CHRONIQUE LITTÉRAIRE.  " EXPULSÉS CONGOLAIS:  Mi Angola!"

Photo d'illustration/ACTUALITE.CD

... Des tonnerres partout. Des colonnes de fourmis humaines sur des routes à sens unique, sens dessus - dessous, routes semées d'épines, d'épouvantails et de pièges. Un film d'horreur. Plus que l'horreur, l'enfer! Le calvaire de cendre et de sang. Plus que le calvaire, l'apocalypse, mais au présent ! Mi Angola: mon Apocalypse! Mes rêves de quinze   ans  d'immigré brisés,  incendiés. Rêves déchiquetés, abandonnés. Rêves de femme et d'enfants, oui, incendiés. Adieu. A Dieu! A Dieu??

Quinze ans vécus à Luanda, en banlieue, en ghetto où se sont agglutinés ceux qu'on appelle ici " Zairens". C'est-à- dire des Congolais "immigrés", en errance, sens unique, sens dessus-dessous. Ici les Portugais et autres Européens ou autres "assimilados" sont des "expatriés " à part entière. Les Congolais eux, sont des "immigrés ", une race entièrement  à part. Après l'annonce officielle des expulsions des "sans-papiers", j'ai réuni mon petit "clan": ma femme et mes deux enfants. Je leur ai dit comme un pressentiment, et comme un aveu de testament: moi, "sans-papiers"?  Non, je ne l'étais pas , puisque j’ai pu conquérir ici le certificat de résidence, et un permis "provisoire" de travail. Je l’ai dit aussi : ce "provisoire" m'a tué. J'ai expliqué à ma femme angolaise ce que la police angolaise ma expliqué hier: le permis "provisoire " avait expiré,  malgré ma promotion au grade supérieur de "contremaître principal " dans l'entreprise du bâtiment qui m'a embauché depuis dix ans. Et malgré l'estime de mon  patron. Et surtout malgré la promesse d'un engagement définitif.  Justement cette promotion professionnelle m'a tué.

Des collègues probablement angolais ont accumulé contre moi des "B.I" (Bulletins d'Informations" dénonciateurs et calomnieux auprès de la police des Étrangers.  Moi, "étranger "? Avec deux enfants nés à Luanda, en banlieue "zairens"? Avec une femme angolaise "sang-pour-sang"? Avec un certificat de séjour ? Avec des impôts payés en bonne et due forme? Mais la police m'a convoqué et m'a donné 48 heures pour quitter l,Angola. Je l'ai dit: j' ai réuni en catastrophe mon clan, et j'ai donc transmis verbalement mon testament. Mon testament: quelques babioles confiées à ma femme. Le compte en banque aussi, sueurs au pluriel d'épargnes goutte-à-goutte. Ma femme a pleuré, pleuré. Entre deux sanglots elle m'a dit ne rien comprendre ; ne rien comprendre  comment la plupart des dirigeants angolais d'ici, réfugiés et généreusement accueillis là-bas au Congo tout au long de la répression coloniale, comment ils avaient la mémoire si ingrate ! Ma femme a pleuré plus fort encore quand j’ai exprimé le vœu, plutôt la décision d'emmener avec moi, là là-bas au Congo, l'aîné des enfants, âgé de dix ans. "Non. Non. Non", a sangloté trois grosses fois ma femme. Peine perdue... ... Nous voici donc en "kulunas", comme on dit ici, en "colonnes " de fourmis migrantes, sur les sentiers de sang, et sans boussole. Toujours la chaleur infernale. Toujours des zombis de soldats à notre trousse. Toujours ces maquis inextricables et ces cours d'eau impétueux, d'autant plus dangereux qu'ils seraient empoisonnés par la pollution des industries de diamant. Et toujours les risques des maladies: dysenterie, typhoïde, malaria, covid... Et tout ça, quelquefois, en une seule surdose de cocktail explosif. ... Nous voici à la frontière de nulle part, mais entre deux feux, celui de la traque policière angolaise ;  et celui des douaniers tracassiers congolais. Mon fils s'est effondré, manifestement exténué. Je crie au secours! Une infirmière migrante se précipite et tente d’ausculter l’enfant. Diagnostic fatal, trahi par les yeux  de l'enfant : jaunisse, à moins d'être choléra, ou malaria, ou même covid!  Je m'effondre aussi. La "colonne-kuluna " continue son chemin, mine de rien,  sans nous. Je suis abandonné, mon fils malade entre mes bras. Yelelele! Une pensée fulgurante, vertigineuse, éplorée pour ma femme abandonnée  là-bas, et pour ses dernières protestations. .. Notre enfant, mon compagnon de dix ans est mort. Je le couvre vaille que vaille avec ma veste, et je le porte jusqu'à la frontière. Et là, je confie le cadavre au premier douanier, comme une pièce insolite de visa d'entrée. Yelelele!

YOKA lye ( 11.09. 2021)