Confidences du chauffeur du ministre :
Voici ce que j’ai retenu, moi pauvre et impuissant chauffeur d’un ministre d’Etat, du massacre des innocents de Kasindi , en Ituri. A travers des reportages –radio que nous avons partagés avec Son Excellence, dans sa voiture. L’un des reportages reprenait une supplique pathétique d’un diacre de Beni, en mission à Kasindi, et rescapé miraculé. Voici la « prière » du diacre :
« … Notre Père qui est aux Cieux, je te prie, je te crie à partir de l’Enfer de Kasindi . Ici, après le massacre, point de trace d’ange ni de saint. Ici, des cadavres éparpillés, déchiquetés. Ici, le parquet de l’église imbibé de sang, de larmes.
Ici, j’avais été invité pour être parrain du bébé d’un parent, bébé destiné aux fonts baptismaux, destiné à mille bénédictions divines. Beni-Kasindi : un vrai parcours de combattant sur moto-stop !
Seigneur-Dieu, que ton règne vienne afin de dissiper les malentendus du Bien et du Mal ; que ton règne détermine le classement de tes élus et des autres impénitents : ceux de ton côté qui sont venus en cette église, en ce dimanche 15 janvier, solliciter ta bienveillance divine. Et les autres, ceux du mauvais côté, qui vampirisent l’innocence et la paix, et se gavent, bavent de sang des enfants…
Que ton règne vienne, mais quelle est ta volonté pour que ce règne ne vienne pas tard sur la terre des opprimés ?
Seigneur, donne-nous notre Paix de ce jour. Ne pardonne pas les offenses des bourreaux, qui jonglent avec les bombes de la mort, trafiquées en Enfer. Ne pardonne pas, comme nous ne pardonnons pas, les fous qui pourtant se réclament de toi. Allah Akbar !
Seigneur, délivre-nous de la Guerre, car la Paix se gagne. Car la tentation de la vendetta est grande dans nos têtes de victimes frappées de plein fouet ou de victimes collatérales.
Victime collatérale je suis, moi diacre itinérant; mais ma filleule que je devais accompagner sur les fonts baptismaux, elle à peine âgée d’une petite année, elle n’a pas bénéficié de ta providence divine. Ecrabouillée par la bombe des démons, des vampires de chair humaine… » FIN DE LA PREMIERE PARTIE DU REPORTAGE.
… Suite du reportage, cette fois la voix étranglée de sanglots d’un vieux paroissien. Monologue devant les cadavres étalés pêle-mêle. Le vieillard lève les yeux vers les Cieux, et implore ainsi : « Le Diable serait-il plus fort que le Bon Dieu ? Le Bien serait-il un luxe trop cher ? » FIN DE REPORTAGE.
… Nous avons suivi ces reportages avec mon patron de ministre. Sans commentaires. J’ai néanmoins surpris Son Excellence essuyer une larme lourde…
(YOKA Lye)
17-01-2023