RDC : « je voudrais dire à la génération nouvelle, on n’est peut-être pas à côté de vous mais sachez que l'on travaille pour vous », Raïssa Malu

Photo/ Droits tiers
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Cela va faire huit ans que Raïssa Malu a initié à Kinshasa un évènement destiné à promouvoir les STEM auprès des jeunes femmes. Elle est Professeure des sciences et des mathématiques, auteure, éditrice et consultante internationale. Rencontre avec celle qui veut susciter des vocations pour ce secteur en RDC. 

Bonjour Madame Raïssa Malu, merci d’avoir accepté de nous accorder de votre temps. Vous êtes initiatrice de la semaine de la science et des technologies en République Démocratique du Congo. Pouvez-vous nous parler de ce projet ? Qu’est-ce qui a motivé sa mise en place ? 

Raïssa Malu : Bonjour et merci Desk Femme. La semaine de la Science et des technologies est organisée par l'ONG Investing in People que je dirige depuis 2014. Cette année, c'était la huitième édition. La semaine de la science est en soi de l'animation scientifique (conférences) faite par les élèves. Parmi les raisons qui m'ont motivé à l’initier, il y a notamment le fait qu'à chaque fois que je me présente en tant que physicienne, les gens reculent d'un pas, se rappelant les très mauvais souvenirs qu’ils avaient des cours des Mathématiques et de physique pendant leurs études. J'ai rencontré cette réalité en Belgique avec mes étudiants. J’ai pensé que cela aurait plus d'impacts en RDC de créer le cadre pour promouvoir la science et les technologies (montrer comment ils jouent leurs rôles dans le développement du pays), pour susciter des vocations, mais aussi faire la promotion du savoir et le savoir-faire congolais et africain dans ces domaines. 

Après huit éditions, quel bilan faites-vous de vos objectifs de départ ?

Raïssa Malu : la semaine de la science et des technologies devient aujourd’hui un évènement phare et attendu. C'est un beau cheminement. Je reçois des jeunes qui sont passés lors de la première ou deuxième édition et qui estiment que leur passage à cet évènement leur a ouvert à de nouvelles perspectives et permis de prendre conscience qu'il n'y a rien d'anormal dans le fait d'avoir des femmes performantes dans les domaines des STEM. Il y a des gens qui nous appellent à travers les provinces pour nous informer qu'ils voudraient organiser une activité dans le cadre de la semaine de la science au mois d'avril. Ce sont des messages qui nous poussent à croire que nous avons eu raison de lancer cet évènement et d’honorer ce rendez-vous chaque année. Au bout de 8 ans, nous avons réussi à susciter l'intérêt et de la vocation dans les provinces de la RDC. Des élèves visiteurs sont devenus modérateurs des animations scientifiques et il y en a qui aujourd'hui deviennent formateurs des prochaines générations. C'est un bilan positif que je dresse. 

La dernière édition a été placée sous le thème de l’Union Africaine pour l’année 2021, « Arts, culture et patrimoine : un levier pour construire l’Afrique que nous voulons ».  Pouvez-vous revenir sur les points forts de cet évènement ?

Raissa Malu : on a voulu, à travers ce thème, marquer la mandature de la RDC à la tête de l'Union africaine. Durant huit ans, les enseignants, les directeurs d'écoles sont demandeurs d'une formation qui leur soit adaptée. Mais ce que veulent les responsables d'écoles, c'est que les enseignants soient capables de dispenser les cours de science de manière assez ludique, intéressante et pratique comme c'est fait à la semaine de la science. Avec la pandémie de Covid-19 et la fermeture des écoles, nous nous sommes rendus compte que de nombreux enseignants ne savaient même pas utiliser WhatsApp, n'ont pas d'adresse email, n'ont pas accès à l'ordinateur et à l'internet. Ce n'est pas une question de coût mais plutôt de compétences. La semaine de la science s'est passée en deux étapes, la première en présentiel à travers cette formation et la deuxième en virtuel par des animations scientifiques. L'autre activité phare était une conférence avec le panel qui accompagne le mandat de la RDC à l'Union Africaine, chaque membre a pu parler de sa spécialité.

L’Union Africaine, puisque c’est d’elle que nous parlons, est dirigée actuellement par le Chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi. Et vous faites partie du panel qui accompagne ce mandat. Quelles sont vos taches ? 

Raïssa Malu : j'ai en charge les questions éducation, jeunesse, sciences, technologies et innovation. C'est une équipe de spécialiste dans différentes thématiques, mise en place par le Chef de l'État pour le conseiller sur les positions qu'il devrait avoir au niveau continental et d’aider à expliquer toutes les stratégies définies par l'Union Africaine. Nous ne sommes pas un organe exécutif. C'est la commission de l'UA qui exécute tous les programmes.    Quels sont aujourd'hui les défis à relever en termes des STEM en Afrique ? 

Raïssa Malu : l'UA a élaboré différentes stratégies, il y en a une pour l'éducation, une autre pour l'enseignement technique et professionnel, une autre pour les sciences et technologies d'innovation et une dernière stratégie spatiale. Le problème c'est que ces stratégies existent mais il n'y a pas de mise en œuvre au niveau des États. Pourquoi ? C'est notamment parce que les différents États n'allouent pas suffisamment de fonds à la recherche. Aucun de nos pays africains ne dispose d'au moins 1% de son PIB destiné à la recherche scientifique. C'est un énorme frein. Autre chose, il faudrait stimuler la coopération Sud-Sud. On a aujourd'hui tendance à favoriser la coopération Nord-Sud traditionnelle alors que l’on aurait plus intérêt à avoir une certaine mobilité de nos chercheurs, de nos étudiants en Afrique et de développer des programmes communs. J'ai participé à une conférence de l'Académie des Sciences Congolaises, parmi les problèmes qui ont été soulevés, il y a notamment le fait que dans une telle coopération, le Nord impose des thèmes de recherche qui parfois ne correspondent pas aux besoins locaux. C'est ainsi que l'on se retrouve sur des thèmes brillants qui ne répondent pas aux besoins de l'Afrique. Il faudra intensifier la coopération au niveau continental. La Zone de libre-échange Africaine (Zlecaf) est une opportunité à saisir.

Dans plusieurs écoles, les effectifs des jeunes femmes qui s'inscrivent dans les options de STEM sont réduits. Qu'est-ce qui expliquerait cela selon vous ? 

Raissa Malu : c'est pour cette raison que l'on a lancé la réforme des programmes des sciences et des mathématiques. Je suis aussi responsable de ce projet (PEQPESU) au sein de l'enseignement primaire, secondaire et technique EPST, j'ai en charge la réforme des programmes. Nous avons adopté une approche par les situations, il faudrait que lorsque les élèves apprennent, qu'ils soient capables d'utiliser ces méthodes dans une situation donnée. On s'est rendu compte lors des évaluations que les parents, les élèves et les enseignants sont contents de cette nouvelle approche qui redonnent en même temps le goût des sciences. Ces programmes sont déjà en application pour les classes de 7eme et 8eme années de l'enseignement de base. Nous avons rénové le programme de quatre années des humanités scientifiques qui ont été validés et devrait entrer en application lors de cette nouvelle année scolaire. Cela fera vraiment une différence et aura un impact positif sur le nombre de filles dans les facultés des STEM.

Comment accélérer les choses ?

Raïssa Malu : il faut des rôles modèles, d'autres femmes auxquelles les filles peuvent s'identifier. Les femmes dans les STEM deviennent de plus en plus visibles, elles commencent à émerger, on fait de plus en plus des focus sur elles. En faculté d'ingénierie, on aura toujours moins de filles que des garçons. C'est l'une des raisons qui feront que parmi les réformes proposées, la section Biochimie et Math-Physique soient fusionnées en une seule section Scientifique qui va améliorer la formation de tous les élèves et pouvoir les mettre à niveau pour le cursus universitaire.

Professeure des sciences et des mathématiques, auteure, éditrice et consultante internationale. Un retour sur votre parcours ? Quelle est votre plus belle expérience dans ce secteur ? 

Raïssa Malu : j'ai fait des études au Groupe scolaire Mont-Amba et au Lycée Motema Mpiko, je suis partie en Belgique pour faire mes études supérieures. Je suis Physicienne de formation et durant tout mon parcours, j'ai tout fait pour promouvoir les sciences et la technologie. La semaine de la Science et de technologie est un projet dont je suis fière parce que je vois l'impact sur la population congolaise et même sur l'Afrique. C'est clairement la réalisation dont je suis le plus fière. 

Vous avez certainement rencontré des difficultés, comment avez-vous fait pour vous en sortir ? 

Raïssa Malu : chaque année depuis 8 ans, c'est toujours aussi difficile de convaincre les sponsors et les partenaires. C'est vraiment le plus dur. 

Et les défis pour une jeune femme qui s'engage dans ce secteur ? 

Raïssa Malu : il y a par exemple le défi culturel. Il y a une énorme pesanteur. Des nombreuses jeunes filles ont été démotivées par les familles qui pensent que la place de la femme est au foyer, à la cuisine. Le deuxième défi, c'est le fait que ce domaine soit un monde d'hommes. Les femmes sont parfois victimes de discrimination et des violences pour certains cas. Le troisième, c'est la concurrence face aux chercheurs hommes. Il faudrait par moment que la justice intervienne pour que les conditions soient créées pour que tout le monde (hommes et femmes) puisse évoluer. 

Un dernier mot ?

Raïssa Malu : je voudrais dire à la génération nouvelle, on n’est peut-être pas à côté de vous mais sachez que l'on travaille pour vous. On est là pour améliorer les conditions d'enseignement des sciences et des mathématiques, on est là pour les femmes qui s'engagent dans ce domaine. Avec l'évolution du monde, la quatrième révolution industrielle, la RDC, l'Afrique a vraiment besoin d'armées d'ingénieurs, de physiciens, et autres. Et on se doit d'aller vers ces disciplines. Il faut que la RDC joue son rôle au sein du continent africain.

Propos recueillis par Prisca Lokale