Procès Chebeya-Bazana : Les défenseurs des droits de l'homme émettent des réserves quant à l'extradition de Paul Mwilambwe

ACTUALITE.CD

Neuf années se sont écoulées depuis l'assassinat du président de la Voix des Sans Voix (VSV), Floribert Chebeya, et la disparition de Fidèle Bazana, son chauffeur et membre de cette organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme. À l'occasion, les acteurs de défense des droits de l'homme sont allés se recueillir, ce mercredi 5 juin, devant la tombe de Chebeya, au cimetière de Mbenseke Mfuti/Nouvelle Cité, dans la commune de Mont Ngafula, avant de se donner rendez-vous à la cathédrale Notre Dame de Fatima où une conférence de presse a précédé une messe en mémoire des deux activistes des droits de l'homme.

Tous sont unanimes. Les activistes des droits de l'homme disséminés dans différentes structures ont demandé la réouverture du procès judiciaire clos en 2011 avec, cette fois, la présence de tous les incriminés ainsi que Paul Mwilambwe, ancien officier de la police, réfugié au Sénégal, qui se présente comme témoin de ce double assassinat.

Les défenseurs des droits de l'homme souhaitent une garantie sécuritaire pour Paul Mwilambwe.

Pour maître Jean Marie Kabengele, avocat à la Cour d'appel de Kinshasa/Matete et l'un des orateurs du jour, la réouverture du dossier est une nécessité et la présence de Paul Mwilambwe au pays devrait être l'élément déclencheur pour y parvenir.

"J'ai conseillé qu'ils ( (Ndlr: Les défenseurs des droits de l'homme) acceptent et que l'État congolais puisse assurer la sécurité de Paul Mwilambwe. Je pense que son arrivée au pays va relancer le procès Chebeya et tout doit reprendre à zéro. Que le gouvernement lui assure la sécurité et l'arrêt de la Cour militaire de Kinshasa/Gombe lui soit signifié pour lui donner la possibilité de faire opposition à cet arrêt-là. Et quand il y a opposition tout reprend à zéro", a déclaré à ACTUALITE.CD Jean Marie Kabengele Ilunga, également avocat conseil près la Cour Pénale internationale (CPI).

Du côté de l'Association africaine de défense des droits de l'homme (ASADHO), l'on estime que Mwilambwe ne peut venir que lorsque la sécurité sera garantie par l'État. Son président, Jean Claude Katende veut que le général d'armée John Numbi, cité nommément par Paul Mwilambwe comme commanditaire, soit également mis à la barre.

" Pour nous que ça soit la réouverture de débat ou que ça soit la révision du procès ou de la décision qui a été prise, pour nous l'attitude du gouvernement c'est vraiment d'être en avant ligne pour s'engager, s'impliquer, pour que le commanditaire que nous recherchons notamment John Numbi et les autres exécutants soient mis devant la justice. Et pour que cela arrive, il faut l'engagement du gouvernement congolais, du président de la République parce que c'est une affaire importante dans laquelle les agents de l'État se sont permis de mettre fin à la vie des paisibles citoyens. Il faut que le président de la République s'engage dans le cadre non seulement de promouvoir la justice dans ce procès mais aussi d'assurer la sécurité de monsieur Mwilambwe, s'il doit venir. Mais nous ne pensons pas qu'il doit venir sans que le gouvernement congolais n'ait pris l'engagement de mettre un dispositif en place pour le sécuriser en sorte que si quelque chose de grave lui arrivait  que le gouvernement réponde de cela", a déclaré à ACTUALITE.CD Katende.

"Extradition oui, mais la VSV veut rester prudente et ne veut  pas perdre celui qu'elle considère comme " témoin clé ". L'influence persistante du camp Kabila à tous les niveaux de l'appareil Étatique serait une crainte pour la VSV mais, toutefois, elle compte sur la "volonté politique" de Félix Tshisekedi.

"L'extradition de Paul Mwilambwe est très importante pour nous parce que c'est un témoin clé. C'est quelqu'un qui a vu et vécu l'assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Cependant comme nous l'avons dit il n'y a pas longtemps, nous avons de réserve sur son extradition parce qu'en fait, c'est vrai, il y a eu alternance politique au sommet de l'État dans son pays mais nous savons tous dans quelles conditions le nouveau président travaille. Il est en coalition avec l'ancien régime, avec le président Kabila, et ce régime est omniprésent, contrôle toutes les institutions, les services de sécurité. Est-ce que s'il revenait ici, la sécurité lui sera garantie ? Là nous avons de doute. C'est pour cela que nous souhaiterions qu'il ne rentre pas maintenant puisque nous risquerions de perdre ce témoin clé que nous avons. Mais il serait peut-être important que le mécanisme qui a été enclenché au niveau du Sénégal puisse être redynamisé pour qu'on puisse aller de l'avant et que justice soit rendue à Fidèle Bazana et Floribert Chebeya. L'extradition c'est une bonne chose mais nous avons des incertitudes et craintes pour Paul Mwilambwe. Tout dépend de la volonté politique et de l'environnement politique. Là nous avons un nouveau président de la République, en tant que magistrat suprême s'il s'investit, je crois qu'on peut avoir un procès équitable dans ce pays. Mais pour l'instant cette volonté politique peut être là mais nous avons des inquiétudes avec leur coalition", a dit Rostin Manketa, président de la VSV.

Le président de l'Association congolaise pour l'accès à la justice (ACAJ), Georges Kapiamba, pense également que le moment n'est pas propice pour que Paul Mwilambwe soit extradé.

« Il s’est positionné comme un des témoins majeurs, ça veut dire qu’il pourra jouer un rôle dans la réouverture dudit dossier. Mais, quant à nous, nous pensons que le moment n’est pas encore sérieusement indiqué pour qu’il revienne parce qu’il faudrait suffisamment des garanties et sécurité. Un témoin doit bénéficier des garanties de sécurité et c’est après cela que nous estimons qu’il pourra venir », a dit à ACTUALITE.CD Georges Kapiamba. 

Au moment du dépôt des gerbes de fleurs au cimetière, Rostin Manketa a demandé le limogeage de l'armée de John Numbi. Alors président de l’ONG la Voix des sans Voix, Floribert Chebeya avait été retrouvé mort dans sa voiture, en 2010.  

Son chauffeur, Fidèle Bazana, qui l’avait accompagné ce jour-là pour répondre à une convocation de l’inspecteur général de la police, a depuis lors disparu. Le procès, ouvert en 2011 contre 8 présumés auteurs de cet assassinat, avait abouti à la condamnation à mort de quatre policiers et un à perpétuité avant que quatre ne soient acquittés en appel.

La peine était réduite à 15 ans pour l’un des policiers et le procès pour les trois autres policiers en fuite reste suspendu. Les deux familles ont, depuis 2014, saisi la justice sénégalaise contre un policier présumé témoin de la forfaiture. Témoin clé de l'assassinat de Floribert Chebeya, Paul Mwilambwe a demandé, dans une interview à RFI, TV5 et France 24, son extradition pour être jugé en RDC.

Fonseca Mansianga