Si les grandes artères de la capitale congolaise résonnent des klaxons et des foules pressées, elles sont aussi le théâtre quotidien de la résilience féminine. À Victoire comme au rond-point Ngaba, les femmes occupent une place centrale dans l’économie informelle. Elles y gèrent, souvent avec ingéniosité, de petites entreprises de rue : commerce ambulant, vente de denrées alimentaires, articles ménagers ou encore restauration. Le DeskFemme est allé à leur rencontre ce lundi 21 avril, pour dresser le portrait de leur quotidien fait de débrouillardise, de responsabilités familiales et d'obstacles multiples. Reportage
Il est 13h23 à Kinshasa, sur les trottoirs encombrés de Victoire ou autour des étals colorés de Ngaba, les visages féminins sont omniprésents. Elles vendent du pain, des beignets, du poisson grillé, des vêtements ou encore de l’eau. Pour certaines, cette activité n’est pas un choix, mais une nécessité.
« Je suis mère de quatre enfants, je n’ai pas eu la chance de finir l’école. Vendre au marché, c’est ce qui nous fait vivre », confie Henriette Mwadi, 38 ans, vendeuse de fruits à Victoire.
Ces femmes ne disposent ni de boutique ni de capital important, mais elles maîtrisent parfaitement les dynamiques locales : les horaires de vente, les produits qui se vendent selon la saison, les meilleurs emplacements. Elles incarnent une forme d’expertise populaire, ancrée dans la réalité sociale de Kinshasa.
« Moi, je vends deux articles. Je commence le matin par les beignets, parce que je sais que la demande est forte avec les élèves et les employés pressés qui n’ont pas eu le temps de déjeuner. De 11h à 17h, je vends de l’eau, puis je reprends les beignets le soir », explique Anuarite Moseka, vendeuse au rond-point Ngaba.
Loin des horaires fixes du travail, le quotidien de ces femmes est rythmé par une logistique intense. Levées dès l’aube, elles préparent les enfants, arrangent la maison avant de s’installer à leur poste pour la journée. Certaines emmènent même leurs nourrissons avec elles.
« Je n’ai pas les moyens de payer une gardienne, alors je viens avec mon bébé. Il dort derrière l’étal », raconte Chantal Ngindu, 26 ans, vendeuse d’arachides.
L’équilibre entre leurs responsabilités domestiques et l’activité économique reste précaire. Le soutien du conjoint est souvent minimal, et la pression sociale sur l’image de la femme ménagère parfaite persiste.
« Pourtant, ce sont nous qui nourrissons les foyers, parfois en étant les seules sources de revenus. Mais on nous oblige à tout faire : être mère, épouse, femme au foyer et soutien économique, parfois même pilier principal », s’indigne Hortense Nakwati, vendeuse d’eau à Victoire.
Malgré leur rôle central dans l’économie urbaine, ces entrepreneures de rue font face à de nombreux obstacles. D’abord, l’irrégularité administrative : la plupart ne possèdent ni registre de commerce ni autorisation formelle, ce qui les expose à des arrestations arbitraires, des amendes ou des confiscations de marchandises.
Ensuite, la stigmatisation sociale : elles sont parfois perçues comme désœuvrées ou non sérieuses, alors qu’elles exercent une activité essentielle à la vie de la ville.
Enfin, l'absence de politiques publiques ciblées : peu de programmes d’aide ou de microcrédit leur sont accessibles, et les infrastructures urbaines (abris, sanitaires, sécurité) ne prennent pas en compte leur réalité.
Ce microcosme économique révèle la puissance silencieuse d’un tissu féminin informel qui fait tenir les foyers debout. Ces femmes sont à la fois commerçantes, mères, gestionnaires et travailleuses sociales, souvent dans l’ombre.
Redonner une voix à ces actrices du quotidien, c’est aussi poser la question de la reconnaissance du travail informel dans les politiques économiques et sociales de Kinshasa. Car soutenir ces femmes, c’est investir dans une économie réelle, enracinée dans les rues de la ville et dans le cœur de ses foyers.
Nancy Clémence Tshimueneka