l'Afrisa International ou sa devancière l'African Fiesta.

Vedette authentique de Kikwit, sa ville d'origine, où il est un élève passablement turbulent des frères joséphites, Emeneya a su imposer un style, une personnalité et un savoir-faire artistique partout où il est passé, de Kikwit à Idiofa, de Lubumbashi à Kinshasa.

Passage remarqué à Molokai

Lorsqu'il rejoint le Viva la Musica de Papa Wemba, en 1977, après un passage écourté à l'Université de Lubumbashi, il est tout de suite remarqué. Il a une voix particulière, mais il a aussi - et c'est rare - une façon à lui de concevoir et de sentir la musique. Ses collègues le surnomme dans son dos ''le maître des nuances'' à cause de la rigueur qu'il met à faire respecter les intonations, les silences, les nuances (justement).

Viva la Musica lui sert de tremplin, d'autant plus que Papa Wemba abandonne souvent le navire au début des années 80 (une escapade chez Tabu Ley puis un long séjour en Europe, notamment). Emeneya qui n'est pas encore le ''King'' tient la baraque et fait même mieux que cela.

Victoria Eleison, la consécration

C'est tout naturellement qu'il va quitter cet orchestre, affermi dans son leadership, pour créer son ''Victoria Eleison'' en 1982 : la dénomination du groupe est particulière et le succès immédiat, du point de vue discographique et du point des spectacles qu'il met un point d'honneur à soigner particulièrement.

Sa chanson ''Kimpiatu'' marque les esprits avec ce savant mélange entre tradition bayansi et modernité : elle est plébiscitée ''tube de l'année 1985''. Kester se distingue du reste dans la mise en valeur des langues nationales qu'il mélange volontiers dans de savantes tournures langagières, dans ses interviews comme dans ses œuvres musicales.

Un répertoire probant et parlant

Il en avait créés et il en créera d'autres et des meilleures : Miléna (1977),  Kaba zonga, Ndako ya ndele (1978), Ata Nkale (1979), Dikando, La Runda, Dembela, Ngonda (1980), Mishueni, Fleur d'été, Horoscope (1981), Naya, Okosi ngai mfumu (1982), Ngabelo, Surmenage (1983), Kimpiatu, Willo Mondo (1985), Wabelo, Manhattan (1986), Deux temps, Nzinzi (1987), Mukusa (1990) Djo Kester (1991), Every body (1993), Live in Japan (1994), Live in Paris, Pas de contact (1995),  Succès fou (1997),  Mboka mboka (1998), Never again, Plus jamais (1999), Longue histoire (2000),  Live au Zénith de Paris (2001),  Live à l'Olympia de Paris, Rendre à César, Nouvel ordre (2002),  Le jour le plus long (2007)... J'en passe et des meilleures.

De son vivant, King Kester Emeneya a toujours revendiqué la paternité d'une révolution musicale ''qui a fait entrer la rumba congolaise dans l'ère électronique''. Il ne croyait pas si bien dire : avec un autre de ses succès, ''Nzinzi'', il chamboule l'orchestration habituelle de la musique congolaise moderne en y renforçant l'apport des synthétiseurs, mais en y mettant aussi un chœur des femmes à la manière de Rochereau Seigneur Tabu Ley, son idole, à qui il a rendu hommage dans plusieurs de ses prestations publiques, au pays et à l'étranger.

A Kikwit : the King for ever

Finalement, c'était une star restée proche des gens, proche des siens. La bataille des politiques autour de son lieu d'inhumation (Kinshasa, tenue par la Mouvance présidentielle de l'époque ou Kikwit, bastion de l'opposition d'alors) était aussi un combat pour récupérer des suffrages populaires sur son nom, sur son dos.

Depuis dix ans, Kikwit commémore Jean-Baptiste Emeneya Mubiala ''King Kester'' par une fête gigantesque qui entraîne toute la ville, le jour de l'anniversaire de sa disparition. Les jeunes orchestres qui jouent la musique du maître, les sapeurs (et les sapeuses - eh oui ! -) se disputent la vedette. Et King Kester revit dans la farandole du 13 février.

Il y a, à Kikwit, une avenue King Kester Emeneya ainsi qu'une statue de lui à l'entrée de cette avenue où se trouve l'ISP-Kikwit (artère importante s'il en est). Mais le monument du King a déjà été changé à la demande de la population de Kikwit qui ne reconnaissait pas leur idole dans une sculpture qui semblait plutôt représenter un sujet... chinois.

Disparu, mais toujours présent

Les Kikwitois et les Congolais écoutent et connaissent beaucoup plus et beaucoup mieux la discographie enjôleuse, à la thématique variée, de Jean-Baptiste Emeneya Mubiala. Ils l'ont plébiscité comme l'un des meilleurs représentants de la rumba devenu aujourd'hui indiscutablement immortel dans la conscience collective des Congolais. Salut l'Artiste, salut le King.

Jean Marie NGAKI

Critique d'art et professeur à l'Institut National des Arts