Jean-Chrétien Ekambo: « des vastes espaces de notre pays sont des trous noirs qui ne sont pas du tout arrosés par l’information journalistique »

ACTUALITE.CD

Sa parole sonne comme un oracle dans les milieux de l’infocom à Kinshasa. Il s’est confié à ACTUALITE.CD à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse. Jean-Chrétien Duasenge EKAMBO, professeur des universités, est un ancien recteur de l'Institut facultaire des Sic (Ifasic) de Kinshasa. Auteux prolixe, il est aussi le président de la société savante congolaise des Sic (Sic’Co) et le directeur du laboratoire de recherche de l'Ifasic (Centre d'études en communication, Cecom).

Quel est, selon vous, le rôle de l’information journalistique dans la construction de la démocratie et du développement en RDC ?

Pour moi il n’existe pas de rapport direct entre information journalistique et démocratie, encore moins entre information journalistique et développement. Un raisonnement a contrario montre que, dans nos villages où la démocratie est vécue de façon quotidienne, intense et stable, les médias y sont tout à fait inexistants. De la même façon, la Chine a connu un bond incroyable en développement industriel et social avec toujours la suprématie de son parti communiste, dont on ne peut vanter le modèle de presse démocratique, à savoir pluraliste en tendances et généreuse en inventivité non conformiste. Il faut, je pense, resituer l’information journalistique dans son contexte sociétal de ces deux derniers siècles, c’est-à-dire comme une notion qui relève d’une simple classification professionnelle. Alors que les médecins s’en tiennent encore à l’éthique de Hyppocrate, le métier de journalisme évolue au gré de l’esprit du temps. La presse écrite est devenue un objet de standing et de signe d’appartenance pour l’élite, si elle n’est pas perçue comme télé-magazine. La radio est devenue davantage un gadget pour autos et la télévision sert surtout au divertissement, avec des animateurs qui rivalisent seulement en audimat, nullement en contenus cognitifs.

Cela dit, la promotion de la démocratie nécessite un mécanisme d’incubation plus complexe. Elle passe principalement par la standardisation des savoirs quotidiens. 

Le journalisme indique l’existence, dans une société aussi  d’un corps de métier avec des exigences de capacité, de performance, d’accès et de sortie. Le journaliste est tout à fait différent de l’écrivain de l’art, ce dernier n’ayant comme commanditaire que le génie rhétorique et l’inspiration. L’écrivain du factuel réponde à une double exigence, celle de la primauté de l’événement et celle de la consommation utile et pertinente du produit. L’internet et la connexion ont permis à ce jour l’apparition de différents médias qui empruntent aux vieilles agences de presse le sens de l’instantanéité et qui estiment, dès lors, que le journalisme ne consister qu’à être le premier à informer. Or, les agences de presse ont l’avantage de diffuser vers d’autres usagers, qui sont aussi des médias et qui réorientent l’information selon les clivages de leurs publics. Aujourd’hui, seuls les médias traditionnels et les médias en ligne font encore du journalisme, à la différence des blogs et autres chaines de Youtube qui ne se satisfont que du nombre des vues ou des likes ou de retweets. 

L’apport de l’information journalistique à la démocratie se mesure en termes d’ouverture plus accrue d’angles de vue de l’événement. C’est la somme des savoirs générés qui enrichit le consommateur des médias et augmente ses potentialités de création de solutions originales pour sa vie ordinaire. Une sagesse bien congolaise affirme que l’ignorance est une demi-mort. Mais l’on doit ajouter également qu’une surinformation inconsidérée est une mort tout court. A quoi servent ces émissions Youtube sur des sujets dits d’actualité, avec un ou quelques interviewés, qui profèrent des contenus approximatifs, induisant profondément en erreur les personnes elles-mêmes peu renseignées sur des sujets souvent délicats. Et comme ces émissions surviennent à l’improviste, tout en étant trop longues, elles ne peuvent donc pas contribuer à l’enrichissement cognitif du public consommateur. 

La démocratie passe par une certaine standardisation des savoirs, afin de permettre un débat plus ou moins d’égal à égal. En effet, si les acteurs politiques de notre pays parviennent à répéter les mêmes promesses aux mêmes électeurs et avec les mêmes résultats, c’est surtout parce que l’électorat reste toujours au stade d’ignorance de scrutin en scrutin. Or, de très vastes espaces de notre pays sont des trous noirs qui ne sont pas du tout arrosés par l’information journalistique. Les habitants n’ont pas du tout la possibilité de suivre la production parlementaire ou politique de leurs élus une fois qu’ils les quittent et reviennent à la capitale ou dans les chefs-lieux des provinces. Le Congo est doté d’un grand nombre de radios communautaires, mais en réalité ces machines ne produisent aucune information journalistique, en attendant la quantité de carburant qui surviendra pendant la campagne électorale.

Mais le développement consiste précisément à s’extraire de l’immobilisme, à se mouvoir vers un stade supérieur en qualité. Cette marche est donc inévitablement une procédure de comparaison, de regard vers le passé et de compte en permanence. .