Le cinéaste congolais Dieudo Hamadi a sorti le 29 septembre dernier, son film documentaire dénommé « en route pour le milliard ». C’est un film qui parle de la guerre de 6 jours qui s’est déroulée à Kisangani en juin 2000. Le film, déjà sélectionné au festival de Cannes en 2020, est sorti en France. Il devait être présenté dans d’autres pays, notamment en Belgique et en Suisse. Une projection sera faite à Kinshasa dans près de deux mois et en province.
21 ans après, Dieudo Hamadi voit ladite guerre comme effacée des mémoires alors ses traces sont encore visibles. Le film ne traite pas entièrement de la guerre. Il met aussi un accent sur ces personnes, ces victimes qui sont le dernier rempart contre l’oubli. Elles étaient dans une quête, celle de dignité, de réparation quand elles ont longé le fleuve pour venir demander réparation à Kinshasa. Le film consistait à les accompagner à rendre témoignage de ce combat qu’elles menaient depuis de longues années.
« J’ai connu la guerre de 6 jours. J’avais autour de 15 ou 16 ans. Ce qui m’a le plus surpris est que 20 ans plus tard, même pour des personnes comme moi, on l’a pratiquement oublié. Il a fallu pour ma part, de retourner à Kisangani en 2017, pour finalement me rendre compte que même si beaucoup de gens ont pu passer à autre chose mais il y a un groupe d’individus pour qui la guerre n’est pas passée. Jusqu’à ces jours, ces gens vivent avec la guerre dans leur propre chair. Ce sont des parias, des handicapés à vie … j’ai eu l’occasion de les rencontrer. C’était assez frappant de voir que ma famille et moi, et beaucoup d’autres personnes, on avait eu de la chance. Au final, cette guerre est loin derrière nous tandis que ces gens-là, c’était pratiquement impossible de passer à autres choses », a dit, à ACTUALITÉ.CD, Dieudo Hamadi.
Et d’ajouter :
« J’avais envie de raconter cette histoire de sorte qu’elle ne puisse pas complètement tomber dans l’oubli. Le fait qu’elle soit sortie et présentée à un public plus large représente pour moi l’auteur, quelque chose d’assez gratifiant. Quand on fait des films, c’est pour qu’ils soient vus. Et des films comme celui-ci traite des sujets importants et c’est bien qu’il suscite un certain intérêt au grand public »
Le film « En route pour les milliards » est un récit des faits historiques vrais, racontés de manière assez actuelle. L’auteur a effectué le déplacement avec l’association des victimes de la guerre de 6 jours, de Kisangani à Kinshasa, par le fleuve Congo. Celles-ci excédées par l'indifférence des institutions à leur égard, voulaient faire entendre leurs voix. Ces victimes se battent depuis 20 ans pour la mémoire de ce conflit et demandent réparation pour les préjudices subis.
L’amnésie, un vice à proscrire
Dieudo Hamadi estime qu’en optant pour l’amnésie collective, c’est choisir de tourner la page, mais en refusant de la lire, au risque d’écrire à nouveau les mêmes horreurs. Il dédie le film à plusieurs milliers de personnes que la guerre a arrachées à la vie, aux centaines d’autres reléguées au rang de misérables parias, à ces êtres humains à qui l’on a ôté toute dignité. Il veut saisir ceux qui y ont survécu dans leur souffle de vie, dans leur énergie, dans leur résilience pour des lendemains meilleurs.
« Le vrai problème à mon avis, c’est la perte de mémoire. C’est ce qui explique le fait que nous subissons toujours et encore le même problème. Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé à l’Est aujourd’hui. C’est justement parce que finalement on vit des drames comme si on ne les avait pas vécus. Pour la guerre de 6 jours, il n’y a absolument pas de monuments pour ce souvenir de toutes ces morts, ces massacres. Un jour férié, ne serait-ce que localement, pour se souvenir, il n’y en a pas. Et un film, comme celui-là est un document pour entretenir la mémoire », ajoute Dieudo.
Il pense également que c’est l’oubli qui fait pérenniser l’impunité, qu’au-delà de ce film, pour cette guerre de 6 jours, on devait avoir énormément d’idées de film, des reportages, des livres, etc. Des milliards pour lesquels les victimes sont en route, c’est la somme réclamée par l’association des victimes de la guerre de 6 jours.
Quid de la guerre de 6 jours ?
La guerre des 6 jours a opposé l’armée rwandaise à celle du Burundi, du 5 au 10 juin 2000, à Kisangani, cité‐carrefour à l’Est de la RDC. Il s’est produit un affrontement d’une extrême violence pour le contrôle de cette ville stratégique entourée de mines d’or et de diamant. La population de Kisangani était sous le feu des ravages de cet affrontement : massacres, pillages, viols. À en croire les chiffres de l’Association des victimes, la guerre des six jours a fait près de 1000 morts et 3000 blessés. Considérée depuis comme la ville martyre, puis rebaptisée ville d’espoir, Kisangani porte encore en elle les cicatrices de cette guerre.
Le 19 décembre 2005, la Cour internationale de Justice conclut à la responsabilité de l’Ouganda pour de graves violations du droit international sur le territoire de la RDC entre 1998 et 2003. A charge pour les parties de se mettre d'accord pour évaluer en équivalent monétaire, la totalité des dommages matériels et des dommages moraux. En avril dernier, devant la complexité du dossier, et aucun accord n'ayant été trouvé, la RDC et l'Ouganda sont à nouveau entendues par la Cour Internationale de Justice. La RDC réclame 14 milliards de dollars à l’Ouganda.
Les victimes déplorent qu’aucune commémoration nationale n’ait lieu pour le 5 juin. Seule, une association a vu le jour, l’Association des victimes de la guerre de six jours. Depuis, elle redistribue des vivres aux victimes, organise un « théâtre du souvenir » inspiré de leurs propres vies, mais surtout, lutte pour la reconnaissance de ce conflit sanglant et la réparation des préjudices subis.
Quid de l’auteur ?
Dieudo Hamadi est un cinéaste congolais œuvrant à Kinshasa où il s’est formé au documentaire et au montage avant d’aller à la FEMIS à Paris. En 2009, il a réalisé « Dames en attente », son premier court‐métrage documentaire, qui a été sélectionné dans les festivals internationaux tels que Forum à la Berlinale, IDFA Amsterdam, TIFF Toronto, et obtient la bourse Pierre et Yolande Perrault au Cinéma du Réel à Paris.
Il a ensuite réalisé 4 longs‐métrages documentaires qui forment un témoignage exceptionnel de la réalité congolaise contemporaine. Atalaku sorti en 2013, Examen d'état en 2014, Maman Colonelle en 2017 et Kinshasa Makambo en 2018. Dieudo Hamadi raconte des histoires individuelles qui parlent d'expériences et d'histoires collectives. En 2015, il crée sa propre société de production, Kiripifilms. En 2019, il reçoit la bourse McMillan‐Stewart in Distinguished Filmmaking du Film Study Center de l’Université de Harvard. En route pour le milliard est son premier film à sortir en salles de cinéma.
Emmanuel Kuzamba