RDC: “sans institutionnalisation des changements promis, le risque de retour en arrière est important” (Arnaud Froger, RSF)

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Reporters sans frontières (RSF) a publié ce mardi l’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse. Ce nouveau ranking démontre que la décennie à venir sera décisive pour l’avenir du journalisme. Ce nouveau tableau révèle que la RDC a gagné 4 places et passe de la 154e place à la 150e place sur 180 pays. Quels sont les défis qui restent à relever? ACTUALITE.CD reçoit pour vous Arnaud Froger, Responsable du bureau Afrique de RSF. 

Qu’est-ce qui expliquerait, selon vous, le petit bond remarqué ?

Le départ de Joseph Kabila a mis fin à un système de prédation organisé et directement piloté par les plus hautes autorités de l’Etat. Le discours du nouveau président qui a manifesté dès son allocution d’investiture sa volonté de faire des médias un véritable quatrième pouvoir dénote radicalement avec celui du régime précédent. Mais les mots ne suffiront pas. RSF et notre partenaire Journaliste en danger (JED) avions noté une décrue significative des exactions contre les journalistes et les médias congolais dans les mois ayant suivi l'accession au pouvoir des nouvelles autorités. Plus d’un an après, elles sont reparties à la hausse et nous en avons répertorié plus d’une centaine. Cela signifie qu’il est grand temps de joindre les actes à la parole. Sans institutionnalisation des changements promis, le risque de retour en arrière est important et les nouvelles libertés acquises ne pourraient être qu’une parenthèse. Le nouveau chef de l’Etat a une responsabilité historique pour l’avenir de son pays. Il peut être celui qui fait de la liberté de la presse et de l’information de qualité un pilier essentiel du développement en RDC. Cela ne marchera que si de grandes réformes concrétisent les promesses effectuées. 

Quels sont selon vous les plus grands défis aujourd’hui en RDC en terme de liberté de la presse ?

Il est désormais très fréquents que les autorités d’un pays fassent de la lutte contre la désinformation une priorité qui justifierait qu’il faille renforcer les arsenaux législatifs et les sanctions dans ce domaine. Aucun des pays ayant adopté cette voie n’est parvenu à atteindre l’objectif visé sans restreindre abusivement la liberté d’expression et d’information. L’approche de RSF est radicalement différente. Et la RDC pourrait être un cas d’école. Elle pourrait même être pionnière dans la région!  Dans ce pays qui a connu depuis des décennies les abîmes du Classement mondial de la liberté de la presse, il y a urgence à protéger la sécurité et les droits de celles et ceux qui sont attachés à produire de l’information de manière indépendante. En protégeant mieux, on rend plus légitimes et plus acceptables les sanctions contre celles et ceux qui commettent des abus ou des dérives. Cela participe à la lutte contre la désinformation. Dans cet esprit, nous avons proposé deux chantiers prioritaires aux autorités congolaises : une grande réforme de la loi sur la presse de 1996 qui devra consacrer la fin des peines privatives de liberté pour les délits de presse. Aucun article ou reportage ne mérite pour son auteur de se retrouver derrière les barreaux. Et la mise en place d’un mécanisme dédié à la protection et à la sécurité des journalistes dont la première étape consisterait à nommer un réseau de points focaux dans toutes les administrations et institutions ayant un lien avec la liberté de la presse en RDC afin de pouvoir alerter et mobiliser les autorités lorsque des exactions sont commises. C’est un outil qui peut aider à briser le cercle vicieux de l’impunité et à faire reculer les exactions. Ces deux grandes réformes ne sont pas coûteuses et jetteraient les bases d’une nouvelle politique des médias ambitieuse. Elles permettraient sans aucun doute à la RDC de progresser bien plus rapidement au Classement mondial de la liberté de la presse avec tous les effets vertueux que cela entraîne.

Pensez-vous que l’actuel pouvoir a cette volonté d’améliorer la situation et selon vous qu’est-ce bloquerait ?

En tout cas! il l’a manifesté à plusieurs reprises et dès sa prise de fonction. C’est déjà un signal encourageant. Les blocages peuvent venir du fait que les chantiers à mener sont immenses et nombreux. Mais la volonté existe. Le ministre de la Communication partage l’ambition d’une réforme du cadre légal et souhaite organiser des états généraux de la presse. Nous espérons que ces ambitions pourront se concrétiser dès la fin la crise sanitaire en cours. Il n’y a plus de temps à perdre. Un journaliste qui animait des émissions de ripostes contre Ebola s’est fait assassiner dans la plus grande impunité l’année dernière. Les agressions de journalistes et les arrestations de courtes durées restent des moyens de pression largement répandus. La RDC est le pays d’Afrique subsaharienne dans lequel RSF recense le plus de ce type d’exactions. Il est tout à fait possible d’obtenir des résultats rapides et concrets pour briser cette spirale. Mais il faut des actes.  

Pourquoi c’est urgent aujourd’hui d’adapter le cadre légal? Et qu’es-ce qui doit être changé concrètement ?

C’est l’une des lois les plus obsolètes et les plus répressives du continent africain. Le régime précédent a fait semblant de s’y attaquer mais la réforme n’a jamais été menée à son terme. Elle contient des dispositions qui prévoient des peines privatives de liberté pour des délits de presse mineurs et même la peine de mort pour des articles qui relèveraient de la “trahison”. Le texte ne prend pas en compte l'intérêt public d’un article, la véracité des faits ou la bonne foi du journaliste lorsqu’il est amené à se défendre dans le cadre de poursuites en diffamation. Les fondations de la liberté de l’information ne peuvent pas reposer sur de telles disposition à moins de vouloir délibérément laisser une épée de Damoclès sur la tête de chaque journaliste exerçant en RDC. RSF ainsi que JED sont tout à fait disposées à accompagner les autorités dans cette réforme historique. La balle est dans leur camp.

Et dernière question, la presse en ligne se développe en RDC. Quelles sont les grandes tendances que vous avez observées?

Il y a une très grande fragmentation du paysage médiatique notamment avec l’essor de la presse en ligne. Elle a souvent constitué un espace de refuge dans les pays qui connu ou qui connaissent des régimes autoritaires. Elle a donc été une formidable source d’espoirs pour les journalistes. Aujourd’hui, elle est confrontée à une multitude de défis colossaux : développements de nouvelles lois associant la production de certains contenus à de la cybercriminalité, difficulté à trouver un business modèle rentable et indépendant sans être sous l’influence des diktats politiques et économiques de certains intérêts, manque de visibilité dans un champ de la communication devenu un véritable chaos informationnel où se mêlent communication, propagande, théories du complot, désinformation et contenus journalistiques de qualité... 

Et quelles sont vos craintes à ce sujet ?

S’il l’on ne parvient pas à redonner un avantage compétitif au journalisme de qualité à l’ère du numérique, il risque d’être noyé. RSF a lancé une la Journalism Trust Initiative (JTI) qui vise à labelliser les organes qui assurent de bonnes conditions et garanties en matière de production d’information. Nous espérons que cet outil se développera pour qu’à l’instar d’un consommateur qui fait confiance à un label lorsqu’il achète produit, celles et ceux qui cherchent des informations de qualité puissent se tourner vers des médias et des journalistes fiables. Plus de visibilité, plus d’accès à l’information de qualité, et donc plus de revenus pour ceux qui en seront les promoteurs. C’est une logique qu’il faut développer.

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