LA FORMATION DU GOUVERNEMENT SOUS LA CONSTITUTION CONGOLAISE DU 18 FEVRIER 2006 EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO : ENJEUX ET DEFIS

Photo d'illustration/ACTUALITE.CD

       Par 

Paulin PUNGA KUMAKINGA &

Joseph CIHUNDA HENGELELA

Chercheurs au CREEDA (www.creeda-rdc.org

INTRODUCTION

Depuis que la classe politique congolaise est entrée dans l’effervescence de la naissance d’une nouvelle coalition politique et majoritaire, sous le format et le nom d’« Union sacrée de la Nation » voulue par le Président de la République, des messages d’alerte et d’avertissement ont commencé  en même temps à foisonner pour mettre en garde contre  une « Union Sacrée » qui ressemblerait à l’Union Sacrée de l’Opposition Radicale et Alliés(USORAL) des années 1990, qui serait une « blanchisserie », ou encore « une coalition FCC-CACH bis ».

Les récentes concertations de deux leaders de LAMUKA avec le Président de la République et la nomination d’un informateur chargé d’identifier la nouvelle coalition majoritaire ont amorcé des discussions entre les forces politiques en vue de poser les bases du partage des responsabilités, notamment au sein du futur gouvernement d’union nationale.

S’agissant justement de ce gouvernement, le peuple congolais est préoccupé de sa taille et de sa composition, lesquelles seront un point de départ pour apprécier la réelle volonté de rupture affichée par le Président de la République lors de ses interventions à la Nation qui annonçaient la fin de la coalition FCC-CACH. Pour preuve, un citoyen qui intervenait récemment à une émission ouverte aux auditeurs par une radio de la capitale congolaise, s’est exprimé, avec amertume, qu’il constatait que les mêmes figures politiques qui ont dominé la scène politique de ces dernières années risqueraient de revenir. D’après lui, ce sont ces personnes qui sont à la base du dysfonctionnement des institutions de l’État et de l’appauvrissement du peuple. Pour ne pas courir un tel risque, il proposait au Président  de la République de constituer un nouveau gouvernement composé uniquement des jeunes universitaires et des non-partisans. 

La question de la composition du gouvernement n’est pas la préoccupation du seul congolais de la masse, mais elle attire également l’attention de l’élite, qu’elle relève des milieux sociaux ou politiques. En effet, dans sa déclaration rendue publique le 18 décembre 2020, après l’annonce de la fin de la coalition FCC-CACH par le Président de la République, et la déchéance de l’ancien bureau de l’Assemblée nationale, le Groupe de treize personnalités politiques(G13) recommandait la réduction de la taille du gouvernement en ces termes : « Pour le gouvernement, privilégier le format d’austérité, réduit à 35 membres au maximum, et compatible avec les maigres ressources de nos finances publiques actuelles ».

Cette note a pour objectif de rencontrer toutes ces préoccupations autour de la formation du futur gouvernement, en précisant tout d’abord  les dispositions constitutionnelles relatives à la formation du gouvernement en République Démocratique du Congo, en indiquant ensuite la pratique qui en a été faite jusqu’ici, et ce, en fixant un regard particulier sur les tractations politiques qui accompagnent la formation des gouvernements congolais depuis le début de la troisième République. C’est pourquoi, il sera premièrement question de s’intéresser à ce que prévoit la Constitution en cette matière, en étudiant pour cela les fondements juridiques et principiels relatifs à la formation du gouvernement (A), avant d’examiner en second lieu la pratique en matière de formation du gouvernement (B).

A. FONDEMENTS JURIDIQUES ET PRINCIPES DE LA FORMATION DU GOUVERNEMENT 

En tant qu’institution politique, le gouvernement possède bien une existence constitutionnelle. En effet, la Constitution renseigne comment le gouvernement commence et comment il prend fin. Elle indique également les missions qui lui sont dévolues par le constituant et la manière dont il fonctionne en tant qu’institution collective. Ce papier n’entend nullement aborder toutes ces dimensions du gouvernement ; il ne se préoccupe ici que de vulgariser le droit relatif à la formation, mieux à la composition du gouvernement.

Ceci étant précisé, outre les dispositions constitutionnelles congolaises régissant la formation du gouvernement, les principes d’usage y afférents seront également passés en revue. Ceci imposera sans aucun doute le recours au droit comparé pour véritablement renseigner sur les fondements juridiques et principiels en matière de formation du gouvernement dans les démocraties modernes dont s’inspire la RDC.

I. Dispositions constitutionnelles régissant la formation du gouvernement

Aux termes de l’article 90 de la Constitution,

Le Gouvernement est composé du Premier ministre, de ministres, de Vice-ministres et, le cas échéant, de Vice-premier ministres, de ministres d’Etat et de ministres délégués. 

Il est dirigé par le Premier ministre, chef du Gouvernement. En cas d’empêchement, son intérim est assuré par le membre du Gouvernement qui a la préséance. 

La composition du Gouvernement tient compte de la représentativité nationale.

Avant d’entrer en fonction, le Premier ministre présente à l’Assemblée nationale le programme du Gouvernement.

Lorsque ce programme est approuvé à la majorité absolue des membres qui composent l’Assemblée nationale, celle-ci investit le Gouvernement.

Cette disposition renseigne globalement sur ce que c’est le gouvernement. Mais elle ne dit rien sur la nomination de ses différents membres. C’est pourquoi, il est important de savoir qui rend cette composition possible et comment le fait-il. L’article 78 dispose à cet effet :

Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.

Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition.

La mission d’information est de trente jours renouvelables une seule fois.

Le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre.

La lecture combinée des articles 90 et 78 de la Constitution nous renseigne qu’en RDC, le Gouvernement est composé du Premier ministre et des ministres qui peuvent se voir accompagner des Vice-premier ministres, des ministres d’Etat, de ministres délégués mais aussi de Vice-ministres. L’alinéa 3 de l’article 90 spécifie que cette composition tient compte de la représentation nationale. Tous ces membres du Gouvernement, en ce compris le Premier ministre, sont nommés par le Président de la République. 

Seulement, il importe d’indiquer que le Premier ministre est, lui, nommé par le Président de la République à sa discrétion, c’est-à-dire sans que ce soit sur proposition de quelque autorité, comme il en est le cas pour les autres membres du gouvernement qui le sont sur proposition du Premier ministre. Quoiqu’il en soit, le Premier ministre et les ministres sont nommés par le Président de la République.

Le Premier ministre est nommé par le Président de la République au sein de la majorité parlementaire, après avoir consulté celle-ci. En principe, dans le régime parlementaire classique, la personnalité à nommer Premier ministre est véritablement le chef de la majorité parlementaire au sein de la chambre des députés, dont le leadership lui est incontestablement reconnu au sein de cette majorité. Dans cette hypothèse, ce chef de la majorité parlementaire nommé Premier ministre devient également le chef de l’exécutif qui contrôle à la fois le gouvernement et la majorité parlementaire. C’est dans ce seul cas qu’on peut parler de régime « primo-ministériel », parce que le régime, par l’extension des pouvoirs du chef du gouvernement qui est en même temps chef de la majorité parlementaire, « se gouvernementalise ». 

Mais un régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire(mixte), comme le nôtre qui est le reflet du régime politique français, le Président de la République est tenu de nommer Premier ministre le leader de la majorité parlementaire lorsque celle-ci ne lui est pas acquise, c’est-à-dire lorsque la majorité parlementaire ne coïncide pas avec la majorité présidentielle. En effet, n’étant pas chef de la majorité parlementaire, le Président de la République sera soumis au choix lui imposé par cette majorité qui se reconnait en une personnalité qui la conduit au sein de la chambre, et généralement depuis la campagne des législatives que le parti ou la coalition a finalement gagnées. C’est le cas de figure d’une situation de cohabitation entre un Président de la République qui a, en face de lui, un gouvernement et une majorité parlementaire qui ne lui sont pas politiquement soumis.

Par contre, s’il advient que le Président de la République est à la fois chef de la majorité parlementaire, il est libre de nommer son Premier ministre au sein ou en dehors de cette majorité. Il est politiquement délié de cette obligation de ne nommer le Premier ministre qu’au sein de la majorité parlementaire. Il peut, dans ce cas, nommer discrétionnairement même un non-parlementaire. C’est dans ce sens qu’il importe de situer toutes les nominations effectuées par Joseph Kabila en portant à la primature de non-parlementaires tels qu’Antoine Gizenga en 2007, Adolphe Muzito en 2009 et Augustin Matata Ponyo en 2012. Et même la nomination de Sylvestre Ilunga, dans la mesure où le FCC et le CACH étaient une coalition majoritaire formée à la suite des élections législatives, le Président de la République actuel avait pris le costume de chef de la majorité présidentielle et parlementaire, pour pouvoir user de sa discrétion dans la nomination d’un non-parlementaire, qui n’est aucunement chef de la majorité parlementaire. Ce qu’il faut retenir est que le Premier ministre nommé dans ce cas de figure fonctionne politiquement sous l’autorité du Président de la République et ne dispose donc pas assez de marge de liberté face à son chef.

Dans un contexte où la majorité parlementaire au sens strict n’existe pas, l’hypothèse d’une coalition majoritaire apporte également des tempéraments au pouvoir discrétionnaire de nomination reconnu au Président de la République. En effet, la coalition des forces politiques peut conduire à des accords politiques susceptibles d’encadrer le pouvoir discrétionnaire du Président de la République. Telle fut l’hypothèse de la coalition AMP-PALU-UDEMO qui avait obligé le Président de la République à ne choisir le Premier ministre que dans le Parti Lumumbiste Unifié(PALU). Le pouvoir de discrétion est aussi relativisé dans le contexte des accords politiques de sortie de crise, qui peuvent lier le Président à choisir le Premier ministre même dans le camp qui lui est opposé, même si celui-ci ne dispose pas d’une majorité parlementaire qui peut faire penser à une cohabitation. La RDC a connu dans son histoire politique ces cas de figure, le dernier en date étant l’Accord du 31 décembre 2016 qui avait imposé au Président de nommer Premier ministre la personnalité présentée par le Rassemblement. C’est en vertu de cet Accord que Bruno Tshibala avait été nommé Premier ministre, même si la conception du pouvoir discrétionnaire qui avait prévalu à l’époque reste très discutable.

On le voit, le Premier ministre formateur du Gouvernement est nommé par le Président de la République. En principe, ce pouvoir est discrétionnaire quant à la personnalité à choisir mais il peut en même temps subir des inflexions ou des tempéraments susceptibles de l’encadrer ou de l’orienter, selon qu’on se trouve dans une situation d’une majorité acquise au Président de la République, ou dans une situation de coalition des forces politiques pour dégager une majorité parlementaire ou encore dans une situation de cohabitation du Président de la République avec une majorité non acquise à sa cause, imposée par la donne électorale ou par un accord politique. Dans toutes ces hypothèses, le pouvoir discrétionnaire du Président de la République n’a pas la même force ou la même portée. Il en est de même, toutes proportions gardées, du pouvoir de nomination des ministres membres du Gouvernement proposés par le Premier ministre, qui tient compte de certains principes ou critères.

II. Principes et critères orientant la désignation ou le choix des ministres membres du Gouvernement

Aux termes de la Constitution, « …le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre ». Déjà de par la lettre de la Constitution, le Président de la République ne nomme pas les autres membres du gouvernement à sa discrétion ; il le fait sur proposition du Premier ministre. En d’autres termes, le principe est que le Président de la République ne nomme ministres que les personnes que lui propose le Premier ministre. Mais une fois de plus, ceci n’est strictement observé par le Président que dans l’hypothèse d’une cohabitation où le Président de la République se trouve en face d’un Premier ministre chef de la majorité qui ne lui est pas acquise, encore que même alors, le Président de la République dispose quand même d’un véto qui peut l’amener à s’opposer à la nomination de telle ou telle autre personnalité proposée par le Premier ministre. Dans le contexte d’un accord politique de sortie de crise, on peut avoir un Premier ministre qui impose des candidats au Président de la République qui voit son pouvoir discrétionnaire être réduit par la force politique de l’accord, sans pour autant être complètement vidé de sa substance.

Dans les autres configurations politiques, à savoir de coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, de coalition majoritaire favorable au Président de la République, ce dernier dispose pleinement des moyens d’user de son pouvoir discrétionnaire, sans que le Premier ministre ne lui fasse ombrage. Il peut même imposer la majorité des candidats au Premier ministre, voire lui fixer le seuil au-delà duquel il ne peut aller, s’agissant du nombre des membres du gouvernement.

Quoiqu’il en soit, c’est-à-dire que le Premier ministre soit libre ou pas à faire ses propositions, que le Président de la République dispose ou non de sa discrétion, le choix des membres du gouvernement est souvent, si ce n’est pas toujours, guidé par des principes ou des critères ci-après : l’équilibre ou le dosage politique et  l’équilibre géographique ou régional. A ceux-ci qui sont traditionnels, s’ajoutent la représentation féminine et la représentation des minorités qui sont des principes imposés par l’importance prise par les droits de l’homme qui prônent la participation de toutes les couches au pouvoir de décision. Mais il peut arriver que le besoin d’une cohésion nationale impose l’ouverture du gouvernement aux personnalités de l’opposition.

1° Equilibre des forces ou dosage politiques 

Le gouvernement étant une institution éminemment politique, sa formation ou sa composition obéit forcement à une logique politique. La logique politique ici fait allusion aux rapports de forces politiques en présence. Pour être désigné membre  du gouvernement dans les systèmes politiques parlementaristes, il faut que ce choix soit sous-tendu soit par le poids politique du parti dont relève le candidat dans le microcosme parlementaire, soit alors par l’envergure personnelle ou le prestige dont bénéficie politiquement la personne.

Le poids politique est, de ce point de vue, le critère déterminant pour la formation du gouvernement. Il dicte sa logique aussi bien dans l’hypothèse de concordance des majorités présidentielle et parlementaire que dans le contexte d’une cohabitation ou dans celui d’une coalition majoritaire à l’issue des élections législatives ouvrant une législature ou dans le cas d’une recomposition de la majorité en cours de législature. Que le pouvoir de nomination des membres du gouvernement relève ou non de la discrétion du Président de la République, la liste à proposer par le Premier ministre à la signature du Président doit avoir préalablement été confectionnée en tenant compte de ce principe cardinal. Et dans le cadre d’une coalition, ce principe de l’équilibre ou du poids politique contribue à la stabilité de la coalition majoritaire ou à sa fragilité.

Le poids politique d’un candidat nommé ministre peut ne pas nécessairement transparaitre sur sa propre personne mais bien sur la personne du recommandant. En effet, la longévité d’un membre du gouvernement ou sa présence répétitive au sein du gouvernement peut être justifiée par le respect que le Premier ministre ou le Président de la République doit à la personne qui l’avait recommandé. Sous le régime de Joseph Kabila, certains ministres devaient leur longévité à la recommandation de l’un ou l’autre membre de la famille présidentielle.

En vertu du poids politique, il arrive que certains leaders politiques membres d’une coalition politique et ou majoritaire, revendiquent tel ou tel portefeuille ministériel. Ce qui fait que, outre le programme politique qui concourt à réunir au sein d’une coalition des personnalités politiques de tout bord, parfois à idéologies opposées, c’est forcement le partage des responsabilités dans les institutions qui caractérise une coalition gouvernementale. Ce n’est donc pas un lien d’ordre affectif qui met ensemble les membres d’une coalition, mais bien des intérêts et objectifs politiques à poursuivre ensemble. 

Il est donc politiquement légitime que, tout en adhérant à l’Union Sacrée de la Nation qui est un appel au rassemblement lancé par le Président de la République, les différents partis et regroupements politiques revendiquent leur poids politique susceptible de concourir à l’accession de telle ou telle fonction, qu’ils relèvent de l’ancienne Majorité ou de l’ancienne opposition. Ce qui compte est bien leur influence politique actuelle et le rôle qu’ils peuvent jouer dans la formation et la stabilisation de la nouvelle Majorité parlementaire.  Ce serait illusoire d’ignorer cette donne caractéristique des régimes politiques de type parlementaire. Toute la question est de savoir négocier pour bien gérer les ambitions des uns et des autres, mais surtout de privilégier dans leur quête politique, l’intérêt supérieur  de la Nation, qui peut conduire à des concessions difficilement admissibles.

2° Equilibre géographique ou régional 

La prise en compte de l’équilibre géographique ou régional est le deuxième principe ou critère qui milite en faveur du choix des membres du gouvernement dans les démocraties modernes. Dans certains pays, ce principe est expressis verbis consacré dans le texte constitutionnel, mais dans d’autres il relève de la coutume. C’est en référence à cette exigence qu’il est parfois soutenu en RDC que le Premier ministre, les Présidents des chambres ne peuvent être d’une seule aire géographique, tout comme l’un et l’autre ne peut être de la même province ou du même espace linguistique que le Président de la République ou le Premier ministre. 

Le pouvoir de proposition du Premier ministre et celui de nomination du Président de la République sont, dans la pratique, liés par cette obligation ou cette exigence, même si son respect absolu reste une illusion pour la simple raison qu’il est techniquement difficile de satisfaire toutes les régions ou provinces, territoires et aires linguistiques avec la même proportion des membres du gouvernement. Il y a tout de même, la plupart du temps, une tendance à privilégier la région linguistique ou l’espace géographique du Président de la République et un peu moins du Premier ministre. Les membres de la coalition, députés et sénateurs, devraient intégrer dans leurs ambitions cette règle de la représentativité nationale ou provinciale ou encore régionale qui peut déjà donner une idée de régulation de celles-ci, à partir de la position occupée par telle ou telle autre personnalité, de telle ou telle autre province ou aire géographique.

3° Représentation de la femme et des minorités

Ces deux principes mis ensemble sont d’apparition récente dans la formation des gouvernements. A cet effet, Michel Lascombe écrit : « Depuis quelques années, le Premier ministre se préoccupe aussi de la représentation féminine au sein du Gouvernement(…). De manière encore plus récente, un soin tout particulier est mis à ce que l’on appelle « la représentation des minorités visibles ».

S’agissant de la représentation de la femme, l’article 14 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 dispose :

Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits.

Ils prennent, dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation.

Ils prennent des mesures pour lutter contre toute forme de violences faites à la femme dans la vie publique et dans la vie privée.

La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales.

L’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions.

La loi fixe les modalités d’application de ces droits.

La représentation de la femme au gouvernement est une réponse  à cette obligation constitutionnelle qui postule que la femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. Même si la parité au niveau du gouvernement reste un défi en RDC, aucun gouvernement n’est formé depuis 2006 sans que la question de la représentation féminine ne fasse l’objet de préoccupations  dans le chef du Premier ministre et du Président de la République. Elle fait partie de l’agenda des Etats en matière de promotion et de protection des droits humains. Cette représentation de la femme dans le gouvernement de la République est intimement liée à l’exigence de la protection des droits catégoriels (des personnes vulnérables), y compris ceux des minorités.

La représentation des minorités devient de plus en plus une nécessité, à l’instar de la représentation féminine, aux yeux des autorités politiques exécutives que sont le Premier ministre et le Président de la République, dans leur mission de former et de nommer le gouvernement. En RDC, l’Etat a le devoir d’assurer la protection et la promotion des groupes vulnérables et de toutes les minorités. C’est ce principe qui explique la présence régulière de certaines personnalités rwandophones dans les gouvernements successifs depuis 2007. C’est également en vertu de ce principe que les peuples autochtones(les pygmées) exigent sans cesse qu’ils soient représentés au sein du Gouvernement de la République.

Tels sont globalement résumés les règles et principes qui orientent le Premier ministre et le Président de la République dans la formation et la nomination du Gouvernement. Il reste à vérifier si ces règles et principes ont été suivis ou pris en compte dans la composition des gouvernements successifs sous le régime de la Constitution du 18 février 2006. 

B. PRATIQUE EN MATIERE DE FORMATION DES GOUVERNEMENTS

Depuis 2007, la formation du gouvernement en République Démocratique du Congo est toujours une tâche fastidieuse pour le formateur et pour l’autorité de nomination. Chaque gouvernement a ses particularités liées aux enjeux qui entourent sa formation et aux objectifs poursuivis par le Président de la République, la seule autorité qui est censée assumer le bilan d’un gouvernement. De Gizenga jusqu’à Ilunga, la RDC compte dix gouvernements successifs qu’il importe de passer en revue, avant d’envisager quelques perspectives pour le gouvernement qui procédera de la nouvelle majorité parlementaire, l’Union sacrée de la Nation.

I. Gouvernement d’Antoine Gizenga ou le défi de trouver des hommes intègres

Après la victoire électorale de Joseph Kabila au second tour de l’élection présidentielle du 30 septembre 2006, la coalition de ceux qui l’avaient soutenu devait former un gouvernement qui était censé mettre en œuvre  le programme du Président. C’est pourquoi, entre l’Alliance de la Majorité présidentielle(AMP), le Parti Lumumbiste Unifié(PALU) et l’Union des Démocrates Mobutistes (UDEMO), un accord de gouvernement fut signé le 30 septembre 2006 au Grand Hôtel de Kinshasa où il avait été décidé que la primature reviendrait au PALU. Et conformément à cet accord, Antoine Gizenga Fundji fut nommé Premier ministre le 30 décembre 2006.

Après plus d’un mois d’intenses tractations pour la formation du premier gouvernement de la troisième République, le Gouvernement Gizenga I fut nommé le 5 février 2007 par l’ordonnance présidentielle n°07/001 et comptait, outre le Premier ministre, soixante membres. La taille de ce Gouvernement était dictée par les alliances postélectorales scellées autour du Président Joseph Kabila. Le premier défi du formateur était de satisfaire toute la mosaïque des partis qui prétendaient avoir apporté leur concours à la victoire électorale de Joseph Kabila face au candidat de l’Union pour la Nation(UN) que fut Jean-Pierre Bemba. Son second défi était celui de trouver des hommes intègres, car Antoine Gizenga avait ouvertement dit qu’il ne prendrait pas dans son gouvernement ceux qui avaient trempé dans le mal et dont les noms étaient cités dans plusieurs rapports, notamment le Rapport de la Commission Lutundula et celui des experts des Nations unies publié en 2002.

Pendant tout le mois des tractations pour le partage des postes, le malaise était, à un moment donné, très profond au sein de l’AMP.  Vital Kamerhe, alors Secrétaire général du parti présidentiel, avait même lâché des mots qui jetèrent un pavé dans la marre : « l’époque de partage du gâteau est révolue ». Lassé par les exigences des partenaires, le Secrétaire général du PPRD aurait envisagé de compter le nombre de députés de chaque parti ou regroupement politique pour se faire une idée du poids politique susceptible d’éclairer dans le processus de partage des postes au sein du Gouvernement.

Après d’intenses discussions, d’abord au sein de l’AMP et ensuite avec leurs alliés du PALU et de l’UDEMO, le partage s’opéra de manière indicative suivante : sur les soixante membres, l’AMP se donna 50 postes ministériels, le PALU se contenta de 7 et l’UDEMO de 3. Mais dans les 50 de l’AMP, le PPRD se tailla la part du lion avec 20 postes et laissa les 30 postes à ses nombreux alliés.

Au total, le Gouvernement Gizenga I avait, outre le Premier ministre, 6 Ministres d’Etat, 34 Ministres et 20 Vice-Ministres. Neuf mois plus tard, à cause de son manque d’efficacité et du manque d’initiative de la part du vieux Premier ministre, ce Gouvernement fut légèrement remanié le 25 novembre 2007 et réduit à 46 membres, le Premier ministre compris. Dans Gizenga II, l’AMP gagna 36 postes, le PALU 7 et l’UDEMO 3. Le fait marquant était que le PALU avait perdu le Ministère de la Justice au profit du PPRD qui le confia à l’un de ses cadres, en la personne de Mutombo Bakafwa Nsenda qui poussa à la sortie Georges Minsay.

La question qu’on peut utilement se poser est celle-ci : était-ce pour lutter contre l’impunité que le PPRD récupéra la Justice ou ce fut pour protéger habilement ses caciques ? Quoiqu’il en soit, les Gouvernements Gizenga I et II n’étaient pas à la hauteur de ses défis du départ : lutte contre l’impunité, lutte anti-corruption, et développement. Les mécontentements au sein de la coalition doublés de la crise alimentaire et financière mondiale qui avait frappé de plein fouet l’économie congolaise, la dépréciation du franc congolais, etc. poussèrent hors-jeu Antoine Gizenga qui trouva en sa santé un prétexte pour démissionner le 25 septembre 2008, alors que des bruits de bottes étaient de nouveau entendus à l’Est de la RDC.

II. Gouvernement de mission d’Adolphe Muzito

En conformité avec l’Accord du Grand Hôtel de Kinshasa, Joseph Kabila nomma le 10 octobre 2008 Adolphe Muzito Premier ministre, un autre cadre du PALU et Ministre du Budget du Gouvernement Gizenga. Il lui confia comme principale mission la fin de la guerre déclenchée par le CNDP à l’Est de la République. Très rapidement, Adolphe Muzito forma son Gouvernement qui fut publié le 26 octobre 2008, soit deux semaines après sa nomination.

Adolphe Muzito eut la tâche facile parce que son Gouvernement était taillé sur la mouture du Gouvernement Gizenga. Les changements n’étaient pas majeurs. La structure du gouvernement ne va pas tellement changer, avait indiqué un négociateur de l’AMP sur les ondes de la radio okapi. Les négociations pour la composition de cette équipe avaient pris seulement deux jours.

Lorsque le Gouvernement Muzito I était publié, il comportait au total 55 membres, le Premier ministre inclus. A la place des Ministres d’Etat, Adolphe Muzito préféra les postes de Vice-Premier Ministres qui furent également au nombre de trois et furent confiés à Joseph Mobutu Nzanga(Besoins sociaux de base), Emile Bongeli(Reconstruction) et Mutombo Bakafwa Nsenda(Défense et sécurité). Alors que dans le Gouvernement Gizenga, l’allié de l’UDEMO, François-Joseph Mobutu Nzanga, avait quand même l’agriculture comme portefeuille concret,  dans le Gouvernement Muzito I, il devint Vice-Premier Ministre chargé des besoins sociaux de base, un secteur très imprécis et qui ne contenait finalement rien du tout. C’était en réalité le début des malaises du leader de l’UDEMO avec ses partenaires. En effet, il était reproché à ce dernier de manquer d’efficacité et d’initiative quand il était Ministre d’Etat chargé de l’Agriculture. Outre les trois Vice-Premier Ministres, le Gouvernement comptait 37 Ministres et 14 Vice-Ministres. Le PALU et l’UDEMO gardèrent leur quota de 7 et 3, les 45 autres revenant au camp de l’AMP du Président Kabila.

En tant que gouvernement de mission, le Gouvernement Muzito I parvint à la conclusion des accords du 23 mars 2009 avec les rebelles du CNDP, même si la paix restait fragile dans cette partie de la République. Ainsi, après une année, trois mois et vingt-quatre jours, le Gouvernement Muzito fut remanié le 19 février 2010. Muzito II comptait 3 Vice-Premier Ministres, 33 Ministres et 7 Vice-Ministres, une équipe resserrée dans laquelle de nombreux partenaires de l’AMP étaient mis de côté, les exigences liées au soutien électoral n’existant plus. Toutefois, ceux des partenaires qui n’étaient pas servis par Gizenga firent leur apparition déjà dans la première équipe de Muzito. On peut mentionner Olivier Kamitatu et Simon Mboso(ARC),  José Endundo(PDC), André-Philippe Futa(PANU), et l’inclassable Alexis Thambwe Mwamba qui prit les Affaires étrangères.

En dépit des changements intervenus depuis Gizenga I, certaines personnalités avaient jalousement gardé leurs portefeuilles. Il s’agit, par exemple, du MSR Pierre Lumbi aux Infrastructures et Travaux publics, du PPRD Maker Mwangu à l’Enseignement Primaire, secondaire et professionnel(EPSP), du CCU Mende qui revint rapidement à la Communication et Médias, après un court séjour aux hydrocarbures sous Gizenga II, du PALU Kabwelulu aux Mines, du RCD-KML Mbusa Nyamwisi à la Décentralisation et Aménagement du Territoire, du PANADI Gervais Ntirumenyerwa qui conserva son poste de Vice-Ministre aux Travaux publics pendant toute la législature, etc.

Ce Gouvernement resta en place jusqu’au troisième remaniement de Muzito qui intervint le 11 septembre 2011, après la révocation de François-Joseph Mobutu Nzanga en mars de la même année. Le Gouvernement Muzito III était alors composé de deux Vice-Premier Ministres, de 34 Ministres et de 10 Vice-Ministres, soit 46 membres plus le Premier Ministre. C’est ce Gouvernement qui était en place jusqu’à l’organisation des élections présidentielle et législatives du 28 novembre 2011. Candidat aux élections législatives dans la circonscription de Kikwit, Adolphe Muzito s’était vu obliger de démissionner pour laisser la gestion des affaires courantes à l’un de ses Vice-Premier Ministres, à savoir Louis-Alphonse Koyagialo. 

III. Gouvernement Matata Ponyo ou l’arrivée  en scène des technocrates 

Après les élections conflictuelles et chaotiques du 28 novembre 2011, l’AMP qui avait obtenu sans surprise sa majorité à l’Assemblée nationale devait en toute logique donner au pays un gouvernement. Les tractations commencèrent pour la nomination du Premier ministre. Après l’identification formelle de la majorité par l’informateur, Augustin Matata Ponyo, ancien ministre des finances du Gouvernement Muzito, fut nommé Premier ministre et son Gouvernement publié par l’ordonnance n°12/004 du 28 avril 2012.

Le fait que l’AMP fût déjà une plate-forme compacte depuis les élections de 2006, Joseph Kabila et Matata Ponyo n’avaient pas autant de pression qu’en 2007 pour la composition de l’équipe gouvernementale. En effet, il n’y avait pas d’alliances de circonstance qui pouvaient conduire les leaders politiques à revendiquer des dividendes pour leur contribution à l’élection du candidat Kabila. Tous les ténors de l’AMP étaient déjà acquis à sa cause, y compris le PALU qui avait promis de le soutenir pour ses deux mandats présidentiels, pour être à son tour soutenu en 2016. Voilà pourquoi Augustin Matata Ponyo avait quelque peu les mains libres pour former son équipe dont le nombre fut d’ailleurs réduit à 36 membres, en dehors de lui-même. Toutefois, le subtil dosage politique était toujours la règle pour la distribution des postes entre alliés de l’AMP qui était désormais devenue la MP.

Dans ce Gouvernement, on comptait 2 Vice-Premier Ministres, 28 Ministres et 8 Vice-Ministres. Quatre Ministres du Gouvernement Muzito avaient conservé leurs portefeuilles : Lambert Mende (Communication, Médias, Relations avec le Parlement et Initiation à la Nouvelle citoyenneté), Maker Mwangu(Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel), Martin Kabwelulu(Mines) et Fridolin Kasweshi(Infrastructures, Travaux publics, Aménagement du Territoire, Urbanisme et habitat). Beaucoup de portefeuilles autrefois éclatés étaient de nouveau confinés pour réduire la taille du Gouvernement.

Les femmes étaient représentées par trois postes ministériels, à savoir Wivine Mumba (Justice et droits humains), Geneviève Inagosi (Genre, Famille et Enfant) et Louise Munga (Portefeuille).

Augustin Matata Ponyo tenait à contrôler le secteur économique et financier. C’est pourquoi, il conserva lui-même les finances supervisées par son fidèle Patrice Kitebi qu’il nomma Ministre délégué. Au budget, il plaça également un proche, Daniel Mukoko Samba, quoique membre du PALU ; à l’économie Jean-Paul Nemoyato qui était également de sa clique. C’est avec eux et le Gouverneur de la Banque Centrale qu’il avait réussi à contrôler et à maitriser le cadre macro-économique et à impulser la croissance. 

Pour n’avoir pas centré son équipe sur le politique, Augustin Matata Ponyo s’attira très vite de l’antipathie des caciques du PPRD et de la MP. Son Gouvernement des technocrates fut qualifié, de manière sarcastique, de Gouvernement des « surdoués ». Mais politiquement, la reprise de la rébellion à l’Est avec le Mouvement du 23 mars(M23), la rupture de la cohésion sociale occasionnée par la fraude électorale de 2011 et la nécessité du dialogue avec le camp d’Etienne Tshisekedi, première victime de ce hold-up électoral, fragilisèrent ce Gouvernement des « technocrates » et « surdoués ». 

Les concertations nationales convoquées par le Président de la République dictèrent, à leur issue, un changement de Gouvernement. Augustin Matata Ponyo fut véritablement en ballotage. Au lendemain de l’adresse du Chef de l’Etat à la Nation consacrant la fin des concertations, adresse au cours de laquelle il annonça la nomination d’un gouvernement de cohésion nationale, Augustin Matata Ponyo se sentit bousculé et acculé. Il effectua, juste après, un voyage à Washington auprès de ses soutiens des Institutions financières internationales. 

Les tractations pour la mise en place de ce Gouvernement dit de cohésion nationale prirent beaucoup de temps, soit treize mois après la clôture des concertations nationales. Ce temps profita largement à Matata Ponyo pour se maintenir à son poste. Le Gouvernement Matata II, dit de cohésion nationale, fut publié le 8 décembre 2014. Il n’était un Gouvernement de cohésion nationale que de nom, car le retour de certains caciques aux avant-postes annonçait plutôt une nette volonté du Président de la République de se maintenir au pouvoir, après l’échéance de son mandat en 2016. 

L’ouverture vers l’opposition était partielle, tant en réalité c’était un débauchage dans le rang du Mouvement de Libération du Congo(MLC) dont trois de ses cadres entrèrent au Gouvernement. L’autre opposition dite républicaine conduite par Léon Kengo n’était pas non plus exigeante envers le pouvoir. Par contre, l’UNC de Vital Kamerhe et l’UDPS d’Etienne Tshisekedi étaient restés exigeants envers Kabila et n’avaient pas pris part aux concertations convoquées par lui, revendiquant un dialogue qui respecterait le cadre tracé par l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Ils n’étaient donc pas représentés au sein du Gouvernement de cohésion nationale qui  comprenait en son sein 3 Vice-Premiers Ministres, 2 Ministres d’Etat, 32 Ministres et 10 Vice-Ministres, soit un total de 48 membres, le Premier Ministre compris. Annoncée par le Président de la République, la société civile fut finalement mise à l’écart par le Premier ministre Matata Ponyo et la représentativité de la femme connut quand même un rebond par rapport au premier Gouvernement Matata, parce que neuf femmes étaient entrées au Gouvernement de cohésion nationale. 

Bref, 80% des postes de ce Gouvernement revenaient encore à la famille politique du Président de la République dont la cohésion interne était menacée depuis la publication du Gouvernement Matata I. C’est pourquoi, outre Evariste Boshab, on notait le retour en scène de Théophile Mbemba qui prit l’Enseignement supérieur et universitaire. Avec ces deux-là, Kabila pouvait se rassurer que la contestation populaire, surtout dans les milieux universitaires, allait être matée. 

Sur le plan de l’équilibre géographique, dans le Gouvernement Matata II dit de cohésion nationale, le Katanga venait pour la première fois après le Grand Kivu qui aligna 5 rwandophones de ses 11 ministres. 

Ce Gouvernement fit politiquement face à la contestation montante contre le projet de révision ou du changement de Constitution qui envisageait d’octroyer à Joseph Kabila un troisième mandat présidentiel après 2016. Cette contestation commença de l’intérieur avec le Groupe de sept partis(G7) de la MP qui se prononcèrent ouvertement contre un tel projet. Ce qui avait conduit à la démission du Gouvernement des ministres membres desdits partis. Toutefois, le Gouvernement Matata II  resta en place jusqu’à l’arrivée du Gouvernement de Samy Badibanga qui était la conséquence du Dialogue de la Cité de l’Union africaine et de l’Accord partiel et non inclusif du 18 octobre 2016 boycotté par le Rassemblement, avec l’UDPS en tête et le Front pour la défense de la Constitution piloté par le MLC.

IV. Gouvernement Badibanga et la quête de l’inclusivité politique 

Le Gouvernement Badibanga a été nommé le 19 décembre 2016, dans un contexte de fortes tensions liées à la fin du deuxième mandat constitutionnel de Joseph Kabila. Le choix de la date du 19 décembre 2016 était symbolique parce qu’il s’agissait de la fin du mandat présidentiel obtenu après l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Il ne fallait donc pas donner l’impression de cautionner un vide institutionnel au sein de l’exécutif. Mais c’était en réalité un gouvernement de transition vers un autre beaucoup plus inclusif. Il était d’ailleurs nommé pendant que le dialogue piloté par la Conférence Episcopale Nationale du Congo(CENCO) auquel avaient finalement adhéré le Rassemblement et le Front pour la défense de la Constitution était en cours.

S’agissant de sa composition, il convient d’indiquer que c’est le plus peuplé des gouvernements de la troisième République. Avec ses 68 membres, il avait même battu le record du Gouvernement 1+4 qui était composé de 62 membres, sans compter le Président de la République qui en fut également membre à part entière. Mais c’est le propre des gouvernements de sortie de crise d’être éléphantesques pour la simple raison de servir toutes les parties prenantes.

Le Gouvernement Badibanga, comme il fallait s’attendre, n’a été composé que des partis et regroupements politiques signataires de l’Accord du 18 octobre 2016 auxquels s’était joint une frange de la société civile. Le partage des responsabilités gouvernementales devait naturellement suivre l’équilibre de ces forces politiques et sociales. Ainsi, la MP se tailla la part du lion, suivi de l’opposition signataire de l’Accord du 18 octobre conduite par Vital Kamerhe et de l’opposition républicaine de Léon Kengo wa Dondo, ainsi que de la société civile qui se contenta des miettes.

Le Premier ministre lui-même était un transfuge de l’UDPS que Joseph Kabila avait réussi à séparer de l’aile dure restée au Rassemblement. Ses trois premiers adjoints furent Léonard She Okitundu (PPRD), Vice-Premier ministre, Ministre des Affaires étrangères ; Emmanuel Ramazani Shadari (PPRD), Vice-Premier ministre, Ministre de l’intérieur et sécurité ; José Makila Sumanda (Opposition signataire), Vice-Premier ministre, Ministre des Transports et Voies de Communication.

Parmi les 10 Ministres d’Etat qui suivaient dans la préséance, Alexis Thambwe Mwamba (inclassable, mais fervent Kabiliste) prit la Justice, Pierre Kangudia (UNC) prit le Budget dans le compte de Kamerhe qui avait refusé d’entrer au Gouvernement après avoir loupé la Primature dont il était presque sûr de diriger. L’inamovible Bahati Lukwebo (AFDC-MP) récupéra l’Economie ; Jean-Lucien Bussa (Opposition signataire) gagna le Ministère du Plan ; Lambert Matuku Memas (PALU et fidèle allié) prit les commandes de l’Emploi, Travail et Prévoyance sociale ; Azarias Ruberwa (Personnalité au Dialogue, mais un proche de Kabila) récupéra la Décentralisation et Réformes institutionnelles, Ministère qui était presque la propriété des rwandophones sous Joseph Kabila. Michel Bongongo (UFC-Opposition républicaine, proche de Joseph Kabila) prit la Fonction publique, dans le compte de Léon Kengo wa Dondo.

Ne fût-ce qu’à travers ces dix portefeuilles, on voit la balance pencher vers la MP contrôlée par le Président de la République qui resta le maitre du jeu, Samy Badibanga étant quadrillé par She Okitundu, Shadari et Thambwe Mwamba.

S’agissant de l’équilibre géographique, le Grand-Kivu caracolait en tête avec 20 ministres ; le Grand-Kasaï suivait avec 12 ministres ; l’Equateur avec 10 ministres ; le Katanga  avec 9 ministres, ex aequo avec  la Province orientale; le Grand Bandundu fermait la marche avec 8 ministres.

La représentation de la femme était toujours marginale, avec 7 femmes sur les 68 membres, soit le dixième de l’effectif, pourtant numériquement éléphantesque. La minorité rwandophone  était représentée comme d’accoutumée (5 membres), cette fois avec la présence remarquable de son porte-parole Azarias Ruberwa qui venait de passer  près de dix ans de traversée du désert.

Après quatre mois et vingt jours, ce Gouvernement transitoire devait passer la main à un autre censé appliquer l’Accord global et inclusif du Centre Interdiocésain. Alors qu’on recherchait l’inclusivité, Joseph Kabila poursuivit sa logique de divide ut impera pour isoler le candidat du Rassemblement qui avait la confiance de la majorité des négociateurs de cette plate-forme au Dialogue du Centre Interdiocésain. Ainsi, en lieu et place de Félix Tshisekedi qui était pressenti Premier ministre, Joseph Kabila, après avoir divisé le Rassemblement, préféra Bruno Tshibala qu’il pouvait aisément manipuler.

V. Gouvernement Tshibala et le défi de l’application de l’Accord du 31 décembre 2016  

L’Accord du 31 décembre 2016 préconisait la mise en place d’un gouvernement de transition qui devait l’appliquer dans l’ultime objectif d’organiser les élections générales au plus tard le 31 décembre 2017. Les négociateurs de cet Accord avaient convenu de joindre à l’Accord un addendum qu’ils avaient appelé « Arrangement particulier », lequel devait déterminer concrètement les modalités de partage des responsabilités entre les parties prenantes. Mais pour avoir en certains de ses prescrits altérer l’esprit de l’Accord, le Rassemblement/Limete (Aile Tshisekedi) avait boycotté la cérémonie de sa signature.

La semaine qui avait suivi cet échec, soit le 7 avril 2017, le Président de la République nomma Bruno Tshibala Nzenzhe Premier ministre et le chargea de former le gouvernement de transition qui avait pour mission d’organiser les élections. Ce dernier débuta les consultations qui prirent près d’un mois. Ainsi, le 9 mai 2017, le Président de la République nomma ce Gouvernement qui comprenait 58 membres.

La composition de ce Gouvernement respectait le principe de l’équilibre des forces en présence et la répartition des postes était déjà arrêtée dans l’Arrangement particulier : la Majorité Présidentielle (18 ministres et 3 Vice-ministres), le Rassemblement/Kasa Vubu (13 ministres et 3 Vice-ministres), l’Opposition signataire de l’Accord du 18 octobre 2016(8 ministres et 3 Vice-ministres), l’Opposition républicaine/Léon Kengo (2 ministres et 1 Vice-ministre) et la Société civile(2 membres).

Le Gouvernement Tshibala s’était appuyé sur la mouture du Gouvernement Badibanga. De nombreux ministres avaient conservé leurs postes. Il s’agissait, par exemple, de trois Vice-Premier Ministres, le Ministre de la Justice, le Ministre de la Communication et Médias, le Ministre des Finances, le Ministre  des mines et le Ministre de la Défense. Les Ministres d’Etat du Gouvernement Badibanga sont maintenus, mais deux autres font leur entrée. Il s’agit de Lisanga Bonganga et de Joseph Kapika. Le Premier hérite du portefeuille des relations avec le Parlement, le second de l’Economie que Modeste Bahati occupait dans le précédent gouvernement, lui que Tshibala a transféré au Plan.

Ce gouvernement avait conduit le pays aux élections du 30 décembre 2018, mais s’était maintenu jusqu’à  l’avènement  du Gouvernement Ilunga Ilunkamba nommé par le nouveau Président de la République, Félix Tshisekedi. Il est vrai que douze de ses membres l’avaient déjà quitté parce qu’ils devaient opter pour la députation nationale, à l’occasion de l’installation de la nouvelle Assemblée nationale.

VI. Gouvernement Ilunga et la gestion d’une coalition contre-nature

Les élections générales du 30 décembre 2018 avaient débouché sur une alternance au sommet, c’est-à-dire l’arrivée d’un opposant à la tête de la RDC, mais qui ne disposait pas malheureusement d’une majorité parlementaire pour pouvoir former un gouvernement totalement acquis à sa politique. C’est ainsi que les deux leaders politiques, le Président sortant et le Président entrant se mirent d’accord pour former une coalition politique qui les aiderait à diriger le pays.

Le nouveau Président était à la tête d’une plate-forme électorale appelée « Cap pour le changement »(CACH), alors que son prédécesseur dirigeait un « Front commun pour le Congo »(FCC). Ces deux familles politiques coalisées étaient censées doter le pays d’un gouvernement. C’est la plate-forme numériquement majoritaire au sein de l’Assemblée nationale qui devait proposer au Président un Premier ministre.

Après de difficiles tractations, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba fut nommé au mois de mai 2019. Ayant entamé ses consultations, son Gouvernement n’a pu être publié que le 26 aout 2019. Composé de 65 membres, dont 48 Ministres et 17 Vice-ministres, ce Gouvernement était le résultat d’intenses négociations et de subtils dosages entre ces deux partenaires que les résultats électoraux avaient obligés de composer.

Ainsi, dans l’Accord de coalition qu’ils avaient conclu, une répartition des postes en fonction de l’équilibre des forces avait été arrêtée et se présentait de manière ci-après : 42 Ministres pour le compte du FCC et 23 Ministres pour le compte du CACH. Le grand enjeu ici était le contrôle des ministères dits de souveraineté. Le CACH réussit, dès lors, à conserver les Affaires étrangères, l’Intérieur et sécurité, le Budget et l’Economie ; le FCC prit la Défense, la Justice, les Finances, les Mines, le Plan et le Portefeuille. Les autres portefeuilles étaient également méticuleusement répartis en fonction de l’équilibre des forces, notamment à l’Assemblée nationale.

Toutefois, pour marquer de son empreinte l’équipe gouvernementale de Sylvestre Ilunga, Félix Tshisekedi devait personnellement veiller sur certains noms, principalement les caciques de l’ancienne Majorité Présidentielle(MP) qu’il tenait à laisser en dehors de son premier gouvernement auquel  il comptait donner une nouvelle impulsion du changement, notamment dans le sens de la promotion de l’Etat de droit. C’est la raison pour laquelle 76,9% de membres de ce gouvernement n’avaient jamais été ministres et 17% des femmes étaient ministres.

Sur le plan de l’équilibre régional, tout naturellement, le Grand Kasaï a pris pour la première fois la tête du quota des ministres du Gouvernement Ilunga Ilunkamba, suivi immédiatement du Bandundu, du Kivu et du Katanga. Les autres régions viennent derrière les trois mentionnées. C’est dire combien l’influence du Président de la République est déterminante dans le choix des membres du gouvernement. Même lorsqu’il ne dispose pas de la majorité de députés à l’Assemblée nationale, il peut faire pencher la balance vers son espace linguistico-géographique.

CONCLUSION

L’expérience d’une coalition de deux familles politiques autrefois farouchement opposées, mais qui ont été obligées de gouverner ensemble, a révélé ses limites tant les divergences des vues sur la politique à mener ont été criantes au point de nécessiter la rupture que nous avons connue et qui a visiblement été souhaitée par la majorité des forces vives de la Nation consultées par le Président de la République en novembre 2020. La majorité parlementaire ayant dans la foulée basculé du côté du Président, il peut alors nommer un Premier ministre qui appliquera, sans tergiversations, sa vision politique du changement de la situation sociale du peuple et surtout de l’instauration de l’Etat de droit en RDC. Quoiqu’il en soit, ce Premier ministre devra, pour composer son gouvernement, tenir compte des règles et principes que ce papier vient de passer en revue, à savoir l’équilibre des forces politiques au sein de l’Assemblée nationale, l’équilibre géographique ou régional, la représentation des femmes et des minorités. C’est pourquoi, il est indispensable que les recommandations suivantes soient prises en compte par les acteurs aussi bien politiques que sociaux.

RECOMMANDATIONS

Au Président de la République :

  • Veiller au respect de la Constitution en matière de composition de l’équipe gouvernementale, notamment à la représentation non seulement des forces politiques mais aussi celle de la femme, des minorités et des personnes vulnérables ;
  • Impulser le changement à travers le choix des membres du gouvernement, en privilégiant la compétence et la moralité des personnes à désigner ;

Au Premier ministre, formateur du prochain gouvernement :

  • Réduire la taille du gouvernement jusqu’à 40 membres au plus ;
  • Privilégier la compétence, la moralité et la nouveauté dans la sélection des membres du gouvernement ;
  • Respecter les équilibres aussi bien politique, géographico-linguistique que catégoriel (femmes, personnes vulnérables et minorités).

Aux Chefs de partis et regroupements politiques, membres de l’Union Sacrée :

  • Privilégier la stabilité de la coalition et l’intérêt de la Nation dans la gestion des ambitions des membres ;
  • Privilégier la compétence, la moralité et la nouveauté dans les propositions au Premier ministre ;
  • Veiller méticuleusement à la représentation géographique et catégorielle (femmes, personnes vulnérables et minorités).

Aux Organisations de la société civile :

  • Veiller à ce que les principes constitutionnels de la représentation nationale, féminine et des minorités soient respectés par le formateur du gouvernement.
  • Sensibiliser la population à exiger le respect de la Constitution en matière de formation du gouvernement.

Au peuple congolais :

  • S’intéresser à connaitre la Constitution afin d’en exiger le respect par le Président de la République et le Premier ministre en matière de la formation du gouvernement.