S’appuyer sur le numérique pour enrayer le fléau des kidnappings à Kinshasa

Photo ACTUALITE.CD.

Audience foraine, procès en flagrance, roadblock, vidéos dissuasives, l’Inspection provinciale de la Police a multiplié des initiatives pour décourager les kidnappings, mais le phénomène prospère. Dans cette interview, le journaliste Botowamungu Kalome, spécialisé également dans l’encadrement des jeunes et les questions de gestion des entités décentralisées, propose une approche basée sur le numérique.

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Peut-on raisonnablement déclarer qu’on peut enrayer les kidnappings dans une mégalopole comme Kinshasa ?

Un gouvernement peut raisonnablement se fixer un tel objectif et s’en donner les moyens de s’en approcher le plus possible.

Cela demanderait un gros effectif des policiers mobilisés uniquement sur cet objectif avec des moyens logistiques énormes dans une ville qui s’étale sur 10.000 km² à l’accessibilité très difficile et avec 14 millions d’habitants…

Un gouvernement compétent est un groupe de personnes qui utilisent d’une manière optimale les moyens à sa disposition. Evidemment, le gouvernement congolais ne peut pas mettre un policier dans chaque taxi « ketch » ou des policiers dans chaque rue pour prévenir les enlèvements, mais grâce au numérique, il est possible de quadriller efficacement la capitale et de repérer rapidement les taxis « Ketch » qui seraient concernés par un enlèvement.

On mettrait d’autorité une balise dans chaque taxi, par exemple ?

Non, ça aurait un coût exorbitant et la logistique derrière pour la gérer serait aussi hors de prix et sans parler d’une expertise qui pourrait manquer. Le bornage qu’on appelle également la géolocalisation des smartphones pourrait être un élément clé.

Le smartphone est un produit qui coûte cher au regard des revenus de la population mais la très grande majorité de Kinois en sont propriétaires. Cet appareil, outre le fait de relier leurs détenteurs avec le monde entier, il sert aussi d’accès à l’information, à la connaissance et favorisent une meilleure circulation des flux financiers entre particuliers aux faibles revenus et donc exclus du circuit bancaire. On peut oser déduire qu’au moins 90 %, si pas plus, des clients de taxis possèdent un smartphone.

Concrètement, comment cela servirait pour la prévention ?

Plutôt que les balises que vous avez évoquées, je propose la création d’une application gratuite qui pourrait s’appuyer sur le fait que beaucoup d’opérateurs proposent des formules internet gratuit qui permettraient même à ceux qui n’ont pas d’unités sur leurs téléphones de la faire fonctionner. Concrètement, voilà comment cela se passerait :

- L’application comporterait une base de données avec tous les taxis répertoriés (plaque d’immatriculation, propriétaires et chauffeurs avec leurs noms, prénoms, adresses et numéros de téléphones.

- A chaque fois qu’un client veut prendre un taxi, il peut checker la plaque d’immatriculation sur l’application pour vérifier que le taxi y est bien répertorié. Si le taxi est bien enregistré dans l’application, celle-ci enverrait automatiquement un message à deux numéros indiquant l’heure et l’endroit de la montée à bord du taxi. Ces deux numéros seront ceux des deux proches enregistrés dans son profil sur l’application. Si au bout d’un temps anormalement long, le client n’est pas arrivé à destination, ses deux contacts pourraient alerter la police. Les forces de l’ordre pourraient alors appeler le propriétaire et le chauffeur du taxi concerné en puisant leurs identités et coordonnées dans la base des données de l’application.

- Si le taxi et son propriétaire ne sont pas répertoriés dans l’application, le client aura donc la responsabilité de ne pas y monter. Si le taxi a été volé, la déclaration rapide du vol permettrait alors à l’application d’informer le client qu’il s’agit d’un véhicule volé.

-  Si l’enlèvement semble confirmé, la police recourra alors au bornage du smartphone du client et du chauffeur. Ce qui permettrait, une descente de police dans un périmètre bien circonscrit d’autant plus qu’il est très difficile de dissimuler un véhicule à Kinshasa dans une rue, dans un quartier sans que les gens ne l’aient pas vu passer.

Mais en cas d’enlèvement, les kidnappeurs prendront la précaution d’éteindre le portable du client qui ne pourra plus être géolocalisé…

Botowamungu Kalome
Botowamungu Kalome

En effet, sauf que la géolocalisation aura, au préalable, borné en même temps les autres smartphones à bord du taxi. Pour peu qu’un des bandits n’ait pas éteint son téléphone, le bornage permettra de les situer. Effectivement, il restera toujours un petit pourcentage des cas où tous les portables seront éteints, il restera néanmoins une partie du trajet qui aura été bornée et qui donnera un début de piste d’enquête, des indices qui pourraient s’avérer précieux, car grâce à l’état délabré de la plupart des routes, les trajets des taxis sont quasiment les mêmes que ceux des bus et, dans ce cas, l’état délabré des routes serait un mal pour un bien…

Vous êtes vraiment convaincu de la faisabilité technique et technologique d’un tel projet ?

Je le suis à 100 % mais le paramètre « volonté politique » reste déterminant, il est même un préalable absolu. Sur le plan technologique, l’expertise locale et nationale est même abondante mais elle a très peu d’occasions de s’exprimer. Sur le plan technique, la clé serait une collaboration enthousiaste des opérateurs téléphoniques dont une prompte réactivité serait un atout de taille.

Si le projet se concrétise, quels droits revendiqueriez-vous ?

Aucun, sinon je me serais associé avec un informaticien et nous aurions déposé l’idée. Sécuriser la vie des clients de taxis est ma seule préoccupation, après si le projet se réalise et si on souligne que j’en suis le concepteur, ça serait bien pour mon ego et je m’en contenterais.