Confidences du chauffeur du Ministre
Cabinet de crise avant- hier autour de Son Excellence notre ministre d’Etat en charge des Questions Tactiques et statistiques. Objet : mise en application des dernières mesures sanitaires du gouvernement. Le ministre d’Etat a rappelé ces mesures, et a sollicité aussitôt les avis de chacun d’entre les membres du cabinet.
Le premier, notre directeur de cabinet (jusqu’à nouvel ordre « piéton »), a regretté que dans les transports en commun qu’il emprunte, le masque soit devenu un « cache-menton », et que la distanciation ne soit plus qu’un vœu pieux. Ensuite s’est exprimée la secrétaire particulière (à la fois ambianceuse impénitente et bigote dévouée), en disant ne pas comprendre la sévérité envers les « boîtes de nuit » (fermées pour quinze jours), mais la flexibilité envers les « Eglises-de réveil ». Pour elle, boîtes-de-nuit et Eglises-de-réveil, c’est même combat : les voies ( les …voix) d’exaltation pour le 7e Ciel…
Réagissant à ces réserves, notre ministre d’Etat a ramené le débat sur l’essentiel des mesures gouvernementales. D’après lui, « l’essentiel, c’est la ‘couverture vaccinale pédagogique’ ». Le ministre d’Etat a dit vouloir aller plus loin : la vaccination devrait être obligatoire, du moins pour les membres de son cabinet. Et à partir de cette injonction, le ministre d’Etat s’est longuement étendu sur ce qu’il a appelé « les précédents culturels », « les jurisprudences », autant de formules savantes inspirées, toujours selon Son Excellence, des « fondamentaux et des sagesses du terroir bantou ». Pour lui, il s’agirait des « rites de passage sous forme de tatouages, d’incisions, d’entailles dessinées sur le corps humain comme totems et tabous contre les maléfices et les microbes de la sorcellerie ». D’ailleurs, a renchéri le ministre de plus en plus en verve, à l’époque des initiations, il revenait à l’ « impétrant oint pour l’initiation » (formule-chic et choc du ministre) de faire le choix de la partie de son corps à tatouer, comme expression d’un vœu de bénédiction. Tel impétrant sollicitait du maître-guérisseur l’incision au niveau des mains pour l’habileté aux travaux manuels d’artisanat, de pêche ou de chasse. Tel autre candidat à l’initiation négociait avec le maître-guérisseur un tatouage sur la jambe, comme promesse et don de danseur de charme. Tel autre encore subissait à même le sexe une entaille en vue du renforcement des capacités de virilité (pour le jeune homme) et de fécondité (pour la jeune fille). Conclusion du ministre : « le vaccin est un totem et un tabou, autrement dit une lance et un bouclier contre la pandémie ».
Ainsi dit, ainsi fait. Le lendemain de cette réunion de crise, tous les membres du cabinet se sont présentés à divers centres de vaccination. Moi j’avais choisi le dispensaire à proximité de mon quartier. Surprise : ici, peu de candidats à la vaccination. Sauf peut-être ce vieillard du 4e âge accompagné de ses petits-enfants parce que visiblement grabataire et inquiet. Sauf peut-être cet ambianceur mi- ivre mi- somnolent, tenant entre ses mains son chien de compagnie, tous deux également candidats à la vaccination. Par précaution, murmurait-il, il tenait à vérifier avant tout, avant lui-même, les effets immédiats de la vaccination d’abord chez son chien…
… Finalement toute cette opération initiatique de vaccination s’est bien déroulée. A mon retour au bercail, ma femme, inquiète, m’attendait au seuil du portail de la parcelle. Elle m’a accueilli avec un seul point d’interrogation : « Alors ? ».
Souriant et confiant, je lui ai promis, entre deux clins d’œil et en guise de réponse, une soirée-test vraiment intime, vraiment sublime, vraiment magnanime, vraiment tout en rimes collées-serrées ; et cela, pendant notre couvre-feu d’amoureux vaccinés…
(YOKA Lye)
17-06-2021