1. Tabu Ley, YOKA … Ley
Notre attachement réciproque, entre Tabu Ley et moi, a commencé par un malentendu, un malentendu plutôt amusant. Lui s’appelle donc TABU LEY (L.e.y). Moi je m’appelle YOKA LYE (L.y.e). Or, dès le départ, sans doute par inadvertance, mais par affinité aussi, Tabu Ley m’a pour ainsi dire ‘’baptisé’’ YOKA … LEY ! Et il en est resté ainsi jusqu’à toujours…
Tabu Ley- Yoka Ley : cela m’amusait, et finalement c’était à mon avantage d’avoir comme ‘’ndoyi’’ un grand-frère estimé. Pour rire, je lui disais d’ailleurs que dans une ville de plusieurs millions d’habitants comme Kinshasa, les TABU et les YOKA, il y en avait des tas. Mais des LEY, il n’y en avait que deux, lui et moi !
Tabu Ley et Yoka …Ley ont donc gardé des rapports les plus fraternels.
2. L’homme-orchetre
Que faut-il ajouter à tous les éloges qui fleurissent la tête couronnée de Tabu Ley ? On a tout dit, je crois, sur son parcours exceptionnel d’ « homme-orchestre », au propre comme au figuré, c’est-à-dire bête de scène, séducteur des foules, génie innovateur (avec la révolution du show, avec le succès inédit à l’Olympia, avec le recours rythmique au drum ou à la guitare mi-solo, ou encore avec des chœurs féminins chorégraphiés et scénographiés, avec également la « sape » up-to-date )…
Pour ma part d’homme des Lettres, Tabu Ley, parce que ‘’homme-orchestre’’ justement, a été un personnage paradoxal : personnage proche de la fiction, poète et poésie incarnée ! Si l’on ne s’en tient qu’à sa littérature musicale, on se rend compte combien il a été inusable, inoxydable, ‘’inzulukable’’, manipulant avec succès ses thématiques , dans leur rendu et dans leur traitement stylistique, en les rafraîchissant sans cesse, en les embellissant sans cesse et en les rajeunissant à chaque nouvelle surprise.
3. Des bouquets thématiques parfumés
Au demeurant, Tabu ley a joué sur quatre registres, quatre récurrences comme une offre en quatre bouquets thématiques :
1e bouquet thématique : celui de l’éloge de l’amour idéalisé, platonique, tonique : « kelya », « adios Tété », « Maria », Christina », « Maze », « Sorozo », « Lina », « Elie Moke », etc. autant de parfums de femmes, mais toujours exprimés et rendus avec la même veine romantique et poétique. Comme disait un vieux chroniqueur kinois : « contrairement à la légende, Tabu Ley n’a pas aimé les femmes ; il a aimé la femme congolaise, idéale ».
2e bouquet thématique : il s’agit des chansons « intimistes », personnalisées, à allure confidentielle, à l’instar des envolées lyriques et contemplatives ( « Fétiche ») ; à l’exemple des élans d’affection envers sa mère ou l’une ou l’autre tante (« Mama Ida », « Anna Mokoy ») ; mais aussi , par ailleurs, à l’exemple de toute cette élégie qui pleure et tente de ressusciter littéralement les morts, ses morts (comme la rocherette Marietou ou comme Kashama Nkoy). On finit par vibrer de façon contagieuse avec le chant, avec le chanteur et avec l’homme tout court, dans ses fibres les plus sensibles.
3e bouquet thématique : les chansons à caractère « prophétique ». Les paradigmes de « Mokolo na kokufa » ou de « Humanité » sont suffisamment éclairants sur l’universalité et la complexité du destin africain et finalement humain.
4e bouquet thématique : les chansons à caractère civique, patriotique et politique : qui ne chante pas aujourd’hui, comme une interpellation, comme si c’était hier dans les années ’60, « Congo avenir » ou bien « Batu ya Congo », ou encore « Tempelo » ?
Ces quatre bouquets sont des recours itératifs, des recours allers-et- retouts à chaque fois ré-enrichis, re-parfumés, ré-embaumés, re-poétisés. Et sans aucune once de monotonie. C’est en cela que Tabu ley est, je le redis, « in-zu-lu-ca-ble ».
Comparaison n’est pas raison, dit-on. Franco par exemple a évolué thématiquement de façon linéaire, de la romance des années 1956- 58 à la narration dénonciatrice, anecdotique, naturaliste, voire vériste. Avec toute la charge à la fois humoristique, satirique et populiste. Franco est un narrateur populaire, Tabu Ley est un poète, un passeur de rêves. Chacun des deux idoles reste pour nous tous, des valeurs sûres, des références différentielles, mais des « monstres sacrés ».
Avant de terminer je me dis que nous devons, en patriotes congolais, rester loyaux avec l’histoire : parler de Tabu Ley, c’est en même temps évoquer le maître, Joseph Kabasele, alias Grand Kallé ; ou encore l’alter ego qu’était Nico Kassanda, « docteur ».
Le hasard veut qu’au moment où, en ce décembre 2020, on célèbre le septième anniversaire de la mort de Tabu Ley, on devrait remémorer les 90 ans de la naissance de Kallé Jeef. Entretemps, en septembre, l’histoire, ingrate, semble avoir sauté à pieds joints, pour ainsi dire, sur la tombe et la mémoire oubliée de Nico….
YOKA Lye
Institut National des Arts
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