Confidences du chauffeur du Ministre sur le coronavirus: La ronde du Journal Télévisé (Prof Yoka Lye)

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Yoka Lye Mudaba est docteur en Lettres, diplôme qu’il a obtenu à l’université de Paris III (Sorbonne). De 1979 à 1989, il a été expert auprès du ministère de l’Education et du ministère de la Culture. Il est directeur général de l’Institut national des arts. Il a publié des recueils de nouvelles (Le Fossoyeur, Ed. Hatier ? coll. Monde Noir, 1977 ; Destins broyés, Ed. Saint Paul 1991), des pamphlets politiques (Lettres d’un Kinois à l’oncle du village, 1995 ; Kinshasa, signes de vie, 2000 Ed. L’Harmattan) et des pièces de théâtre (Tshira, Ed. Lakolé 1984). 

Billet...           

Paillotte de la résidence de Son Excellence Monsieur le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques ( à prononcer avec respect…). Sont présents, les familiers : le Directeur de Cabinet (‘’Dircab’’), le garde du corps rapproché, la secrétaire particulière du Ministre,  moi-même le chauffeur. Et, bien sûr, notre patron le Ministre ( avec  M  Majuscule !). Sous la paillotte, ambiance feutrée et appliquée : nous sommes tous devant l’écran de la télévision en train d’attendre un reportage programmé et déjà enregistré sur notre Ministre et notre Ministère. Une émission-choc comme riposte-choc et geste-choc contre le virus Covid-19 ; et à diffuser en différé ce soir. Le ‘’noyau dur’’, le ‘’ cerveau et le labo’’ du Ministère avait pioché fort, toute la journée d’hier,  avec des journalistes triés sur le volet, pour  élaborer une émission originale, et l’enregistrer selon les règles de l’art. « Originale, d’après le Dircab, par rapport aux autres discours télévisés ‘’déjà vus’’ et ‘’déjà entendus’’ : des perroquetteries qui ont instrumentalisé le fameux virus pour des parades égotistes ». Paroles de monsieur le Directeur de Cabinet dans ses heures et dans ses œuvres inspirées… Et la secrétaire particulière qui a, comme on sait, la langue venimeuse, a renchéri en des termes propres à elle : ‘’Covid-19,  oui  mais  en réalité  ‘’Com.vide-20’’…

Chaque soir, toujours d’après le constat du Dircab,  c’est à peu  près  le même format et le même schéma techniques : ce serait  en effet  la ronde des ministères par ordre protocolaire, habituellement en commençant par le Top-10 des ‘’ grands ministères ;  après ce palmarès de tête, ce serait le tour, d’après le Dircab, de la Série B, celle des ministères d’arrière-cour.

Le format et le schéma seraient donc les mêmes, et en deux temps. Comme d’habitude, premier temps : vue panoramique des  bureaux ministériels avec tous les atours officiels convenus et, généralement avec un prince des lieux (ou une princesse des lieux) très en verve, et par ailleurs sapé(e) à la dernière mode. Deuxième temps, d’après toujours le topo du Dircab : descente sur terrain de leurs Excellences, mais en ‘’tenue thématique’’, comme disent les sapeurs kinois :  jean’s et polo juste-au-corps, képi et pantoufles aux coloris assortis. Et dernière coquetterie à la mode, un masque et des gants aux couleurs du drapeau national. Habituellement,  renchérit le Dircab, les Ministres sont capturés ainsi en zoom des caméras, le pas olympique, le geste de prestance et la parole de jactance, selon les termes des téléspectateurs kinois. Les Ministres sont ainsi escortés d’une cohorte de journalistes fébriles, d’une meute de gardes du corps à la mine de fauves, et d’une suite de secrétaires virevoltantes comme des papillons… Il arrive, ajoute notre secrétaire particulière à nous, que des groupes folkloriques du terroir se mêlent à l’ambiance, au grand plaisir des ‘’fils du pays’’ ou des ‘’filles du pays’’…  Ce rituel consacre un espace aux interviews, avec  des  réponses   des  tons standards: une rhétorique ministérielle policée, politique, engagée et engageante contre le virus ! Comme d’habitude, tout ça finit  par des dons : dons  en cartons de masques  et serviettes hygiéniques ; dons de gants préservatifs, mais aussi de surgelés constitués de testicules de chauves-souris  et  de croupions de porc-épic…

… Revenons donc sous la paillotte de notre Ministre à nous ;  et là, nous attendons tous  le tour de passage à la télévision de notre Ministre et de notre Ministère. Et de plus en plus l’inquiétude gagne les invités de la paillotte, parce qu’apparemment, pas de reportage annoncé, ni en vue. Notre Dircab, maître d’œuvre, ne tient plus en place ; téléphone portable collé à l’oreille, il interpelle (ou fait  semblant d’interpeller)  on ne sait qui au bout du fil. La secrétaire particulière, tout aussi entreprenante avec son   téléphone appelle (ou fait semblant d’appeler) ses nombreuses connaissances par-ci par-là… Le Ministre lui, semble imperturbable, même si ses jambes se croisent et se décroissent avec un rien de nervosité…

… Enfin, le Grand Journal Télévisé s’achève ; il a duré toute une heure (une vraie promenade de …santé !). Mais toujours pas de reportage sur notre Ministre et notre Ministère…

C’est la pub, à présent : ‘’Corona-sorcier-ndoki. Gestes-boucliers-préventifs. Masques-totems-défensifs. Distances-taboues’’. Toute cette pub est évidemment rythmée par des vibrations frénétiques de la Rumba-choc.

Téléspectateurs déçus, nous et notre Ministre, nous et notre Dircab,  nous avons enfin compris : ah !   il a été zappé le reportage de notre Ministère.

Ah ! Notre reportage, prévu en magazine,  a été sacrifié au profit de la retransmission en direct  du procès des procès du siècle, procès en cours et procès anti-pandémie-corruption, procès anti-épidémie-‘’cop’’…

 

(YOKA lye)

12.05.2020

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