Confidences du chauffeur du ministre
Mon patron le ministre en charge des Questions Tactiques et Statistiques a tenu à rendre un hommage bien ressenti au Cardinal décédé ; il n’a loupé aucune cérémonie funéraire. « Nous avions, proclame-t-il, des ‘atomes crochus’ ». Et lorsque, en confidence, nous lui demandions ce que ‘’atomes’’ et ce que ‘’crochus’’ voulaient dire, il renchérissait ainsi : « Le Cardinal et moi partagions des accointances intellectuelles et apostoliques dignes de la vocation de notre Eglise catholique ». Et à la question de savoir que comprendre par l’expression ‘’accointances intellectuelles et apostoliques ‘’, notre ministre arborait un sourire épanoui, mais sans commentaire…
C’est donc logique que j’ai conduit et accompagné notre ministre à la dernière messe de requiem (« messe de suffrage » comme aimait à corriger Son Excellence).
Après avoir installé le ministre, comme il se doit, aux premières rangées de la cathédrale réservées aux VIP (« Vraisemblables Icônes de la Piété et de la Politique »), je me suis retiré à l’arrière des rangées, parmi mes collègues « quados d’en -bas ». Juste à côté de moi, un ecclésiastique, probablement un abbé, et en soutane noire de circonstance. Devant nous, une religieuse éplorée, plus belle encore sans doute parce qu’éplorée. A côté de la belle religieuse, une dame adepte, en pleurs tout au long de l’office religieux, et vraiment inconsolable. D’ailleurs tous les fidèles autour de moi avaient la mine sombre. Alors que la charmante religieuse et la dame bigote arrivaient à peine à cacher leur douleur que l’on devinait sincère et immense, l’abbé lui, m’a sérieusement inquiété par ses réactions insolites faites de piété zélée et exhibitionniste. Quand par exemple l’assistance des fidèles récitait à mi-voix des psaumes d’édification spirituelle et morale, lui l’abbé poussait des borborygmes incompréhensibles comme superstitieuses. Lorsque l’assistance s’asseyait pour la pause-méditation, lui restait résolument debout, avec des gesticulations d’épouvantail. Et à la phase des offrandes, au moment où circulait le panier de la collecte, le fameux abbé a eu le temps d’arraisonner le panier de sa rangée ; et, faisant semblant d’y verser sa part d’offrande, il en a prestement retiré un gros billet en dollar. J’ai assisté à tout ça, la mort dans l’âme ! Pis que cela : à la phase d’adoration, au moment de se lever et de chanter en intensité la prière à la gloire de « notre Père Céleste », j’ai vu (ô scandale !), oui j’ai vu la main du soi-disant abbé s’égarer, mine de rien, sur le postérieur tabou de la dame bigote, comme si ce n’était qu’un banal accident d’une main baladeuse, indisciplinée… C’en était trop : mes soupçons se sont du coup aiguisés concernant ce personnage fou et dangereux. Dès cet instant-là, j’ai juré d’empêcher cette espèce d’apostat de prendre la communion : profanation extrême de sa part, n’est-ce pas !
J’ai alors téléphoné discrètement au garde du corps de notre ministre qui lui, a prévenu notre ministre qui lui, a fait signe aux agents du protocole qui eux, ont alerté les services de sécurité…
…Ainsi donc, grâce à ma vigilance, le faux prêtre a été arrêté, en pleine séance des absoutes, et devant des fidèles médusés. On apprendra plus tard que ce faux abbé a persisté à se réclamer de …l’Eglise catholique, mais « Eglise Catholique-Libéro-Apostolico-Evangélico-Charismatique du 7e Ciel »…
(YOKA Lye)
25-07-2021