RDC: refus des billets USD déchirés, une habitude qui a élu domicile mais non reconnue par la loi 

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Photo d'illustration.

Le dollar américain, qui est apparu dans l'économie congolaise au début des années 90 au pays, s'est imposé dans le quotidien, et est devenu, depuis lors, la principale monnaie sur laquelle tout se négocie. Valorisé à outrance au détriment du franc congolais, la population en prend tellement soin qu'en cas d'une coupure, elle est refusée, soit perd sa valeur. 

D'après un échantillon des cambistes interviewés par Actualité.cd, cette habitude d'élever le dollar jusqu'à le refuser puisque détérioré, a élu domicile dans la société congolaise à leur propre initiative, aucune base juridique en la matière le sous-tend.

D'après monsieur Lifardo, cambiste à beau vent, à Lingwala, les États-Unis d'Amérique, qui fabriquent cette monnaie, n'ont nullement stipulé qu'un billet altéré ne peut plus être utilisé. Toutefois, il estime que s'il en est ainsi en RDC, c'est au regard de la valeur que le dollar représente.

« Nous ne fabriquons pas le dollar. Eux-mêmes les américains qui en fabriquent n'en refusent et n'ont aucunement fait une déclaration en ce sens. C'est une décision propre aux Congolais, ancrée dans la même mémoire collective. Puisque l'euro et le CFA passent même s'ils sont déchirés. Mais si on le protège, c'est grâce à sa valeur. Parce que je peux sortir un seul billet de dollar et prendre plusieurs billets de francs congolais. Prenons l'exemple de cent dollars qui équivalent à 270 000 Fc. Ce sont déjà des liasses de francs congolais », pense-t-il.

M. Michel, qui ne reçoit pas des billets déchirés, abonde dans le même sens, mais explique que dans certains endroits ils sont acceptés. Il s'inscrit en faux sur l'existence d'une loi en ce sens.

« Moi, je ne prends pas de billets déchirés sous peine de remonter des complications et perdre mon argent par la suite. Mais dans certains endroits, ils sont acceptés sans problème. Mais sans donner d'explication claire, d'autres cambistes en réduisent la valeur. Aussi, s'il y avait une loi, l'État en ferait la vulgarisation. Mais il n'a rien dit là-dessus.

Pour l'économiste, financier et monétariste Aimé Lambala, il n'y a pas une loi qui soutient cette allure. Tout est parti d'une spéculation, qui profite aux cambistes.

« C'est le fait de spéculation. Déjà un dollar à Kinshasa, on ne le prend pas, on ne fait pas confiance à ça. À combien plus forte raison s'il s'agit d'un billet de 100 dollars coupé. Les gens en profitent. C'est une façon pour les cambistes de faire leurs bénéfices. Il n'y a pas de loi. La population en général a lui-même quelque chose en tête qui n'existe pas, et que c'est elle-même qui a poussé à la réglementation de ce qui n'existe pas », a-t-il confié à ACTUALITE.CD. 

D'après Noël Tshiani, banquier, économiste international et acteur politique, c'est le décret loi du 30 janvier 2001, signé et promulgué par Joseph Kabila, donnant aux devises étrangères la capacité d'être utilisées dans les transactions courantes, qui explique ce comportement.

« Ce décret loi a ainsi officialisé la circulation du dollar américain et de toute monnaie étrangère en RDC aux côtés du Franc congolais. C’est l’institutionnalisation de la dollarisation en RDC.  Avec le dollar et le Franc congolais en circulation, il est choquant de constater le comportement des Congolais face aux deux monnaies. Le public congolais conserve mieux et jalousement les billets du dollar américain et est même très exigeant en n’acceptant que des billets propres sans la moindre déchirure. Mais le même peuple maltraite le Franc congolais qu’on conserve et préserve mal comme si on s’en moque. Attitude anachronique», note l'ancien candidat président de la République.

C'est ainsi que comme au marché tout est fixé en dollars, les Congolais préfèrent épargner en dollar pour garder la valeur de ce qu'ils détiennent. Rares sont ceux qui le font en monnaie locale, qui se déprécie au jour le jour, à cause «du régime de change flottant» qui existe en RDC.

Samyr Lukombo