A Kin comme à Brazza, la rumba dans la peau

Culture
Ph. ACTUALITE.CD

Le tempo démarre lentement puis accélère, le pas est chaloupé et le vêtement élégant, la rumba congolaise fait danser "sapeurs" et "ambianceurs" à Brazzaville et Kinshasa, unis par l'amour de cette musique érigée en raison d'être.

La semaine prochaine, l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture) dira si la rumba congolaise, comme la cubaine il y a cinq ans, est admise au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

"C'est un moment que nous attendons avec impatience. La rumba inscrite au patrimoine immatériel, c'est du bonheur absolu, l'immortalité", s'enthousiasme Jean-Claude Faignond, gérant du premier bar-dancing de Brazzaville, l'Espace Faignond, dans le quartier de Poto-Poto, ou fut créé en 1959 l'orchestre "Les Bantous de la capitale". 

Kinshasa de son côté n'a aucun doute, à tel point que le conseil des ministres a salué dès le 26 novembre cette inscription, "aboutissement d'une candidature portée par les deux Congo", la République démocratique du Congo (Congo-Kinshasa) et la République du Congo (Congo-Brazzaville).

"La rumba est une passion partagée par tous les Congolais... Elle est tentaculaire, dans tous les domaines de la vie nationale", assure le Pr André Yoka Lye, directeur à Kinshasa de l'Institut national des arts (INA) et président de la "commission mixte pour la promotion de la rumba congolaise en vue de son inscription au patrimoine de l'humanité".

Pour lui, cette rumba est "un élément fédérateur de cohésion sociale, mais aussi du passé et du présent".

 

- Danse du nombril -

 

Sur les deux rives du fleuve Congo, on situe les origines de la rumba dans l'ancien royaume Kongo, où l'on pratiquait une danse appelée Nkumba, qui signifie "nombril", parce qu'elle faisait danser homme et femme "collé-serré", nombril contre nombril. 

Avec la traite négrière, les Africains arrachés à leur continent ont emmené avec eux un bagage immatériel, leur culture et leur musique. En Amérique, ils ont fabriqué les instruments qu'ils utilisaient chez eux.

"Surtout des instruments à percussion, des membranophones, des idiophones, et aussi notre piano africain, le xylophone", explique au musée national de RDC Gabriel Kele, chef du département de musicologie.

"Les instruments ont évolué", dit-il, le style aussi, vers le jazz en Amérique du Nord, la rumba en Amérique du Sud. Et cette musique est revenue en Afrique, avec les commerçants et les 78 tours. 

Dans le bureau du musicologue, un instrument patiné trône sur une étagère. "C'est la première guitare de Wendo", déclare fièrement M. Kele. Wendo Kolosoy  (1925-2008), un des pères de la rumba kinoise, auteur en 1948 du titre "Marie-Louise".

La rumba dans sa version moderne a une centaine d'années. C'est une musique des villes et des bars, de rencontre des cultures et de nostalgie, de "résistance et de résilience", de "partage du plaisir aussi", avec son mode de vie et ses codes vestimentaires ("la sape"), décrit le Pr Yoka.

Les textes, dit-il, principalement en lingala, la langue la plus parlée dans les deux capitales, chantent le plus souvent l'amour, mais ils sont à entendre au 2e degré, car les messages sont aussi critiques et politiques.

 

- Héritiers -

 

Le monument en matière d'interpellation politique fut en 1960 "Indépendance cha-cha", titre de Joseph Kabasele (1930-1983), dit "Grand Kallé", et de son orchestre African Jazz, devenu une sorte d'hymne des indépendances africaines.

Certes des périodes ont été moins glorieuses, certains artistes ont donné dans la "dithyrambe" du pouvoir en place, qui a utilisé la rumba comme moyen de propagande. "Il y a parfois eu des dévoiements", reconnaît le Pr Yoka.

Le directeur de l'INA regrette aussi un manque de "professionnalisme" dans la promotion, le management, la protection de la propriété intellectuelle, qui nuit à la "performance" de la musique congolaise.

Mais, assure-t-il, la rumba est bien vivante et les pionniers ont de dignes héritiers. 

Papa Wemba est mort en 2016, mais "Koffi Olomide c'est la rumba, Fally Ipupa c'est la rumba.... Même ceux qui sont plus remuants, comme Werrason et JB Mpiana, sont dans la nostalgie du retour aux sources".

Le talent de Roga-Roga est aussi apprécié sur les deux rives. Pour le professeur, "l'histoire de la rumba est un éternel retour".

Sur la piste de son restaurant de Kinshasa, Maman Beki, 65 ans, longue robe jaune à broderies dorées, danse. Les pas sont assurés, le mouvement naturel et sans effort.

La célèbre vie nocturne de Kinshasa est restreinte ces temps-ci par le couvre-feu anti-Covid, qui démarre à 23H00, mais tous les vendredis et samedis, un orchestre anime la soirée.

Le mari de Maman Beki, grand amateur de musique, n'est plus là, mais la tradition demeure. "J'adore danser", dit-elle, ajoutant tenir cette passion de son père, "qui remportait tous les concours de danse". "C'est dans le sang..."

AFP avec ACTUALITE.CD