Afrique: pour lutter contre la banalisation des dispositions intangibles de Constitution, Guelord Luema propose notamment la criminalisation des violations intentionnelles (Thèse doctorale)

Photo d'illustration
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Le chercheur congolais Guelord Luema Lusavuvu est désormais Docteur en droit public de l'Université Paris-Est Créteil (UPEC). Il a obtenu ce grade à l'issue de la soutenance publique de sa thèse de doctorat qui a porté sur: « La question de la révisabilité des dispositions constitutionnelles intangibles en Afrique francophone subsaharienne».

Cette thèse qui a eu pour Directeur, le Professeur Pierre de Montalivet (Université Paris-Est Créteil), a été défendue devant un jury composé des Professeurs: Manon Altwegg-Boussac (Université Paris-Est Créteil), Fabrice Hourquebie (Université de Bordeaux), Anne Levade (Université Paris I Panthéon Sorbonne), et Abdoulaye Soma (Université Thomas-Sankara du Burkina-Faso).

Dans sa dissertation doctorale, le chercheur congolais a soutenu que le choix de son sujet s'impose naturellement dans le contexte africain.

 «Il est, en effet, motivé par l’interminable débat doctrinal sur l'obligation des règles constitutionnelles réputées intangibles. Ce débat de doctrine se pose donc avec acuité en Afrique, depuis l’avènement du néo-constitutionnalisme dans les années 1990. Cela à travers les clauses constitutionnelles limitatives du mandat présidentiel. A ce propos, il convient de noter que nombreuses sont les constitutions des Etats d’Afrique francophone (notamment celle de la République Démocratique du Congo, du Niger et du Sénégal) qui les inscrivent parmi les dispositions formellement intangibles. Dans d’autres États (c’est notamment le cas du Bénin), ces clauses sont rendues intangibles par la Haute instance constitutionnelle. Malgré l’intangibilité de ces dispositions de la loi fondamentale, certains dirigeants n’hésitent pas à envisager leur révision. Tel a été récemment le cas au Sénégal», a-t-il expliqué.

C'est ainsi qu'il a fait observer qu'en droit constitutionnel contemporain, la question de la révisabilité des dispositions constitutionnelles intangibles est généralement associée à celle de la contrôlabilité des lois de révision. Guelord Luema s’est penché, dans la première partie de sa thèse, sur l'irréversibilité de ces dispositions avant de proposer, dans la seconde partie, des mécanismes de protection de ces dernières.

Au soutien de l'irréversibilité des dispositions constitutionnelles intangibles, Guelord Luema s’appuie sur deux fondements majeurs. D’abord sur la nature constituée du Pouvoir constitutionnel de révision. 

En effet, en tant qu’organe constitué, le Pouvoir de révision ne peut réviser des règles que le Pouvoir constituant originaire a expressément exclues du champ ou du domaine de révision. Ce serait commettre un détournement de procédure. Ensuite, c’est le second fondement, l’auteur soutient que dans la mesure où les règles intangibles fondent la validité de l’acte de révision de la Constitution, l’opération de révision ne peut être valide lorsqu’elle porte atteinte à ces règles. C’est cette conditionnalité qui justifie d’ailleurs notamment le contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles. Mais il faut regretter, souligne le chercheur, que l’office du juge constitutionnel n’est souvent pas effectif en la matière. C’est dire que malgré son statut de  gardien de la Constitution, le juge constitutionnel est souvent inféodé aux pouvoirs politiques, laissant la Constitution à la merci des autorités politiques.

Ainsi face à cette banalisation de la loi fondamentale, le récipiendaire propose, au titre des mécanismes de protection de la Constitution, outre la revalorisation et la revitalisation de la justice constitutionnelle ainsi que la criminalisation des violations intentionnelles des dispositions intangibles (en raison, en cette dernière hypothèse, autant de l’effet dissuasif associé à la sanction pénale que de l’appréhension de la Constitution en tant que valeur pénalement protégée), l’institution d’une Cour constitutionnelle africaine. 

«Cette juridiction aurait pour mission de combler les lacunes du système de protection de la règle de droit constitutionnel et de l’ordre constitutionnel des États africains. L’objectif d’une telle instance serait essentiellement de garantir l’inviolabilité de la Constitution à travers un contrôle juridictionnel de constitutionnalité des actes juridiques des États membres. Cette juridiction constitutionnelle régionale veillerait donc au respect et à la suprématie de la Constitution et de l’ordre constitutionnel des États membres. Elle serait à ce titre un véritable instrument au service de la protection du principe de l’Etat de droit démocratique et des droits fondamentaux de l’homme», a souligné Guelord Luema.

À l'en croire, la Cour constitutionnelle africaine serait, contrairement à la Cour africaine des droits de l’homme et aux autres juridictions sous régionales africaines, une instance d’appel. À ce titre, elle connaîtrait des recours contre les arrêts et décisions du juge constitutionnel des États membres.

Garantie d’une bonne justice, cette possibilité de recours à l’instance constitutionnelle régionale renforcerait, selon l’auteur, l’autorité de la Constitution dans l’ordre juridique des Etats membres. L’autorité de la Constitution s’en trouverait consolidée en ce qu’à l’idée de voir leurs décisions annulées par la haute instance constitutionnelle régionale, les juges constitutionnels nationaux feraient montre de sérieux, de rigueur et d’impartialité. Cette garantie juridictionnelle réduirait ainsi les velléités de leur hyperpuissance.

Certes défendable, cette idée de protection de la constitution par le biais d’une juridiction constitutionnelle supranationale questionne, d'après le chercheur, quant à sa réalisation, surtout au regard des relations qu’entretiennent, ces dernières années, certains États membres de l’Union africaine avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce scepticisme, conclut-il, ne saurait toutefois pas empêcher d’ouvrir au moins le débat sur cette question fondamentale du néo-constitutionnalisme africain.

Ainsi présentée et soutenue publiquement, la thèse de Guelord Luema est « riche, bien documentée et repose sur la défense d’une véritable option », a souligné Fabrice Hourquebie, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux.

Suite à la soutenance, la thèse a été acceptée avec les félicitations du jury et recommandée pour être présentée aux prix.

À propos du Docteur Guelord Luema Lusavuvu

Le Docteur Guelord Luema est titulaire de deux diplômes de Master 2, l'un en droit public fondamental de l'Université de Poitiers et l'autre en droit de l'environnement, aménagement du territoire et urbanisme à l'Université de Limoges. Il possède un parcours remarquable. Il a occupé le poste d'attaché temporaire d'enseignement et de recherche (A.T.E.R.),  successivement aux Universités de Tours et de Paris Créteil, où il a dispensé des cours de droit constitutionnel, droit administratif, contentieux administratif et contentieux constitutionnel. 

De plus, Guelord Luema a organisé plusieurs conférences sur la justice constitutionnelle à l'Université de Créteil, réunissant des acteurs du domaine de droit constitutionnel africain. Ces conférences ont conduit à la tenue du premier colloque international sur la justice constitutionnelle et le contentieux électoral, à Kinshasa, du 18 au 20 mai 2023, sous l'égide de la Cour constitutionnelle congolaise. 

En outre, Guelord Luema exerce en tant qu'avocat d'affaires et spécialiste du droit des contrats publics.