CHRONIQUE LITTERAIRE DU PROF YOKA : « [email protected]  »

Immeuble du Gouvernement/Ph. droits tiers

Confidences   du   chauffeur   du   ministre 

Lundi. … Avec le délestage électrique de   mon quartier d’en bas, je   me suis trouvé hors-circuit de l’actualité politique. Au point que ce lundi fatidique, sans crédits, sans-le-sou, sans mobilité, je n’ai pas pu joindre mon patron ex-ministre. Ce jour-là j’ai résolu de tuer le temps à notre nganda-bar du quartier. Là-bas   au  nganda, n’est-ce pas, « tout est négociable, avec ou sans » comme dit le gérant du bar…

Mais  quelle n’a été ma surprise, en arrivant au nganda-bar, de voir mes copains ambianceurs agglutinés autour d’un poste de radio, et dans un chahut indescriptible. C’était l’annonce du nouveau gouvernement. Enfin ! Et   à   chaque   fois   qu’un de nos copains croyait avoir reconnu   un nom de ministre   plus ou moins proche, plus ou moins cousin « sang-pour-sang », c’était l’euphorie générale. Au point qu’avec tout ce chahut, au point qu’arrivé en retard et en  plein milieu de l’annonce, je n’ai suivi qu’une partie de l’annonce gouvernementale. L’on devine mon désarroi par rapport à la situation de mon ex-ministre…

Mardi.  Réflexe de vieux briscard du quartier et de la politique, j’ai décidé   d’aller  vérifier sur place à la résidence ministérielle l’état de la question, au lendemain de la fameuse annonce. D’autant plus qu’entretemps, des rumeurs folles avaient couru faisant état, dans un premier temps, de l’omission du nom de mon patron ; dans un deuxième temps de sa réhabilitation mais à un grade  et à un poste insignifiants ; et dans un troisième temps à un grade plus ou moins acceptable…

Même au lendemain de la fameuse annonce, tout un kilomètre à la ronde dans le quartier de mon ex-ministre vibrait encore du tapage      des vuvuzelas et des effluves sonores  d’une fête prolongée. J’ai compris ainsi, en atteignant   la résidence   de  mon patron, que l’histoire s’était accélérée.

Mais, surprise, malgré tout le raffut  au-dedans et au dehors de la résidence de mon patron, le portail d’entrée  était barricadé ; et, devant le portail, un   nouveau   gardien  en poste. Ce dernier m’a refusé l’entrée. J’ai eu beau décliner mon identité de chauffeur-Première-Classe-Ancienneté-20 ans-Coté Elite,  au service de  Son Excellence, pas question ! J’ai alors  demandé les nouvelles du garde du corps, de la bonne, du jardinier, du lavandier,  du médecin de la famille : tous auraient été « remerciés » ce mardi matin par Madame la patronne, après l’annonce du remaniement. A moi, par exemple, cette  dernière aurait reproché des  griefs suivants : primo, abandon de poste à un moment délicat de la carrière de son mari d’ex-ministre en congé technique ; secundo, manque de loyauté ; tertio,  chauffeur complice  des incartades du mari de ministre et confident complaisant.

J’apprendrai enfin que non seulement mon patron aurait  été maintenu, mais qu’il serait  monté en grade  comme « Ministre d’Etat  en charge des Questions Tactiques et Statistiques » ( et non plus en charge des Affaires Stratégiques et Tactiques).

Mercredi. J’apprendrai le mercredi matin  qu’un nouveau chauffeur aurait  été engagé  dès lundi : un frère « sang-pour-sang » de l’oncle de l’amie de la demi-sœur  de la nouvelle bonne de Madame la patronne. J’apprendrai également bien plus tard dans la soirée de mercredi que Son Excellence aurait  révoqué  ce  nouveau chauffeur-oncle-de-l’amie-de-la-demi-sœur-de-la-bonne-de-la-patronne. Dès la première course, mardi, ce chauffeur aurait  fait  un  accident grave. Voiture officielle cabossée.   Ah !  les voies du Seigneur sont impénétrables ! J’invoque à présent ce Dieu des chômeurs pour ma réhabilitation…

 

(YOKA  Lye), 15-04-2021