CHRONIQUE LITTERAIRE DU PROF YOKA : « Le chien de la patronne mange mieux que la bonne domestique »

Prof. Yoka Lye

Confidences du chauffeur du Ministre

A ma grande surprise, en rentrant chez moi hier soir,  j’ai trouvé la bonne de notre patronne dans tous ses états. Cette bonne est depuis longtemps au service de notre patronne, la distinguée épouse de notre Ministre des  Affaires Stratégiques et Tactiques. Hier soir donc chez moi, la bonne était blottie   dans les bras de ma femme, et entre deux gros sanglots, elle racontait ses dernières misères avec notre patronne.

Voici l’affaire : tous les premiers mardis du mois, la patronne a coutume de faire, avec sa bonne, les courses pour le  chien de garde de la résidence, un bouledogue  de pure race. Ce fut le cas dernièrement : ronde dans les alimentations ou les boucheries   pour   se  procurer  du   pâté de campagne en boîte, ou des ossements détachés de la viande de porc, ou encore du lait caillé en flacon. Ronde dans les officines spécialisées   pour animaux,  en vue des soins de pédicure du quadrupède. Puis,   enfin,   visite   médicale   chez  le vétérinaire  pour des examens de contrôle d’une prostatite en gestation…

La bonne, veuve et mère de cinq enfants, résidente à la périphérie de la ville, avoue d’avoir de temps en temps subtilisé quelques victuailles et boîtes de conserve destinées au chien, et les avoir soigneusement fourguées dans son gros sac à main, au moment de quitter la résidence en fin de journée de travail. Tout ça, tous ces risques, au profit de ses  enfants de plus en plus  kwashiorkorés.

Hélas,  la malchance !   Hier, le mauvais   sort avait dirigé, on ne sait comment et pourquoi, les   soupçons  et  la vigilance de notre patronne vers le fameux sac, au moment où  la bonne achevait sa journée de travail… La honte. Le fond du trou noir.  Puis, la  sanction  tel un couperet : révocation !

Hier soir donc, dans les bras de ma femme, la pauvre bonne en pleurs se lamentait de son sort  de galère plus-plus: cinq enfants soumis à un régime alimentaire au loto, chacun son repas et  à tour de rôle. Avec les mêmes ingrédients de  légume-matembele avec un bout de farine-fufu et une tête de poisson-mpiodi ,   matin-soir-matin-soir. Et   lorsque  les pâtés de campagne ou les osselets de porc chapardés tombaient dans les assiettes des enfants, quel festoiement !  La bonne est   allée   loin  jusqu’à raconter dans les moindres détails comment l’aîné des enfants a été surpris  en train de griller à la paille brulée  un  chat  putréfié ramassé  dans  les déchets      publics. Pris de pitié, j’avais décidé sur-le-champ  de négocier   la grâce  et le pardon,  avec la patronne et au besoin, avec le patron lui-même (lui, de plus en plus bienveillant et à l’écoute des agents depuis le chômage technique du gouvernement…) .

… Seulement, voilà : en  arrivant  à  la   résidence  ministérielle ce matin, j’ai trouvé la bonne assise devant le portail de la résidence ministérielle  et en posture de deuil. Comble d’ironie, derrière la grille de la résidence, le chien de garde grommelait contre la bonne et la repoussait comme en signe de rancune. Plus tard, le garde du corps du Ministre m’expliquera que la bonne avait entamé une « grève de la faim ».

Pour moi, « grève de la faim »    était un terme tapageur de journalistes et d’activistes. Tous les jours, pour la bonne, n’était-ce pas, des jours  de « grève de la faim »…

 

(YOKA  Lye)

13-01-2021