La chronique littéraire du Prof Yoka: « Covid-19, des  Schengenois chez  les  Kinois »

Une vie du boulevard du 30 juin, Kinshasa. Ph. ACTUALITE.CD

Confidences du chauffeur du Ministre

Arrivée à Kinshasa d’une délégation de Schengen-Land. Les murs, n’est-ce pas, ont des oreilles. J’entends encore, chuuut ! de façon indiscrète,  les propos de mon patron le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (  à prononcer avec respect…) ; lui sur la banquette- arrière de la limousine et au téléphone, et moi     au volant et en route vers le cabinet. A écouter le ton de la conversation, mon patron  échange au téléphone avec certainement un collègue de même rang respectable et … stratégique que lui. J’apprends donc incidemment qu’une délégation ministérielle  schengenoise est arrivée dans la semaine du 10 courant,   qu’elle  a dans ses bagages des cargaisons de médicaments et d’appareils.

Je me souviens encore du ton malaisé de mon Ministre. Il  disait  ceci à son interlocuteur : «  Allô ! Allô !  Ces Noko-là schengenois ont la montre mais pas d’heure locale, pas d’ambiance locale. Ils arrivent chez nous en plein dans un procès… vital, en pleine marche des maraichères contre le confinement, en pleine défenestration d’un Honorable du bureau du parlement, en plein déconfinement élastique du covid-19 ( beaucoup trop-trop  élastique pour les ambianceurs impatients et  pour les  dévots en rage) ; en pleines manifestations planétaires, contagieuses contre le virus du racisme…Allô ! Allô ! ».

Mon  patron de Ministre a  tellement raison ; le cortège impressionnant de la délégation schengenoise à Kinshasa,  trainant  avec lui  des wagons  de  cargaisons  anti-covid-19, n’a-t-il pas risqué la lapidation dans la « commune rouge »  à la sortie de l’aéroport, de la part des jeunes allergiques à toute allusion aux médicaments importés outre-fleuve, outre-mer, outre- atlantique !… Ces jeunes criaient  ne pas être concernés par la pandémie, que c’est un règlement de comptes entre riches et  gens-d’en-haut-en –haut.

Hélas, mon patron de Ministre a beau insister sur les dangers très chers, mais sur des mesures-barrières pas chères, rien à faire : les ambianceurs des bars-sans-réveil et les dévots des églises-de- réveil chantent au contraire qui des rumbas qui des cantiques  anti-sorcellerie et anti-sorciers …

En attendant, la  délégation  ministérielle  schengenoise est bien à l’aise chez nous : omniprésente, omnipotente, omnimédiatique. Comme il est de coutume chez les diplomates et les humanitaires en visite au Congo, l’itinéraire  est  déjà  tracé  et  connu :  Kinshasa-Goma-Kinshasa. Car pour eux, l’Est du pays c’est à la fois le Congo des mystères, le Congo des misères, mais le Congo des minières…

… Justement conférence de presse en  plein dans l’Est, à Goma. Dans une salle d’avance désinfectée, désinsectisée,  dératisée, déminée. Mais  voilà qu’au moment,  pour la délégation  schengenoise,  d’accéder dans la salle, un agent sanitaire gomatracien particulièrement vigilant et têtu exige le contrôle par révolver-thermomètre, et le test par caméra prophylactique espionne. Aïe ! deux membres de cette délégation schengenoise sont testés … positifs ! Panique des journalistes présents ;   tous  vident la salle. Panique aussi dans la  ville : la  rumeur  s’est  saisie  de l’incident et s’est propagée plus vite que le covid-19…

… Toujours d’après mon Ministre, la délégation schengenoise  n’a pas demandé son reste. Et donc débandade en désordre des Noko schengenois !

… J’avoue que je n’ai  plus suivi le reste de la conversation téléphonique de mon patron de Ministre : les murs ont des oreilles certes, mais l’actualité débordante et épicée des kinoiseries appelle ailleurs ma curiosité, mes curiosités…

 

(YOKA  Lye)   16. 06. 2020