RDC : C’est un Conseil de sécurité divisé qui séjourne à Kinshasa en mission quasi-impossible (Jason Stearns)

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Le chercheur américain Jason Stearns a analysé le contexte de l’arrivée des membres du Conseil de sécurité de l’ONU en RDC. Dans sa tribune, le directeur du Groupe d’Etude sur le Congo (GEC) souligne la décision des autorités congolaises de se  passer de l’aide logistique et financière de la communauté internationale dans l’organisation des élections, les incessants appels de Kabila pour le retrait de la MONUSCO, les positions souverainistes de la Chine et de la Russie et le relatif positionnement du Royaume-Uni dans un contexte marqué par l’absence du consensus sur la machine à voter et le fichier électoral.

« Les Etats-Unis plaident toujours pour une réduction des moyens pour la Monusco, malgré les défis sécuritaires et de protection des civils qui pourraient se poser à l’approche des élections déjà très contestées. Mais Washington est vent debout contre la machine à voter (). La Grande-Bretagne n’y est plus hostile, mais plaide comme son allié traditionnel pour la venue de missions d’observation électorale. L’Union européenne et le Centre Carter ont toujours suivi les processus électoraux en RDC, mais pour l’instant, ni l’un, ni l’autre n’ont confirmé l’envoi d’une équipe d’experts pour suivre ce cycle électoral crucial qui pourrait stabiliser le pays ou au contraire le faire plonger dans un nouveau cycle de violences. Mais parmi les membres du Conseil de sécurité, il y a aussi la Russie et la Chine qui soutiennent la position du gouvernement congolais de refuser toute ingérence, soulignant que l’important a déjà été fait puisque Joseph Kabila ne se représente pas », note Jason Stearns.

Billet

Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont en visite à Kinshasa du 5 au 7 octobre avec pour objectif d’évoquer sans froisser la question des élections et l’épineux problème de la machine à voter. A dix semaines des élections, la Monusco a de plus en plus du mal à exister face aux critiques incessantes et aux restrictions imposées par le gouvernement.

Lorsque la Commission nationale électorale indépendante (CENI) publie son calendrier électoral le 5 novembre 2017, l’assistance logistique du gouvernement et des partenaires figure en bonne place parmi les quinze contraintes légales et financières qu’il faudra remplir pour tenir les élections le 23 décembre 2018. A l’époque, la Ceni ne cache pas que c’est à la Monusco que cette demande de soutien a été formulée pour transporter les bulletins de vote dans les régions les plus reculés du pays. Même si le président de la Ceni, Corneille Nangaa, promeut déjà la « machine à voter » au grand dam de l’opposition et de la société civile, le calendrier électoral, lui, ne parle que de bulletins. C’est donc sur cette base que la Monusco demande à New York un appui supplémentaire, alors que les Etats-Unis, principal bailleur de l’ONU, exige du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU qu’il réduise son budget et celui de sa Mission au Congo.

Quelques semaines plus tard, pour sa première conférence de presse à Kinshasa depuis 6 ans, Joseph Kabila s’en prend violemment à la mission onusienne, accusée de chercher à co-gérer le pays, « une mission qui a pour ambition de rester ». Le chef de l’Etat congolais admet qu’il avait déjà promis de financer seul les élections de 2011, accuse la Monusco de ne pas l’avoir assisté et que malgré toutes les irrégularités, la Monusco est resté l’un des principaux soutiens logistiques de la centrale électorale. A deux mois du renouvellement du mandat de la mission et moins d’un an des élections prévues pour le 23 décembre 2018, le président congolais dit vouloir « clarifier les relations », son gouvernement entend négocier un retrait substantiel, pour ne conserver que la Brigade d’intervention rapide (FIB), composée de troupes tanzaniennes, sud-africaines et malawites.

Des demandes de retrait répétées

Le gouvernement congolais demande depuis 2010 à l’ONU de préparer un plan de retrait pour sa mission de l’ONU au Congo. Mais « ces plans de retrait ont été rejetés », se plaint Joseph Kabila au cours de sa conférence de presse. A la veille du deuxième cycle électoral qu’est connu le pays, un processus entaché de très nombreuses irrégularités et jugé non-crédible selon l’Union Européenne, le régime à Kinshasa dénonce déjà l’ingérence de la Monuc, l’ancêtre de la Monusco. Le régime congolais ne retrouve les vertus de la Monusco que lors de la guerre contre les rebelles du M23. Après la débâcle commune de Goma en novembre 2012, Fardc et Casques bleus sont trop heureux d’en découdre ensemble avec l’ennemi commun.

Ce répit sera de courte durée. Quand l’ONU réclame et planifie des opérations conjointes contre les rebelles hutus rwandais des FDLR, Kinshasa nomme deux généraux « rouges » à la tête de ces délicates opérations. L’ONU donne comme ultimatum jusqu’au 13 février 2014 et le gouvernement congolais suspend toute coopération. Le Bureau conjoint des droits de l’homme de l’ONU qui accuse tous les mois les agents de l’Etat d’être responsables de la majorité des violations des droits de l’homme dans le pays, ne peut plus visiter les cachots et dénonce régulièrement des entraves. Les représentants du secrétaire général de l'ONU en RDC se plaignent les uns après les autres d’avoir des difficultés à rencontrer le chef de l’Etat congolais et ses proches collaborateurs

En 2015, la Monusco est sommée par les membres du Conseil de sécurité d’améliorer ses performances sous peine de coupes budgétaires et poussé à reprendre les opérations conjointes avec l’armée congolaise, à défaut d’actions unilatérales qui provoquent l’ire du gouvernement congolais. La mission signe le 28 janvier 2016 un « arrangement technique confidentiel » dont l’objectif affiché est de reprendre les opérations conjointes contre des groupes armés et à terme permettre un « désengagement progressif » de l’ONU au Congo. L’ONU accepte de signer un document qui stipule que « les mesures de confidentialités » ne doivent plus être « un frein aux opérations appuyées par la Monusco ». Ce texte prévoit également que « lorsqu’une allégation pèse contre un militaire FARDC », la mission onusienne n’est autorisée à en faire état que « sous pli confidentiel », même si le Bureau conjoint des Nations-Unies aux droits de l’homme dénonce publiquement tous les mois le nombre de violations commises par les forces de sécurité. Au titre de cet « arrangement technique », c’est l’armée congolaise qui décide de la forme que doit prendre le soutien de l’ONU et doit être mis « en exergue » dans toutes les communications relatives aux opérations militaires. Mais parce que Kinshasa a multiplié les nominations de « officiers rouges » à des postes-clefs, les opérations conjointes restent assez rares.

Les craintes d’un nouveau report des élections

Malgré les efforts continus d’améliorer les relations - y compris en minimisant les entraves fournies aux opérations de la mission - les relations restent tendues pendant le processus électoral. Le 24 mars 2018, à une semaine du renouvellement du mandat de la Monusco, le gouvernement congolais promet de financer seul les élections, autrement dit d’assurer seul le soutien logistique aux opérations électorales alors que la centrale électorale comptait bien sur celui de la mission onusienne. La Ceni, elle, refuse de collaborer avec le groupe international d’experts électoraux qui entend maintenir le mot « indépendance » dans ses termes de référence. C’était pourtant l’une des décisions prises et acceptées par le gouvernement congolais, sa commission électorale et les partenaires du Congo, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2017.

Le 31 mars, les membres du Conseil de sécurité sont parvenus à s’entendre sur le fait de donner à la Monusco, comme priorité, l’appui au processus électoral en lui octroyant en ces périodes de restrictions budgétaires une rallonge de 80 millions pour financer 24 aéronefs, essentiellement des hélicoptères censés permettre de transporter 40% des bulletins ou 50% des machines, selon des sources diplomatiques. L’ONU a également affecté près de 300 experts, informaticiens, logisticiens, juristes, à la Ceni. C’est notamment la Division électorale qui dépend de la coordinatrice humanitaire et représentante du PNUD, la Canadienne Kim Bolduc, et collabore étroitement avec la Ceni. L’Onu a décidé de recréer cette Division qui avait été dissoute, quatre ans plus tôt en 2014. Or les experts mis à disposition de la Ceni ne s’occupent que des questions techniques. Ce sont leurs collègues de la Division des affaires politiques qui sont censés produire de l’analyse politique, mais eux peinent à obtenir des informations de la Ceni.

Le 26 juillet, la représentante spéciale du secrétaire général en RDC informe le Conseil de sécurité que « le premier avion affrété par la Monusco devant soutenir le processus électoral s’est vu refuser mercredi l’accès au sol congolais ». « Dans l’intérêt d’une gestion responsable des ressources des Nations Unies, nous aurons très bientôt besoin de clarifications de la part du Conseil sur les suites à donner », demande Leila Zerrougui.

En août, l’Afrique du Sud propose à son tour à la RDC de soutenir le processus électoral en mettant en disposition des hélicoptères. Cette proposition « africaine » portée par la Sadc, la Communauté de développement des Etats d’Afrique australe auquel la RDC appartient, est refusé par le président Joseph Kabila. Le chef de l’Etat congolais qui vient de nommer un dauphin promet toujours de tenir les élections à la date prévue par les élections.

De plus en plus, acteurs politiques et diplomates craignent un nouveau report des élections. L’arrivée des quelque 100 000 machines à voter commandée par la Ceni a deux mois de retard par rapport aux premiers délais annoncés. Sans le soutien de la Monusco et des pays de la région, l’ONU et l’Union Africaine craignent un nouveau report. En 2011, il avait fallu l’un et l’autre pour éviter un report des scrutins.

Entraves aux déploiements de matériel onusien

A la veille de la dernière Assemblée générale des Nations Unies, le gouvernement congolais a saisi les équipements de nouveaux bataillons de la Monusco, notamment le bataillon indonésien dit de « déploiement rapide » et menacé de bloquer d’autres importations. Kinshasa justifie cette mesure par un défaut de notification et de concertation. Les services de sécurité congolais disent se défier de certains contingents de casques bleus qui perdent ou même qui remettraient leurs armes aux groupes armés. Il s’inquiète de l’importation d’armes et de munitions pour les casques bleus « en quantités surestimées » alors que la patronne de la Monusco avertissait, en juillet dernier, le Conseil de Sécurité qu’en raison des coupes budgétaires et des besoins grandissants, les casques bleus ne pourraient pas intervenir partout, notamment « dans les zones densément peuplées comme les localités reculées ».

C’est une pression supplémentaire pour la Monusco. Sa patronne Leila Zerrougui rappelle également au Conseil la multiplication des attaques contre le personnel onusien en RDC. Des experts de l’ONU ont été tués en mars 2017, les casques bleus sont régulièrement visés comme à Semuliki dans le territoire de Beni ou à Nyunzu dans la province du Tanganyika. Dans certains, ce sont des groupes armés qui sont accusés, dans d’autres, des forces de sécurité qui sont soupçonnées. L’arrivée de contingents sans armes, sans minutions et la menace de voir son circuit logistique entraver par le gouvernement ne fait que fragiliser plus la mission.

A la tribune des Nations Unies à New York, Joseph Kabila s’en prend à la Monusco comme il le fait à Kinshasa. Il parle des résultats opérationnels mitigés, « réitère son exigence du début du retrait effectif et substantiel de cette force multilatérale » et dénonce « l’ingérence caractérisée de certains Etats » dans le processus électoral ce qui l’aurait conduit à prendre cette décision. Le lendemain, le 26 septembre, le président Joseph Kabila accepte pour la première fois depuis le début de l’année de voir en tête-à-tête le secrétaire général de l’ONU. A l’issue du huis clos, la présidence congolaise communique immédiatement. Joseph Kabila a réitéré sa demande de voir un plan de retrait définitif de la Monusco, d’ici au prochain renouvellement de son mandat. Le chef de l’Etat congolais aurait toutefois laissé la porte ouverte à autoriser l’ONU à apporter un soutien technique au processus électoral. Le même message a été passé au gouvernement sud-africain.

Un assouplissement de ton

Selon son porte-parole, le secrétaire général de l’ONU a félicité la RDC pour les progrès réalisés dans l’organisation de la présidentielle, des législatives et des provinciales, prévues pour le 23 décembre 2018. Mais, le communiqué du bureau d’Antonio Guterres ne souligne plus l’importance d’avoir des élections crédibles, libres et transparentes. Alors que le gouvernement congolais multiplie les pressions sur la mission de l’ONU en RDC, le secrétaire général se serait contenté de réaffirmer « le plein soutien des Nations Unies à la République démocratique du Congo dans la réalisation » des élections dans les délais prévus.

C’est dans ce contexte que les membres du Conseil de sécurité arrivent à Kinshasa pour discuter de la possibilité non seulement pour la Monusco d’apporter un soutien logistique, de plaider pour plus de concertation entre la Ceni et l’opposition sur des questions-clefs comme celle de la machine à voter. Mais les membres du Conseil de sécurité sont divisés. Les Etats-Unis plaident toujours pour une réduction des moyens pour la Monusco, malgré les défis sécuritaires et de protection des civils qui pourraient se poser à l’approche des élections déjà très contestées. Mais Washington est vent debout contre la machine à voter.

La Grande-Bretagne n’y est plus hostile, mais plaide comme son allié traditionnel pour la venue de missions d’observation électorale. L’Union européenne et le Centre Carter ont toujours suivi les processus électoraux en RDC, mais pour l’instant, ni l’un, ni l’autre n’ont confirmé l’envoi d’une équipe d’experts pour suivre ce cycle électoral crucial qui pourrait stabiliser le pays ou au contraire le faire plonger dans un nouveau cycle de violences. Mais parmi les membres du Conseil de sécurité, il y a aussi la Russie et la Chine qui soutiennent la position du gouvernement congolais de refuser toute ingérence, soulignant que l’important a déjà été fait puisque Joseph Kabila ne se représente pas.