RDC : l’actualité de la semaine vue par Gloria Sengha 

Photo/droits tiers
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Liberté provisoire accordée à Vidiye Tshimanga, plus de 100 individus interpellés par la police dans le cadre de la lutte contre le phénomène « Kuluna », nouvel engagement du gouvernement à l’égard des professeurs d’universités, veto de la Russie au Conseil de sécurité, nouveau coup d’Etat au Burkina Faso, plusieurs sujets ont émaillés l’actualité de cette semaine. Gloria Sengha Panda Shala revient sur chacun d'entre eux.

Bonjour Madame Gloria Senga et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ? 

Gloria Sengha : Je suis une femme politique. J'œuvre également en tant que consultante dans plusieurs ONG internationales, je suis fondatrice du mouvement pro-démocratie Vigilance Citoyenne (abrégé en “VICI”). Je suis née le 20 avril 1993 à Barumbu, une commune de Kinshasa. Je me suis engagée dans le militantisme après l'élection présidentielle de 2011, la même année, j’ai intégré la faculté de Droit pénal et sciences criminelles de l’Université de Kinshasa. J’ai également créé une structure dénommée Association des jeunes pour la démocratie au Congo. Dans la lutte citoyenne, particulièrement les manifestations de janvier 2015 et pendant la crise politique de 2016, j’ai initié plusieurs campagnes. En 2016, pendant que les politiciens congolais étaient en plein dialogue, j’ai été enlevée et détenue pendant plus d’une semaine dans les locaux de l’agence nationale de renseignements (ANR) avec d’autres partisans de la Lucha pour avoir lancé la campagne « Bye Bye Kabila ».

J’ai obtenu ma licence universitaire en 2016. L’année suivante, j’ai commencé ma carrière d’avocate au barreau du Kongo Central. 

L'assemblée nationale a adopté son calendrier pour la session parlementaire de septembre qui est essentiellement budgétaire. Elle doit doter le pays de son budget pour l'exercice 2023. Quels sont les secteurs à privilégier dans la répartition dudit budget ? 

Gloria Sengha : parmi les secteurs à privilégier il y a d’abord la défense (allouer une portion importante aux Forces armées). Il est anormal que nos FARDC soient à chaque moment confrontées aux difficultés liées aux moyens logistiques et financiers. On trouve normal que les M23 aient plus d’armement que nos forces loyalistes ? Que fait-on des recettes mobilisées dont on nous parle matin et soir ?  Le deuxième secteur, c’est la santé : les députés nationaux touchent 21.000$ et les médecins ont un salaire de 500$. C'est incompréhensible. Encore faut-il qu’ils soient mécanisés car d’autres n'ont rien. Nous sommes tous Congolais, il n’y a aucune raison pour qu'une partie de la population ait plus de privilèges et soit supérieure à une autre.

Au cours d'une conférence débat organisée par Actualité.cd, la rapporteure de la CENI a indiqué que les contraintes mentionnées dans la feuille sont en train d'être élaguées. Ce qui fera que les élections soient organisées dans le délai. Votre réaction à ce propos ? 

Gloria Sengha : je suppose que la CENI tient compte également des contraintes sécuritaires. Cela fait plus de 100 jours que Bunagana est occupé par les M23 et le conflit  entre Teke et Yaka s’est ajouté à cette situation sécuritaire préoccupante. Jusqu’à présent il n’y a pas de signaux qui montrent que le gouvernement s’engage à rétablir l’autorité de l'État dans ces zones. Il faut justement que le gouvernement s’active pour que les élections aient lieu sur toute l’étendue du territoire national.

La CENI a également confirmé l'organisation de l'enrôlement des électeurs à Kwamouth dans les délais prévu. Quelles sont vos recommandations pour que cette opération se passe en toute quiétude dans cette zone confrontée à un conflit intercommunautaire ? 

Gloria Sengha : on ne doit pas se voiler la face, le gouvernement congolais n’arrive pas à gérer ce conflit qui sévit dans le Mai-Ndombe, on y a envoyé une armée sans moyen. Comment envisager d’organiser les enrôlements dans ce coin ? Est-ce que la CENI est au courant qu’il y a des centaines des familles qui se sont réfugiées au Congo Brazzaville ? Des écoles ont été brûlées ? Le conflit Teke et Yaka est à la porte de Kinshasa, organiser l’enrôlement dans ce coin relève de l’utopie pure et simple.

En sécurité, 115 présumés Kuluna ont été interpellés par la Police après un bouclage à Kinshasa. Ils seront envoyés à Kaniama et déférés devant la justice. Pensez-vous que cette initiative pourra mettre fin au banditisme urbain ? 

Gloria Sengha : seront-ils réellement déférés devant la justice ? Je doute de cela, car nous sommes habitués à des procédures extrajudiciaires. Emmener ces jeunes à Kaniama Kasese n’est vraiment pas la solution contre le banditisme urbain. A ce jour, quels sont les résultats obtenus à Kaniama Kasese? Les actes de banditisme continuent à être commis. Il faut plutôt interroger les causes profondes. Et je pense que la principale cause est l’employabilité des jeunes. 

Après des rumeurs faisant état d'une infiltration rwandaise, le Général de la police met en garde contre toute interpellation d'un individu ayant une morphologie différente. Il a également appelé la population à dénoncer tout acte suspect. Quel est votre point de vue à ce sujet ? 

Gloria Sengha : je pense que la population doit être éduquée à la tolérance. Nous sommes un pays avec plus de 400 ethnies et chacune d'elles a ses traits physionomiques. On ne peut pas déterminer qui sont les véritables congolais sur base de leur morphologie. Cette diversité culturelle et nos différences fondent notre force en tant que nation. La police a pris une bonne option et je l'encourage à traquer toute personne qui sera surprise dans ces actes. Cela ne doit pas être l'élément déclencheur d'un génocide en RDC. Seul l'Etat congolais est la voie officielle pour nous informer d'une possible infiltration.

En société, à la suite d’une réunion présidée par le premier ministre, le gouvernement s’est engagé à trouver des solutions idoines pour honorer ses engagements envers les associations des professeurs d'universités en grève actuellement. Vos attentes de cet engagement ? 

Gloria Sengha : ces grèves ont commencé depuis 2019. Des rencontres ont été organisées entre les deux parties mais à quoi est-ce que tout cela a abouti ? Le gouvernement prend assez souvent des engagements qu’il ne respecte pas. Et les enseignements sont perturbés entre temps. Les étudiants paient les pots cassés, comme c’est le cas à l’Université de Kinshasa. Sincèrement, je suis dubitative quant au respect de ce nouvel engagement du gouvernement. Les revendications des professeurs sont légitimes, ils méritent de vivre dignement. Il est juste anormal que dans un pays comme la RDC, l’essentiel du budget national profite aux institutions alors que le secteur de l’éducation, qui constitue l’avenir de cette nation, est négligé. 

Après une marche de protestation des médecins à Kinshasa, le gouvernement a annoncé un nouvel atelier d'harmonisation avec le ban syndical. Estimez-vous que les attentes des professionnels de santé puissent être satisfaites ?

Gloria Senga : ce cas est semblable à celui des professeurs. Les médecins ont plusieurs fois menacé de manifester ou d'aller en grève. Même réaction de la part du gouvernement, des rencontres, notamment à Mbudi. (…) je condamne le traitement que la police a réservé au corps médical lors d’une marche à Kinshasa et j’appelle le gouvernement à répondre aux revendications des médecins pour éviter de multiplier des cas de décès au sein des populations. 

En justice, Vidiye Tshimanga a bénéficié de la liberté provisoire. La chambre du conseil du tribunal de paix de Kinshasa-Gombe, avait pourtant décidé de le maintenir en détention pendant 15 jours. Ses avocats qui avaient directement fait appel ont  eu gain de cause. Comment analysez-vous cette décision de justice ?

Gloria Sengha : la RDC envoie un message qui ne lui sera pas favorable. Depuis son investiture, le Chef de l’Etat a multiplié les voyages à la recherche des investisseurs. Mais comment pourront-ils venir dans un pays qui envoie des signaux de corruption ou de pots de vins. Avec toutes ces déclarations fortes entendues de la part du conseiller du Président de la République (tentatives de corruption, trafic d’influence), cela doit étonner de le voir bénéficier d’une liberté provisoire. Le Chef de l’Etat a placé la lutte contre la corruption au centre de son mandat, à travers la l’Inspection générale des finances (IGF). 

Plusieurs cas de justice populaire ont été enregistrés à Idiofa depuis le début de l'année. Mais la justice est bloquée suite aux carences de magistrats. Deux nouvelles personnes ont été tuées cette semaine. Que doit faire le ministère de la justice selon vous ? 

Gloria Sengha : je me suis réjouie d’apprendre que le Conseil supérieur de la magistrature organise des tests de recrutement des nouveaux magistrats. C’est un processus qui va aider à pallier la carence des magistrats dans plusieurs territoires du pays et va permettre à ce que justice soit rendue pour des litiges entre les populations. Il va falloir en même temps que des moyens soient mis à la disposition des services judiciaires et de la police pour maîtriser ces cas de justice populaire. 

En santé, le gouvernement a annoncé la fin de la 15è épidémie d’Ebola au Nord-Kivu. Entre-temps, des experts de l'OMS en collaboration avec le ministère de la Santé ont réfléchi à Kinshasa de la persistance du virus Ebola chez les malades guéris. Quelle réponse devrait apporter cet atelier ? 

Gloria Sengha : on devrait parvenir à déterminer les causes profondes de la résurgence de cette maladie. Est ce que les consignes données aux personnes sont respectées à la lettre ? Et il faudra établir des mécanismes efficaces de riposte. 

Au niveau continental, le Burkina Faso vient de connaître un deuxième coup d'Etat militaire en 8 mois. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a été remplacé par le capitaine Ibrahim Traoré. Quel est votre avis sur cette façon d'acquérir le pouvoir en Afrique ?

Gloria Sengha : c’est une situation qui suscite des interrogations sur le chemin que veut prendre le pays des hommes intègres. En janvier, il y a eu un coup d’Etat qui a mis fin à l’ordre constitutionnel, et 8 mois plus tard un nouveau. C’est un recul pour la démocratie dans le pays de Thomas Sankara. D’autre part, cela représente une certaine révolte des personnes qui estiment que ceux qui sont élus par les moyens du vote ne parviennent pas à résoudre les problèmes du pays. (…) Le Burkina Faso est menacé par le terrorisme. Est-ce que la solution ne serait pas le retour à l’ordre constitutionnel ? Après la chute de Blaise Compaoré, ce pays a eu des élections pour la première fois démocratiques mais la maladie des coups d’Etat des années 60 a repris. Le problème du Burkina Faso réside aussi dans ses relations avec la France. Nous nous approchons de plus en plus de la chute de l’empire France-Afrique qui existe depuis des décennies. Dans tout cela, quelle est la part de la population ? 

Au niveau mondial, la Russie, qui a annexé quatre régions ukrainiennes, a utilisé son veto pour empêcher l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant ces annexions. Le texte va désormais être soumis à l'Assemblée générale, où tous les Etats membres sont représentés. Que pensez-vous de cette position de la Russie ?

Gloria Sengha : la position de la Russie est néocolonialiste. L’Ukraine est un pays souverain. Cette façon d’user de sa position, des moyens matériels et logistiques pour imposer sa loi aux autres peuples ne mérite aucune appréciation. L’annexion est certainement une manière pour la Russie de prouver sa suprématie face à l’OTAN. Mais la guerre en Ukraine a causé autant de pertes en vies humaines et des dégâts matériels. Je ne soutiens pas cette posture de la Russie étant donné que la RDC est également agressée depuis plus de deux décennies par la République du Rwanda. 

Un dernier mot ?

Gloria Sengha : Je souhaite à la population congolaise de retrouver sa paix et des meilleures conditions de vie malgré la crise économique et sécuritaire que traverse le pays. Aux populations de Bunagana ou de Kwamouth, je vous exprime toute ma solidarité. Aussi, j’appelle les Congolais à se mobiliser pour les opérations d’enrôlement qui sont annoncées à la fin de l’année. Allez vous enrôler afin de pouvoir élire les candidats de votre choix lorsque viendra le moment de voter.

Propos recueillis par Prisca Lokale