Entrepreneure sociale, consultante en genre et présidente de l'ONG Cadre de récupération pour l’épanouissement des jeunes (CREEIJ Asbl), Pascaline Zamuda décrypte les faits marquants de la semaine pour le Desk Femme d'Actualité.cd.
Bonjour madame Zamuda et merci de nous accorder cette interview. La semaine qui s’achève s’est ouverte avec la journée internationale des droits des femmes, célébrée autour du thème international, « Leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 ». Comment avez-vous célébré cette journée au sein de votre organisation ?
Pascaline Zamuda : Bonjour DeskFemme et merci de m'accorder l'opportunité de revenir sur les faits marquants de la semaine. Nous avons vu beaucoup d'innovations en termes de plaidoyer et d'activités tout au long de cette semaine. Dans notre organisation, nous travaillons pour la promotion des droits des femmes, leur autonomisation et la dénonciation des différentes violences dont elles sont victimes. Nous n'avons pas organisé une journée festive ou commémorative (le 08 Mars), parce que nous sommes en plein travail surtout au niveau de notre centre basé à Pakadjuma. Nous avons reçu un appui d'un de nos partenaires (IPAS) dans le cadre du projet "Makoki ya muasi" qui fait allusion à la résilience des femmes face à la pandémie Covid-19. Par contre, le bureau de Bukavu a organisé un festival pour ce mois de mars, destiné à honorer les talents des femmes. Je dirais que de manière tout à fait naturelle, nous ne programmons vraiment pas d'activités pour cette journée parce que nous sommes déjà dans la lutte pour les droits des femmes de façon permanente.
Le même 08 mars, le Chef de l’Etat a reçu une délégation des femmes dites « d’exception », œuvrant dans plusieurs secteurs en RDC. Au cours de cette audience, il a promis aux femmes d’améliorer la représentation féminine dans le gouvernement Lukonde à au moins 30 %. Selon vous, quels sont les postes qui devraient être confiées aux femmes ?
Pascaline Zamuda : c'est une nouvelle que je salue. Partir de moins de 20% à 30 % de représentation des femmes au sein du prochain gouvernement, sera une première. Je remercie ces femmes qui ont porté très haut le plaidoyer et le Chef de l'État d'avoir été sensible à cette demande. Par contre, je n'ai pas de préférence en ce qui concerne les postes. Je sais que par habitude, les postes sont structurés en plusieurs catégories. Notamment, la primature, Vice-primature, ministères d'État, ministères et vice-ministères. Je considère que cette équité et égalité des chances qui a animé le président de la République va aussi animer le Chef du gouvernement, qui déjà se montre adhérent à la parité. Il y a toute une démarche à suivre, et les choix vont être basés sur les compétences et des qualités.
De son coté, Sama Lukonde a également reçu le plaidoyer de Denise Nyakeru, pour l’augmentation du quota des femmes dans le prochain gouvernement. Que représente pour vous, cette action de la première dame, réalisée le 08 mars ?
Pascaline Zamuda : c'est vraiment une initiative louable de la part de la première dame. Je crois qu'elle l'a fait parce qu'elle est au parfum de la lutte pour les droits des femmes et la parité. Elle a fait de l'épanouissement, l'autonomisation de la femme, et le respect des droits humains et des femmes particulièrement son cheval de bataille. C'était une belle opportunité à saisir étant donné que le gouvernement est entrain d'être constitué. Le plaidoyer de la première dame est venu renforcer celui que les femmes ont apporté au premier ministre au cours des consultations.
En santé, le Danemark et la Norvège interrompent l’utilisation d'un lot d'un million de doses du vaccin AstraZeneca après des effets secondaires constatés. Par mesure de précaution, la campagne de vaccination contre la Covid-19 prévue le 15 mars a également été renvoyée à une date ultérieure, souligne un communiqué du ministère de la santé datant du 13 mars. Que pensez-vous de toute la communication autour de cette pandémie en RDC ?
Pascaline Zamuda : la communication autour de la Covid-19 en RDC, n'a pas été très efficace. Il y a eu beaucoup de spéculations autour du premier cas, le problème de coordination de la communication au niveau institutionnel (ministère de la santé, équipe de la riposte, présidence). Nous avons vu des messages de contradiction qui allaient dans tous les sens. Les réseaux sociaux ont aussi joué un rôle d'amplificateurs des rumeurs et d'idées reçues. Cela a entraîné la psychose qui demeure à ce jour. Il faudra rectifier tout cela et anticiper les réactions de la population.
En politique, Fayulu et Muzito proposent une CENI à 23 membres avec une présidence rotative de trois mois entre les confessions religieuses. Que pensez-vous de cette proposition ?
Pascaline Zamuda : il me semble que toutes les parties prenantes sont favorables aux réformes de la CENI, il faudra donc que ces réformes soient profondes. J'ai lu les différentes réformes proposées par Martin Fayulu et Adolphe Muzito, je pense que ce sont des recommandations que l'on peut adresser à toutes les institutions en vue de corriger les failles. Surtout dans le cas de la CENI, avec toutes les contestations qu'il y a eu autour des élections. Mais, je ne trouve pas ces recommandations assez percutantes pour permettre à la CENI de retrouver sa crédibilité et envoyer une image neutre que tout le monde espère pour cette institution. La présidence rotative de trois mois ne peut pas permettre, que ce soit dans toute autre administration, d'avoir une gestion efficace et surtout pas à la CENI qui gère un fichier électoral intense. Cette proposition n'est pas très réaliste. En ce qui concerne le nombre de personnes devant composer le bureau, je pense que l'on ne devrait pas s'atteler au nombre, mais plutôt à la qualité du processus de désignation des ces animateurs et de la qualité aussi de ces animateurs. En bref, c'est une question qui doit réunir toutes les parties prenantes pour éviter les frustrations, rétablir la crédibilité de cette institution et assurer la paix en RDC.
En sport, la liste de 40 joueurs pour les deux dernières rencontres des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), Cameroun 2021 a été rendue publique au cours de cette semaine. Des léopards dames handball démarrent aussi le premier stage de préparation le 15 mars à Chartres, en France, en prévision de la même compétition. Depuis plus d’une décennie, les joueurs congolais évoluant dans les autres disciplines que le Football se plaignent de ne pas bénéficier du meilleur traitement de la part des gouvernements. Que faut-il faire finalement pour que toutes les disciplines sportives soient traitées à même pied d’égalité en RDC ?
Pascaline Zamuda : la question du traitement des sportifs congolais n'est pas un cas isolé. Je pense que c'est le reflet de tous les problèmes auxquels les congolais font face dans la jouissance des services sociaux de base. Je sais qu'il n'y a pas que la question du traitement en termes financier, il y a aussi la prise en charge sanitaire. On se demande pourquoi le football est à ce point favorisé plutôt que d'autres disciplines sportives, même si l'on sait que ce ne sont pas toutes les équipes qui le sont, que parfois les fonds alloués aux équipes ne suffisent pas pour répondre à tous les besoins (...). C'est un problème de corruption, de gouvernance, qui occasionne par exemple, le détournement des ressources prévues pour chaque discipline. Il y a aussi un problème de planification, de prise en compte de besoins réels et de valorisation des autres disciplines. Pour y remédier, il faut plus d'imagination de la part des clubs des autres disciplines sportives en termes de collaboration avec les services étatiques notamment par des plaidoyers, des interpellations et mobilisation des fonds. Le football est le sport le plus aimé par les congolais et il génère un peu plus de recettes. C'est peut-être ce qui fait que l'État congolais trouve un intérêt particulier dans le football. Mais nous pensons qu'il y a lieu de donner la chance à toutes les disciplines.
Aussi, les femmes évoluant dans le domaine du sport se plaignent de ne pas bénéficier du même traitement que leurs collègues hommes dans toutes les disciplines sportives congolaises. Notamment lorsqu’il s’agit de gratifier les joueurs ou financer leurs participation aux différentes compétitions. Que faire pour mettre fin à cette forme de discrimination selon vous ?
Pascaline Zamuda : les femmes en sport rencontrent plus de difficultés, nous le reconnaissons. Il y a d'abord un désintérêt de la part du public, ensuite il n'y a pas suffisamment d'encadrement et d'accompagnement, mais aussi de la considération à l'égard de la femme sportive. Elles sont parfois victimes des violences basées sur le genre (...). Les remèdes ici, consistent à élever, considérer le sport féminin et voir de quelle manière faire une discrimination positive, en accordant un soutien particulier à ce sport. Cela va remettre dans le droit toutes les femmes qui nourrissent l'ambition de lancer une carrière professionnelle et qui en ont le talent. Je pense que les services de l'État qui sont chargés du secteur du sport devrait s'y pencher en s'inspirant de ce qui se fait à l'étranger.
En économie, Matata Ponyo, ancien premier ministre sous le régime Kabila a quitté le FCC et le PPRD. Sachant qu’en ce moment, il fait l’objet des enquêtes de l’Inspection générale des finances (IGF) concernant le projet du parc agro-Industriel Bukanga Lonzo. Quel message envoie-t-il au peuple congolais par cette décision à l’encontre de sa famille politique ?
Pascaline Zamuda : Il y a plusieurs messages qu'il a envoyé au public congolais. Nous savons que récemment, Matata Ponyo a fait une sortie médiatique où il a exprimé sa position sur le FCC et l'Union Sacrée. Il a même dit que pour lui, l'USN était un FCC bis. Je me rappelle bien des termes qu'il avait utilisé dans son discours. Je ne pense donc pas qu'il s'agit d'une décision spontanée. Elle a sûrement était prise après mûre réflexion. Depuis quelques temps, il s'observe des soulèvements au sein du parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD) de Joseph Kabila. Son silence a laissé place à beaucoup de troubles. Cela peut donc conduire certains à tirer leurs conclusions et partir. C'est la lecture que j'en fais mais j'essaie aussi de penser aux motivations de cette prise de position. Ce qui m'interpelle aussi, c'est la réaction du PPRD qui prouve effectivement qu'il y avait bien d'ennuis.
Au Kasaï, le procès d’un ancien chef milicien (Kongolo Monji) a enregistré plusieurs témoignages dont ceux des violences faites aux femmes. Quelle justice pour ces victimes, selon vous ?
Pascaline Zamuda : c'est vraiment déplorable que la femme soit la plus exposée à des violences notamment sexuelles, dans tous les conflits que nous vivons et ce dans toutes les régions du pays. Ceci renforce encore la vulnérabilité des femmes. Je pense que dans ce cas précis, la justice doit être rendue, peu importe le temps que cela peut prendre. Nous sommes actuellement en train de plaider pour l'indemnisation des victimes par l'État congolais parce qu'on se retrouve avec les cas où les bourreaux sont soient déserteurs, agents de services de l'État donc des personnes insaisissables. Cela fait que les victimes peuvent obtenir justice sur le papier mais qu'elles ne sont pas concrètement indemnisées. Il y a des femmes qui meurent sans avoir obtenu justice. Au delà des arrestations et incarcérations, je pense qu'il est temps pour que l'État congolais mette en place des fonds alloués à la réparation et l'indemnisation de toutes les victimes des violences sexuelles en RDC.
Et pour terminer, en sécurité, les USA considèrent officiellement que Daesh sévit dans une partie de la RDC, à travers les ADF, et le désignent comme organisation terroriste. Faisant suite à cela, le coordonnateur par intérim de la lutte contre le terrorisme et envoyé spécial par intérim de la coalition mondiale pour vaincre le groupe État islamique (EI), Daech a, au cours d’une conférence de presse téléphonique, tenue le 11 mars, précisé que les États-Unis d'Amérique vont s'investir contre le financement de l'État islamique (EI), Daech, en Afrique notamment en République démocratique du Congo. Faudrait-il espérer au retour de la paix dans la partie Est de la RDC à travers cette décision ?
Pascaline Zamuda : je ne veux pas parler en termes d'espoir. Que l'on parle de Daesh ou de la menace terroriste, pour moi,toutes ces guerres sont similaires et pareilles à celles que nous avons vécus depuis plus de 20 ans et de façon successive. Je ne peux pas me contenter de ce communiqué des États Unis. Ce n'est pas aujourd'hui qu'ils apprennent qu'il y a des conflits armés en RDC, qu'il y a des guerres qui ont endeuillé le pays, retardé son développement et occasionné les déplacements massifs des populations et appauvri la RDC. Je veux des actions pas seulement de la part des États Unis mais de la RDC aussi et que toute la communauté internationale puisse y jouer un rôle actif pas un rôle passif parce que nous savons que les conflits armés en RDC ont des liens avec les intérêts multinationaux et différents investisseurs qui sont notamment au niveau d'autres continents, américain, européen, asiatique. Et donc, nous voulons des vraies actions.
Propos recueillis par Prisca Lokale