Hommage à Muissa Campus: Patriarche, patriote et patrimoine (Pr. Yoka Ye)

Muisa Camus, Ph. ACTUALITE.CD

Ceci n’est qu’un modeste témoignage d' un Kinois admirateur d’un pionnier. Ce n’est ni l’évocation exhaustive d’un historien ni d' un hagiographe. Qui dans le Congo, et surtout dans Kinshasa des années 60, n’a pas chanté et dansé la chanson "Amicale Lipopo", du talentueux Rochereau Tabu Ley, et évocation apologétique d’une ville de Kinshasa idéale, creuset des hommes et des femmes au-dessus des mêlées ethnocentriques, hommes et femmes ouverts à la civilisation de l’Universel,   hommes et femmes mûs par les sentiments idéalistes du beau, du vrai, du bien, de l’excellence! Ce que j’appelle la "kinoicité " (réfractaire à la "kinoiserie " péjorative...).

Muissa Camus a été le président de cette Association célèbre. Et Muissa Camus n’est-il pas finalement pionnier comme par vocation : première génération de la fameuse école Sainte Anne fondée par le RP Raphaël de la Kethulle, première génération à avoir bénéficié de la formation des "humanités modernes ", première génération des journalistes. Ajoutons à cela, qu’ami de l’Abbé Joseph Malula (futur Archevêque et Cardinal de Kinshasa), Muissa Camus a participé à la création du journal "Conscience Africaine ", l’une des parutions pionnières typiquement congolaises. C’est d’ailleurs au sein de ce journal qu’un groupe d’intellectuels catholiques prennent position sur l’indépendance du Congo, en réponse au Plan de 30 ans du Professeur belge Van Bilsen en 1956. Le "Manifeste de Conscience Africaine " signé par Joseph Malula, Joseph Ileo, Joseph Ngalula ( et aménagé par entre autres adeptes comme Muissa), deviendra un document de référence historique pour  la quête de l’indépendance, en termes de véritable souveraineté nationale quoiqu'en partenariat équilibré avec la Belgique, en termes de légitimité. Mais pas dans 30 ans; l'on se souvient de cette phrase de Malula:" Nous voulons l’indépendance. Un quart d’heure avant plutôt  qu’un quart après. Après,  c’est déjà trop tard." 

Journaliste, Muissa Camus a été constant et égal à lui-même et à  sa réputation : homme intransigeant mais homme de compromis logique, tribun éloquent et quelque peu impertinent, plume compétente quoique acérée quand  cela était  porteur ...

Ce caractère d’homme de principe a été l’ADN, pour ainsi dire, de Muissa Camus tout au long de sa longue vie et de sa longue carrière. On se souviendra de ses positions en flèche contre les dérives totalitaires du Régime Mobutu. Et toujours d, une âme égale. Par ailleurs ce Kinois passionné de vie et du destin de la nation, était un sage, au service de la solidarité constructive, au service notamment des jeunes. C’est le sens à donner à la création d' "Amicale Lipopo ", association d’entraide et d’animation socioculturelle qu' il a dirigée  de main de maître. On raconte qu(il a utilement manoeuvré souvent pour des réconciliations entre soit des protagonistes et des antagonistes politiques, soit des acteurs culturels. Je me souviens que,  lors de la création en 1972 de l,Union des Écrivains Zairois ( Ueza), avec les luttes de leadership entre les nouveaux dirigeants, ce Président d,"Amicale Lipopo " nous avait reçus dans sa résidence de l’avenue Ermens (aujourd'hui Avenue Sendwe), nous "jeunes turcs" turbulents, pour nous donner des conseils et des consignes de modération mais de perspicacité.

Muissa Camus laisse le souvenir d, un intellectuel opiniâtre, quoique un peu amer vers la fin de sa vie, face à l’impéritie des gouvernants. N’est ce pas là une sorte de retour à la légende grecque et au "mythe de Sisyphe" tel qu’immortalisé de nouveau par l'écrivain et Prix Nobel 1957, Albert... Camus. N'est-ce pas, pour paraphraser Kennedy, que l’opiniâtreté de Camus, c'est  " le courage c'est l’élégance devant l’infortune". Y aurait-il un lien entre l, auteur français Camus, adepte de la philosophie de l’absurde et cet intellectuel congolais au surnom éponyme, angoissé mais toujours jeune d, esprit.

Voilà une personnalité qui devrait figurer prospectivement et consensuelle ment dans une sorte de Panthéon congolais réservé aux vrais héros de la vraie histoire du vrai Congo. Un seul musée pour lui, Muissa, pour  son hommage posthume serait trop petit et trop peu par rapport à l, homme entièrement intègre et performant qu’il a été.  Comme disait Koffi Annan, oublier l,Histoire c’est enterrer deux fois nos héros et nos martyrs. 

Hommage donc au patriarche, au patriote, et au ...patrimoine!.. 

Pr YOKA Lye.

Institut  National des Arts.