Dialogue National : Anatomie d’un échec programmé - Tribune

Marcel-Héritier Kapitene est un activiste, membre de la LUCHA. Il vient d’être libéré après six mois d’emprisonnement à la Prison centrale de Makala.

<strong>Tribune</strong>

Les germes d’égocentrisme et  la traditionnelle incapacité des congolais à pouvoir se mettre d’accord s’invitent au dialogue national. Si nombreux s’y invitent pour des perdiems ou pour briguer des postes politiques, il y a de ceux qui amusent par leurs motifs de refus de prendre part à ce énième forum national. Outre le fait que les chances de sa réussite sont bradées, son inclusivité demeure sujette à caution. On s’acheminerait droit vers un pétard du genre Conférence Nationale dite souveraine.

Pour décrisper la crise née des élections de 2011, la classe politique congolaise et la communauté internationale ont convenu de convoquer des assises nationales sous le format de "Dialogue National". À une dizaine de jours de la date fatidique du 19 septembre 2016, tout semble mis en œuvre  pour que ce forum national accouche d’un "non compromis".

En 5 points, voici comment la mission d’Edem Kodjo est agrippée dès son lancement.
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<li><strong>Une tentative de légitimation sans consensus certain</strong></li>
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S’il y a une marque dans toutes les négociations impliquant les congolais, c’est leur propre incapacité à se mettre d’accord. C’est la raison même d’une facilitation internationale tant réclamée par l’opposition et une frange de la société civile qui lui est proche.

Mais, il se fait que chacune des forces politiques et sociales conviées à ce forum a son propre agenda. Si la mouvance au pouvoir voit en ces assises une occasion d’obtenir très doucement une prolongation de la législature en cours et du dernier mandat constitutionnel du président Joseph Kabila ; ceux des opposants qui ont accepté d’y participer l’ont fait soit pour obtenir une occasion de participer à la gestion du pays et espérer faire fortune en marge des éventuelles campagnes électorales, soit pour essayer d’obtenir un autre mode de gestion du pays avec ou sans l’actuel président de la République en fin mandat.

Comme lors de la Conférence Nationale dite souveraine ou le dialogue inter-congolais, nombre de protagonistes sont en quête de légitimation dans ce forum. Pour l’actuelle majorité présidentielle, il s’agit d’une manière d’obtenir l’approbation ou l’adhésion des forces concurrentes – opposition et société civile – pour parfaire les contours du vœu d’obtention d'un nouveau mandat ou d'une nouvelle transition.

Gênés par les lois du pays et soucieux, malgré tout, de faire « l’impossible », la MP a eu besoin de légitimer son action ou sa volonté politique par un « Dialogue national » convoqué depuis 2015… La MP veut associer une large représentation de citoyens pour faire accepter, sinon imposer ses solutions aux gouvernés. Ce fut le cas en 1990 lorsque Mobutu convoqua la CNS.

Moment mal choisi ? Peut-être… Mais les assises de la Cité de l’Union Africaine n’ont aucune chance de succès dans un contexte où le système politique est perpétuellement remis en question : démocratie de facette, où la justice et les services de sécurité sont carrément mués en machine répressive contre toute voix discordante.

On croirait qu’une voie de rupture serait simultanément programmée par le camp opposé au dialogue. Il peut aussi s’agir d’une sorte d’automatisme né dans la conscience collective congolaise, à l’approche du 19 décembre, date constitutionnelle de la fin du dernier mandat du président Kabila.

Le courant anti-dialogue sous le format actuel – Rassemblement, Dynamique de l’opposition, Front Citoyen 2016 – semble plutôt focalisé sur les prescrits de l’article 64 de la constitution de la RDC par une rupture préparée ou à spontanéité incitée.
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<li><strong>Rupture et cercle vicieux</strong></li>
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Nul n’a le monopole de la rue en RDC. Les dernières sorties médiatiques de l’opposition et de la majorité l’ont prouvé. Plus loin, on peut remonter jusqu’au 16 février 2016 pour comprendre que les rapports de force ne sont pas nettes, lorsqu’on se situe dans tel ou tel autre camp.

La confrontation se veut inévitable sur le terrain, en cas de "l’application de l’article 64", et pour des raisons qui restent évidentes : le pouvoir a le plein contrôle de l’armée et de la police, la récession économique qui constitue une gangrène et probable cause de multiples dérapages, l’expiration en cours du dernier mandat constitutionnel du président Kabila couplée à plusieurs tentative de sa majorité de lui décrocher une présidence ad-vitam et aeternam, etc. Les événements de janvier 2015 sont une preuve que l’opposition peut appeler à une insurrection sans être à même de la contenir ou de contrôler ses foules. Comme en 1993, appeler à une insurrection populaire actuellement c’est juste mettre une croix sur ce qui reste de l’économie congolaise. Une voie vers une démocratisation, peut-être… mais avec des fortes possibilités d’assoir une démocratie sur les ruines d’un État aux prises de l’actuelle démocratie caporalisée ou « <em>démocrature</em> ».

À cause de cette résistance de cette incapacité de consensus en préparation, ce dialogue de légitimation n’est qu’en train de préparer le « dialogue de rupture » en accentuant le fossé entre, d’une part une majorité présidentielle réticente qui tergiverse et, d’autre part, les Forces de changement qui réclament le passage démocratique et civilisé du pouvoir entre l’actuel président en fin mandat et un autre à élire. Jusqu’où les congolais sont prêts à en arriver pour une alternance démocratique ? Quelle que soit la voie empruntée, le seul issu reste le dialogue. Pas forcement celui d’Edem Kodjo, mais peut-être un autre, avant ou après une phase de l’hécatombe en chantier, n’en déplaise aux marchands de la démocratie-vengeance et/ou de la démocratie personnalisée.
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<li><strong>D’un dialogue national envisagé à un forum entre Kinois</strong></li>
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S’il y a un aspect majeur que Kodjo a fourré aux oubliettes, ce que Kinshasa n’est forcement pas la miniature de la République Démocratique du Congo. Sur plusieurs les plans, Kinshasa ne reflète pas le pays tout entier. Cela reste aussi valable politiquement. À peine lancés, les travaux préparatoires ont suscité des contestations, surtout au sein de la société civile qui ne se reconnaît dans des activistes dits des forces citoyennes sélectionnés par l’équipe de la facilitation.

La team à Edem Kodjo s’est contenté des factions « Kinoises » des forces politiques et sociales, sans ce rassurer que celles-ci étaient la représentation de toutes les couches de la population, ou si elles avaient consulté leurs bases et reçu mandat de celles-ci.

Dialoguer avec des délégations non issues des autres 25 provinces de la RDC c’est méconnaitre la réalité du Congo et préparer une contestation inévitable. Dans les carrés politiques, nombreux sont ceux qui sont quasi-déconnectés de leurs électorats, voilà 5 ans qu’ils ont été élus. Peu sont les partis ou regroupements politiques ou sociales qui ont consulté leurs bases avant de prendre part aux travaux de l’Hôtel Béatrice et de la cité de l’UA. L’ancien premier ministre Togolais a oublié une donnée sensible anti-contestataire : la réelle consultation des congolais des autres provinces pour s’assurer de l’inclusivité nationale du dialogue.
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<li><strong>Une troisième voie plurielle et empoignée</strong></li>
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Après la Conférence Nationale dite souveraine, il y a eu une société civile au Congo qui osa dire à haute voix des critiques contre le gouvernement, des opposants courageux, des journaux inventifs et rigoureux. Mais ce fut aussi le début d’un imbroglio, la genèse d’une métastase incontrôlable des ONGDH et ASBL, constituant la réserve citoyenne regroupée en une multitude de sociétés civiles.

Il n’existe pas, au Congo, une structure ou plate-forme unique usant exclusivement du label « Société Civile ». Les différentes sociétés civiles spécialisées dans les dénonciations se regroupent occasionnellement mais se font instamment la guerre. Actuellement, outre la plus récente forme de société civile en RDC – les mouvements citoyens, notamment LUCHA, etc. – la société civile comprend aujourd’hui plusieurs tendances proches de tel ou tel autre regroupement politique.

Et Kodjo n’a pas échappé au piège. En plus du caractère essentiellement « Kinois » de la composante société civile dans le dialogue, les équilibres des tendances ne sont pas clairement définies ; au point où des cadres de certains partis politiques sont labélisés « Société civile » dans ces assises depuis la mise en place du comité préparatoire.
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<li><strong>Le mariage de Genval et la machine à débaucher</strong></li>
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Quand fut mis sur pied à Genval (Belgique) le Rassemblement des forces politiques et sociales, nombreux se sont émerveillés de la première plate-forme regroupant les forces opposées au pouvoir. À la fain du conclave ayant abouti à sa mise en place, cette plate-forme mijotée par un cartel des proches de Moïse Katumbi et d’Etienne Tshisekedi s’est vite montrée favorable au dialogue, au point d’en faire son maître-mot, jusqu’avant que ne tombe la condamnation de Moïse Katumbi dans l’affaire Stupis.

N’ayant pas pris part aux travaux préparatoires, il est quasi-impossible que les Tshisekedistes et les Katumbistes réunis au sein du Rassemblent prennent part aux travaux du dialogue facilité par Edem Kodjo, à moins de renégocier un amendement de son cahier des charges. Il en est de même de la Dynamique de l’Opposition et du parti de Jean-Pierre Bemba, qui eux aussi ont carrément tourné le dos à Kodjo.

Si le duo Katebe-Katumbi a réussi à arracher du camp Kabila le Groupe de Sept (G7), sa cible principale reste aujourd’hui l’opposition. Les cas Jean-Bertrand Ewanga et André Claudel Lubaya en disent plus. Qui n’aurait pas entendu parler des rapprochements entre Ewanga, d’une part ; et d’autre part Vano Kiboko et Jean-Claude Muyambo, deux proches de Moïse Katumbi ? Une partie du destin des anciens secrétaires généraux du parti de Kamerhe aurait été signée à la prison de Kinshasa-Makala. Aujourd’hui, les quelques Tshisekedistes restés fidèles aux noms du père, de la mère et du fils, roulent clairement pour Katumbi et Katebe.

Les accords secrets signés en Europe entre l’UDPS et les délégués de la Majorité Présidentielle semblent moins contraignants pour Etienne, Marthe et Félix Tshisekedi, qui s’ouvrent désormais au "mieux offrant" : la machine Moïse Katumbi – Raphaël Katebe. Au même moment, la Majorité Présidentielle réussit à décrocher la participation des camps qui étaient farouchement opposés à toute idée de dialogue. Profitant de l’absence des Tshisekedistes et des Katumbistes ; Vital Kamerhe et Jean-Lucien Busa jouent un rôle de préséance dans les travaux de la cité de l’UA.

Aujourd’hui, l’ombre de Moïse Katumbi et de son demi-frère Raphaël Katebe Katoto plane sur le Rassemblent. Ces deux katangais tirent à gauche et droite, pour faire échec au dialogue national sans la levée des poursuites contre Moïse Katumbi et ses autres proches. Et pour ça, ils sont prêts à mettre en jeu des billets d’argent. Peu sont les politiques qui résistent à cette aubaine. L’effectif des tendances opposées au dialogue ne fait que gonfler en nombre.

Tout laisse croire que le dialogue de légitimation donnera forcement lieu à un dialogue de rupture, à moins de recommencer sur des prochaines légitimations, prenant en compte les individualités de chacun des protagonistes. Mais pour combien de temps ?