Une proposition de loi portant sur l’exemption des survivant.e.s et témoins des violences sexuelles aux frais de justice est en examen au niveau de l’Assemblée nationale. Le Desk Femme d'Actualité.cd est allé à la rencontre des concernés pour recueillir leurs avis sur cette initiative.
« Cela constitue un espoir, un pas vers la reconnaissance de la douleur des survivantes des violences sexuelles en RDC », souligne Tatiana Mukanire, Coordonnatrice du Mouvement national des survivant.e.s des violences sexuelles.
Pour Emmanuela Zandi, de l’ONG Ma voisine, « l’initiative est très importante. La plupart du temps, les survivantes n’ont pas de revenus et des moyens financiers pour payer les frais de justice ».
« J’espère vivement qu’elle va aboutir pendant cette session de mars 2022. Il s'agit concrètement de la prise en charge par l’Etat des frais de procédure afférents aux cas de violences sexuelles. C’est une donne qui va soulager les survivantes dans leur quête de vérité judiciaire », explique Me.Chris Shematsi.
Pertinence de la proposition de loi
Environ 50 victimes, pour la plupart des mineures, sont encadrées par l'ONG Ma Voisine dans le but d’obtenir des soins holistiques.
« En général, 80% de jeunes filles mineures sont prises en charge par notre organisation. Au-delà des frais qui sont exigés au niveau de la justice, il faut payer des examens médicaux ou des certificats qui s’élèvent parfois à 45.000 francs congolais pour une survivante. Les frais de justice vont de 40 à 80 $ (se constituer en partie civile 20 $, fixer l’affaire au greffe 20 $ en plus des frais de transport pour tous les rendez-vous aux parquets ou à l’auditorat militaire). Ces frais ne sont pas justifiés. Pas de preuve, pas de facture » précise Emmanuela Zandi.
Prenant exemple sur d’autres pays africains, Tatiana Mukanire souligne l'impact dans la lutte contre l’impunité en RDC. « Dans certains pays, toute la prise en charge est assurée par l'Etat. Nous avons eu l'occasion d'en discuter avec l'une des femmes rwandaises qui fait partie du réseau international de survivantes SEMA. On sent bien que ces femmes-là, grâce à cet accès gratuit aux soins et à la justice, rompent plus facilement le silence pour faire condamner leurs bourreaux. C'est une grande avancée et cela permettra de lutter plus efficacement contre l'impunité et inverser la notion de honte ».
A l’ouverture de la session de mars, le président de la Chambre basse du parlement Christophe Mboso avait mentionné le fait que cette session était essentiellement consacrée aux réformes électorales bien que cela n’empêche pas de débattre de la nouvelle proposition, estime Christelle Vuanga, Députée nationale et présidente de la Commission Genre Famille et Enfant.
« Les violences sexuelles et toutes les autres formes de violence font partie des questions qui ont des impacts réels sur les populations congolaises. Cette proposition de loi, après examen, sera déposée à la Commission PAJ et la Commission GFE. Nous continuerons à y travailler », assure-t-elle.
Et d’ajouter, « avec les statistiques établies, nous savons qu’au-delà des zones de conflits, les violences sexuelles se commettent dans le cercle familial, dans les quartiers, dans les églises...Souvent, les victimes sont rejetées par leur entourage. Leur exiger des frais de justice alors qu’il est déjà difficile de dénoncer et aller devant le magistrat, est une double peine. Nous pensons que l’exemption va encourager plusieurs survivantes à obtenir justice », affirme-t-elle.
Des recommandations
Tatiana Mukanire propose que « la gratuité ne rende pas trop lentes les procédures du fait que cela ne génère pas d'argent pour les défenseurs des survivantes ».
« Cette loi mérite d’être votée et mise en œuvre. Cela implique la vulgarisation et la formation des magistrats, des avocats à la lutte contre les VSBG », a ajouté Emmanuela Zandi.
Chris Shematsi fait observer que la proposition aurait pu aller plus loin en créant une procédure spéciale en matière de violences sexuelles. " Par exemple, une affaire de viol ne devrait pas être instruite de la même manière qu’une affaire d’escroquerie. Lors de l’instruction, la survivante est soumise à une procédure contradictoire qui la place en face de son bourreau. La loi l'expose et lui fait vivre doublement les effets du forfait commis sur elle. C’est une situation inadmissible. Il faut une réforme législative afin d’extirper les cas de violences sexuelles de la procédure pénale ordinaire ».
Pour rappel, les organisations de la société civile ont produit cette proposition au cours des différents ateliers et table ronde facilités par l’ONG JDH/RDC (Journalistes pour les droits humains). Actuellement, elle figure sur le calendrier de la session de mars 2022 à l'assemblée nationale.
Prisca Lokale